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Soumission et conquête

vention tacite suspendre de fait tout acte de guerre et rétablir immédiatement entre eux des relations d'amitié et de bonne intelligence. Ainsi la guerre entre la Pologne et la Suède se termina en 1716 par une simple suspension des hostilités de part et d'autre, et ce fut seulement dix ans plus tard que l'état de paix entre ces puissances fut reconnu de jure par des lettres échangées entre les deux souverains. Dans des temps plus rapprochés de nous on a vu suspendre de fait la guerre déclarée entre l'Espagne et le Chili, et se renouer les relations commerciales entre les deux pays avant qu'un traité formel de paix fût venu mettre un terme au conflit qui avait amené la lutte et la rupture des rapports diplomatiques. Un pareil mode de procéder n'est cependant pas sans inconvénient. Dans cet état de choses le statu quo accepté par les belligérants lors de la suspension des hostilités peut sans doute servir de base naturelle au rétablissement des relations pacifiques; mais en l'absence d'une déclaration expresse on ne saurait en inférer que les griefs ou les réclamations qui ont donné naissance à la guerre ou que la guerre a suscités se trouvent abandonnés; ils doivent plutôt être considérés comme restant à l'état de question ouverte ou comme n'ayant plus de raison d'être. Le statu quo post bellum subsiste tant qu'on ne conteste pas les modifications de fait opérées par la guerre; pour le reste le statu quo ante bellum demeure la règle. En outre le moment précis auquel la guerre a cessé pour faire place à la paix est incertain. Un point de départ fixe est nécessaire pour la cessation des hostilités d'un côté comme de l'autre. Une déclaration explicite du rétablissement de la paix permet seule de constater le réglement définitif des différends qui avaient occasionné la rupture, et de déterminer dans quelle mesure les parties ont renoncé à leurs prétentions respectives; autrement les causes de la guerre, loin d'avoir disparu, subsisteraient pour une guerre nouvelle.

S'il est un cas où un traité de paix ne soit pas indispensable, c'est celui de la retraite ou de l'expulsion d'un envahisseur; car alors il y a un résultat matériel acquis le territoire momentanément occupé est définitivement affranchi*.

S 2930. La soumission du vaincu au vainqueur par suite de de l'un des conquête ou d'absorption peut être absolue ou conditionnelle. La

belligérants.

Heffter, § 177; Steck, Essais, no 2; Phillimore, Com., v. III, § 511; Bluntschli, § 700; Morin, Les lois, t. II, p. 541.

soumission, même sans condition, doit être interprétée selon les lois de l'humanité, c'est-à-dire que le vainqueur n'a pas le droit d'exiger ce qu'un homme n'a pas le droit d'imposer à un autre. Suivant les lois modernes de la guerre, l'État vainqueur est fondé à dépouiller l'État vaincu de tout ou partie de son domaine souverain; mais il ne peut jamais s'emparer des droits privés de Tennemi ni enchaîner la liberté des personnes. Le droit extrême du vainqueur s'arrête à l'annexion du territoire conquis, sur lequel il n'acquiert ainsi que des droits publics. La conquête ne donne pas un pouvoir absolu sur les personnes et les biens; les habitants et leurs familles ont leur existence indépendante, et l'État ne peut disposer d'eux arbitrairement*.

2951. Les traités de paix sont des conventions par lesquelles deux ou plusieurs souverains consacrent entre eux d'une manière expresse la fin des hostilités, sans que pour cela l'une des parties' tombe pour l'avenir sous la dépendance absolue de l'autre c'est cette réserve qui distingue le traité de paix de la soumission ou de la conquête proprement dite **.

$2932. Afin que les traités de paix soient revêtus d'un caractère parfaitement légal et obligatoire, le droit des gens a dù exiger pour leur conclusion des conditions analogues à celles que de droit civil prescrit à l'égard des engagements les plus sérieux, et principalement des conditions de capacité personnelle de la part des contractants. Ces conditions sont réglées par le droit public ou politique de chaque pays, selon la forme de gouvernement ou la constitution qui le régit.

En principe on peut établir que l'autorité suprême investie de la faculté de déclarer la guerre possède seule aussi celle de signer la paix; c'est du moins ce qui a lieu dans les monarchies absolues et même dans la plupart des États représen

tatifs.

