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Nau.

n'est compétent dans les causes de prises, si le navire a été arrêté en pleine mer.

§ 2840. Nau désapprouve que l'État du capteur ou celui du Oppenheim. capturé ait le droit exclusif de la juridiction; alors Oppenheim voudrait qu'à côté du tribunal des prises du belligérant on établit un tribunal neutre, par la raison, invoquée par Klüber, qu'un État ne soumet jamais ses actes à la juridiction d'un autre. Posée sur un semblable terrain la question nous paraît assez difficile à trancher; car il peut arriver qu'un gouvernement condamne ce qu'un autre trouve licite, et dans ces conditions il devient impossible de s'arrêter à aucune solution nette, précise et générale.

Prise conduite dans un port neutre.

Azuni.

S2841. Lorsque celui qui a fait une prise la conduit dans un port neutre, il faut distinguer si ce port appartient au souverain du navire capturé ou à un État tiers. Dans ce dernier cas la question ne peut soulever de doute, et peu d'auteurs ont essayé de défendre la compétence judiciaire d'un État dont le navire capturé ne porte pas le pavillon. Azuni, qui est de ce nombre, n'invoque à l'appui de son opinion que deux traités conclus en 1787 par la Russie, l'un avec la France le 11 janvier (1), l'autre avec les Deux Siciles le 17 janvier (2), et qui contiennent tous les deux une disposition dans le sens dont il s'agit. A nos yeux, ce sont là des exceptions que des circonstances de temps et de lieu peuvent expliquer, mais qui ne suffisent pas pour fonder et légitimer une nouvelle pratique internationale. La France, l'Angleterre et les États-Unis ont invariablement reconnu en cette matière la compétence des tribunaux du capteur. La jurisprudence espagnole ne s'est écartée de cette règle que dans le cas où la moitié au moins du chargement appartient à des sujets de l'Espagne; alors, dit le réglement du 14 juin 1797, les prises neutres amenées par le capteur dans un port espagnol seront jugées par les tribunaux espagnols.

L'auteur italien que nous venons de citer affirme que la compétence du souverain neutre est la conséquence immédiate des principes généraux du droit; il s'efforce de justifier son assertion en prétendant que de nombreux traités ont stipulé que le souverain du capteur doit être saisi du jugement des prises conduites

(1) De Clercq, t. I, p. 171; Martens, 1re édit., t. III, p. 1; 2o édit., t. IV, p. 196. (2) Martens, 1re édit., t. III, p. 36; 2e édit., t. IV, p. 229.

dans un port neutre étranger, et il en conclut que la compétence du tribunal neutre est de droit commun international. Cet argument se réfute de lui-même; car envisager les choses ainsi conduit à la conséquence absurde que toutes les dispositions contenues dans un traité, telles par exemple que les prohibitions relatives à la contrebande et au blocus, sont contraires au droit

commun.

Prise conduite dans un

du capturé.

$ 2842. La question n'est pas aussi facile à résoudre lorsqu'il s'agit d'une prise conduite dans un port de la nation dont le port de l'Etat navire capturé porte le pavillon. Les opinions sont essentiellement divisées sur ce point: les uns accordent la compétence aux tribunaux du capteur, les autres à ceux du capturé. Au nombre de ces derniers on compte Meno Pohls, Kaltenborn, Martens, Jouffroy, Hautefeuille, Ortolan et Massé.

Meno Pohls accorde la compétence au souverain au nom du- Meno Pohls quel se fait la prise; mais dans le cas où le capteur conduit sa prise dans un port appartenant à la nation sur laquelle il l'a faite, c'est au souverain de cette nation à prononcer le jugement.

Voici les raisons que Jouffroy développe à l'appui de cette opi- Jouffroy. nion: «Rien n'empêche le souverain neutre, ce me semble, de prendre connaissance du fait. Le corps du délit est sur son territoire; l'accusé s'y trouve également; il est de plus son sujet. Le gouvernement peut donc évoquer cette cause, obliger le croiseur à intenter son procès par devant les tribunaux ordinaires, sinon instruire la cause d'office et prononcer. »

Hautefeuille modifie quelque peu cette doctrine, en ce sens que Hautefeuille. lorsque le navire neutre saisi a été conduit dans un port soumis à son propre souverain, celui-ci, ayant à la fois autorité sur le port et sur le navire, a le droit évident d'examiner les causes de la saisie et de statuer sur le sort de ses propres sujets sur le sol de ses États. S'il les trouve innocents, il doit leur rendre la liberté et la pleine disposition de leurs biens; si, au contraire, ils ont commis une infraction aux lois internationales, son devoir est de les abandonner à celui qu'ils ont offensé et de leur refuser la protection dont ils se sont rendus indignes par leur conduite. » C'est aussi l'opinion d'Ortolan. « L'État neutre, dit-il, n'exerce pas en cela une véritable juridiction des prises; il ne prétend pas s'ériger en juge entre les belligérants et décider si leurs actes, quant à ce qui les concerne respectivement, sont légitimes ou illégitimes. Une violation de sa propre autorité, une lésion de ses

Ortolan.

Pistoye et

Duverdy.

Phillimore.
Wheaton.

Résumé.

propres intérêts qu'il juge illégale a eu lieu; les circonstances mettent en son pouvoir le moyen de se faire justice, et il le fait, toujours d'après le même principe que, n'avant pas de juge supérieur dont il soit forcé de reconnaître le pouvoir, il est autorisé à maintenir et à apprécier lui-même son droit. »>

Les auteurs anglais et américains en général ne partagent pas ces idées, non plus que Pistoye et Duverdy, qui sont d'avis que <<< la puissance neutre ne peut pas, parce qu'elle donne asile au capteur et au capturé qui est sien, usurper le droit de juger de la validité de la prise, ce droit appartenant exclusivement en vertu du droit de guerre au gouvernement au nom duquel la capture a été faite. » La puissance neutre peut demander une compensation pour l'asile donné, tout au plus exiger la relaxafion du navire, mais non la juridiction en matière de prises. »

C'est dans ce sens qu'ils expliquent et légitiment l'ordonnance française de 1681, et leur opinion est appuyée par Phillimore. Wheaton objecte que cette condition ne peut être sous-entendue; qu'elle n'est pas impliquée dans une simple permission générale d'entrer dans les ports neutres; qu'il faut que l'autorité dont elle émane la fasse connaître chaque fois qu'elle donne asile: ce qu'elle peut accorder ou refuser à son gré, pourvu qu'elle le fasse d'une manière impartiale à tous les belligérants *.

S2843. En résumé et d'après les diverses idées émises sur cette matière il demeure établi pour nous que le souverain du capteur a le droit de résoudre le différend dans tous les cas où la prise a lieu en pleine mer, pourvu qu'elle ait été faite par un navire dùment autorisé et sans préjudice pour les personnes qui sont restées étrangères aux hostilités; si, au contraire, la capture s'est faite dans les eaux d'une puissance neutre, celle-ci, dont la sou

Gessner, pp. 364 et seq.; Hautefeuille, Des droits, t. III, p. 306; Lampredi, Du commerce des peuples neutres en temps de guerre; Galiani, Des devoirs des princes neutres; Azuni, t. II, ch. 4, art. 3, § 8; Jouffroy, p. 296; Kaltenborn, t. II, p. 489 ; Martens, Essai, § 36; Vergé, Précis, t. II, § 322; Massé, t. I, § 411; Ortolan, Règles, t. II, p. 307; Pistoye et Duverdy, t. II, p. 186; Cauchy, Droit marit. int., t. II, p. 65; Phillimore, Com., § 377; t. III, pp. 572-579; Manning, Droit des nations, p. 473; Wildman, Instituts de droit international, t. II, p. 352; Burge, ibid., p. 180; Twiss, War, p. 344; Discours à l'Association pour la réforme du droit des gens, Anvers, 1877; Meno Pohls, Droit maritime, t. IV, p. 1220; Oppenheim, Droit des gens, p. 268; Nau, Principes du droit maritime international; Klüber, Droit des gens européens, § 296; Fiore, Nouv. droit int. public, t. II, p. 525; Heffter, § 172; Bulmerincq, Revue de droit int., t. XI, 1879, p. 167; Wheaton, Élém., pte 4, ch. 2, § 14; Kent, Droit int., p. 274.

veraineté est ainsi violée, a le droit d'exiger l'abandon de la prise.

Caractère spécial des tribunaux de prises.

Opinions des

Wheaton.