Cependant, si la personne revêtue du plus haut pouvoir et du droit de représenter l'État ne peut d'après la constitution conclure la paix sans le consentement des chambres ou de tout autre corps politique, cette restriction doit être respectée en droit international, et le traité ne sera valable et exécutoire que si la ratifi

Heffter, § 178; Phillimore, Com., v. III, § 512; Bluntschli, § 701.

Heffter, § 179; Vattel, Le droit, liv. 4, § 9; Klüber, Droit, § 322; Rayneval, Inst., t. II, liv. 3, ch. 21; Bluntschli, § 703; Fiore, t. II, pp. 1, 2; Pradier-Fodéré, Principes, p. 568 Riquelme, lib. 1, tit. 1, cap. 13.

Traités de paix.

Autorité investie du pou

voir de con

clure les trai

tés de paix.

Précédents historiques.

Pratique adoptée en France.

cation est accordée, ou si, par suite d'un changement de constitution, elle n'est pas requise.

$2935. Ainsi nous voyons que postérieurement à la mort de Charles XII, les rois de Suède, quoiqu'ils pussent se passer du consentement de la diète pour déclarer la guerre, n'avaient pas la faculté de faire la paix sans le concours du sénat.

Une législation analogue a longtemps prévalu en France où, sous le règne de François Ier, les États Généraux annulèrent le pacte par lequel le roi, pour prix de sa rançon, cédait la province de Bourgogne à l'empereur Charles-Quint. Le refus de sanction de ces États reposait à la fois sur ce que le roi n'avait pas le pouvoir d'aliéner le domaine public, aussi bien parce qu'il était prisonnier que parce que l'assentiment de la nation représentée les États Généraux était essentiel à la validité d'un traité de par cession territoriale.

2954. Cette partie du droit français a depuis cette époque éprouvé de nombreuses altérations. Aux termes des chartes constitutionnelles de 1814 et de 1830 le roi pouvait déclarer la guerre, conclure des traités de paix, d'alliance et de commerce; mais le pouvoir réel de faire la guerre ou la paix se trouvait en réalité dans les mains des Chambres, qui avaient seules le droit d'accorder ou de refuser les crédits nécessaires pour ouvrir ou continuer les hostilités.

La constitution du 14 janvier 1852 reconnut le président de la République comme le commandant en chef de toutes les forces de terre et de mer. Il avait le pouvoir de déclarer la guerre, de signer les traités de paix, d'alliance et de commerce; seulement il n'avait que l'initiative des lois, lesquelles devaient être soumises aux délibérations et au vote du corps législatif et du sénat.

Le sénatus-consulte du 7 novembre 1852, en rétablissant l'Empire, maintint la constitution du 14 janvier de la même année dans toutes celles de ses dispositions qui n'étaient pas incompatibles avec le nouvel état des choses; et plus tard le sénatusconsulte du 20 avril 1870, qui modifia cette loi constitutive dans plusieurs points essentiels, ne changea rien quant à la prérogative impériale pour la conclusion et la ratification des traités de paix et d'alliance.

Les lois organiques promulguées le 28 février 1875, qui régissent actuellement la République française, ne contiennent aucune disposition précise à cet égard; nous y lisons seulement que « le

président de la république dispose de la force armée» et que chacun de ses actes doit être contresigné par un ministre (1). Généralement les lois et les traités, avant d'être promulgués et rendus exécutoires, ont besoin d'être approuvés par la chambre des députés et le sénat.

$2955. En ce qui concerne le pouvoir de conclure les traités, notamment les traités de paix, la loi anglaise présente une certaine ambiguité. S'il est vrai qu'elle considère cette faculté comme une des prérogatives de la couronne, elle la restreint tellement qu'on peut dire que le pouvoir législatif en est l'unique et véritable dépositaire. La concession faite à la royauté semble être purement de forme; car dans la pratique il est certain que le pouvoir de faire la guerre appartient en réalité au parlement, sans l'approbation duquel la prérogative royale ne peut s'exercer et qui est par conséquent à même de contraindre la couronne à conclure la paix, en lui refusant les subsides nécessaires pour poursuivre les hostilités.

Angleterre.

confédérés.