§ 2844. Il existe une différence très-notable entre les tribunaux ordinaires appelés à procéder conformément aux lois civiles ou criminelles de l'État qui les a institués, et les tribunaux ou cours de prises établis par l'autorité souveraine pour appliquer les règles du droit des gens à la fois aux étrangers et aux nationaux. $ 2845. Les tribunaux civils ordinaires, dit Wheaton, acquièrent publicistes. la juridiction sur la personne ou la propriété d'un étranger par son consentement exprès, s'il intente volontairement une poursuite, ou implicite, s'il transporte par le fait sa personne ou sa propriété sur le territoire. Mais quand les cours de prises exercent leur juridiction sur des navires capturés en mer, la propriété des étrangers est amenée de force dans le territoire de l'État qui a constitué ces tribunaux. Suivant le droit naturel, les tribunaux du pays de celui qui a fait la capture ne sont pas plus les juges directs exclusifs des captures de guerre faites en pleine mer sous le pavillon neutre que ne le sont les tribunaux du pays neutre. L'égalité des nations semblerait en principe défendre l'exercice d'une juridiction ainsi acquise par force et par violence et administrée par des tribunaux qui ne peuvent être impartiaux entre les parties en cause, parce qu'ils sont créés par le souverain de l'une pour juger l'autre; telle est cependant la constitution actuelle des tribunaux investis par le droit positif international de la juridiction exclusive des prises capturées en guerre. »

De la distinction établie entre les deux classes de tribunaux il découle comme conséquence naturelle qu'aucun tribunal ne possède de compétence en matière de prises qu'autant qu'une décision formelle de l'autorité souveraine de la nation à laquelle il appartient l'a érigé en cour ou conseil de prises. Quant à l'organisation de ce tribunal et à la manière d'exercer sa juridiction, elles dépendent du droit public interne et des lois particulières de chaque nation.

§ 2846. La nécessité de confier à des tribunaux spéciaux le jugement des prises se fonde, suivant Dana, sur ce que le plus grand nombre des captures faites en temps de guerre appartient aux neutres, et que les questions touchant à la relaxation aussi bien qu'à la confiscation des navires étrangers ou de leurs cargaisons soulèvent des conflits et des doutes qui ne trouvent pas toujours leur solution dans les règles du droit civil. On peut dire enfin que l'origine

Dana.

de ces tribunaux repose sur la responsabilité que les actes de ses croiseurs imposent au belligérant à l'égard des neutres, et qui implique forcément le droit de s'enquérir si la prise est légitime ou non. C'est à l'aide de ce raisonnement que Dana résout le problème que Wheaton s'était borné à poser.

Klüber. S2847. Plusieurs publicistes persistent à considérer les tribunaux de prises comme de simples commissions administratives appelées à prononcer en conséquence, mais n'ayant point, à proprement parler, à exercer une juridiction.

Oppenheim.

Meno Pohls.

« Le tribunal des prises, dit Klüber, doit être considéré comme une commission spéciale du gouvernement. Il ne forme pas partie intégrante de l'organisation judiciaire. C'est une institution juridico-politique, une autorité spéciale, un tribunal exceptionnel, qui a pour mission de juger entre nationaux et étrangers par voie administrative de la validité des prises. Il n'est donc pas tenu aux formalités des tribunaux ordinaires. >>

S 2848. Oppenheim est également d'avis qu'un tribunal de prises n'est pas un véritable tribunal; ses décisions ne sont pas des sentences de juges obligatoires pour chaque partie; elles n'obligent juridiquement que le capteur, qui y est soumis en sa qualité de sujet de l'État et qui n'est responsable de ses actes qu'envers son souverain. A l'égard du navire capturé, la prise et le jugement doivent être considérés comme des actes politiques contre lesquels, si l'on trouve la sentence injuste ou illégale, il n'y a pas d'appel; mais la partie lésée peut recourir à la rétorsion et aux représailles.

« A la rigueur, le tribunal de prises n'est donc qu'une institution politique, une commission spéciale à la fois politique et judiciaire, avec des influences internationales, semblable d'ailleurs aux autres actes de la guerre, qui influent sur plus d'États qu'il n'y en a de belligérants. Les tribunaux de prises (improprement appelés tribunaux) sont en réalité des institutions juridiques de droit international, contre lesquelles le dernier recours est la force. »

S2849. Pour démontrer que les tribunaux de prises ne sont pas des tribunaux à proprement parler, mais des commissions spéciales instituées dans un but spécial, Meno Pohls fait ressortir qu'elles n'ont de durée que celle de la guerre, et que parfois, au lieu de les créer, on confie à un tribunal déjà existant la connaissance des causes de prises.

<< Il est indubitable, ajoute-t-il, que si l'on accorde aux puissances belligérantes la connaissance des affaires de prises, c'est

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