§ 2936. Pour pouvoir décider quelle est pour les États confédérés chez les États l'autorité investie du droit de conclure les traités, il faut avoir égard à la nature de la confédération. Si l'Union est formée de divers États, dont chacun conserve une souveraineté respectivement complète et sans réserve, il est évident que ce droit doit appartenir au conseil fédéral ou au président de la confédération.

Il résulte de la lettre du pacte fondamental de la république nord-américaine que le président jouit du droit exclusif de signer les traités de paix, qui toutefois ne peuvent être ratifiés et ne deviennent lois suprêmes de la nation qu'après avoir été sanctionnés par le sénat *.

Aux États-Unis.

Étendue

de l'autorité

les traités

de paix.

§ 2937. L'autorité générale de conclure les traités de paix implique nécessairement la faculté d'en stipuler les conditions. Lors de conclure qu'une nation a conféré à son pouvoir exécutif sans réserve le droit de traiter et de contracter des engagements avec les autres États, elle est considérée comme l'ayant investi de toute l'autorité nécessaire pour faire un contrat valable. Or les lois fondamen

(1) Journal officiel du 28 février 1875.

Vattel, Le droit, liv. 4, § 10; Wheaton, Elem., pte. 4, ch. 4, § 1; Bluntschli, § 705; Fiore, t. II, pp. 2 et seq.; Kent, Com., v. I, p. 168; Halleck, ch. 34, §§ 2, 3; Morin, Les lois, t. II, pp. 544 et seq.; Pradier-Fodéré, Principes, pp. 568, 569; Pando, p. 579; Bello, pte. 2, cap. 9, §6; Riquelme, lib. 1, tit 1, cap. 13; Lawrence, Elem. by Wheaton, note 247; Pinheiro Ferreira, Vattel, note sur le § 10; Annuaire des Deux Mondes, 1851-1852, p. 952.

Empêchement d'un

faire la paix.

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tales d'un État peuvent retirer au pouvoir exécutif la faculté d'aliéner ce qui appartient à l'État; mais si elles ne comportent pas de disposition expresse à cet effet, on est en droit d'en déduire que l'État a conféré au pouvoir chargé de conclure des traités une autorité proportionnée à tous les besoins de la nation, et les États étrangers n'ont pas d'autre présomption pour nouer des relations sûres avec le gouvernement. Il s'ensuit que le pouvoir exécutif peut alors engager la nation par l'aliénation d'une partie de son territoire, qu'il s'agisse de propriétés publiques ou privées. Ce pouvoir étant l'organe de la nation, les aliénations auxquelles il consent sont valables, parce qu'elles sont censées émaner de la volonté de la nation *.

$ 2958. Il est telles circonstances par suite desquelles un sousouverain de verain ne serait plus capable d'exercer la prérogative, qu'il tient de son titre ou de la constitution de ses États, de traiter de la paix.

Médiation.

Lorsque, par exemple, un prince est devenu prisonnier de guerre, il se trouve dans une certaine mesure dépouillé de la liberté de ses actes et de ses décisions, qui peuvent dès lors sembler enchainées par la force ou dominées par une pression irrésistible. Or l'équité naturelle ne permet pas de faire subir à toute une nation les conséquences d'une pareille situation. Dieu merci! les temps sont passés où les peuples dépendaient comme de vils troupeaux des monarques auxquels étaient livrées leurs destinées. L'influence bienfaisante que la civilisation a exercée sur les mœurs est parvenue, après de longs débats, à faire résoudre la question dans un sens plus équitable; le chef d'État tombé en captivité est désormais regardé comme mineur ou en tutelle, et partant comme inhabile à traiter par lui-même, à engager ses sujets par les actes au prix desquels il serait tenté d'acheter sa mise en liberté. En pareil cas ce sont les corps constitués de la nation, privée temporairement de son souverain, qui sont appelés à exercer le pouvoir de négocier et de conclure la paix **.

$ 2959. Souvent les belligérants, quoique également las de la guerre, continuent les hostilités, soit par opiniâtreté ou animosité, soit plutôt parce que chacun d'eux craint de faire des avances

Halleck, new ed. Baker, ch. 9, § 5.

1* Vattel, Le droit, liv. 4, § 13; Wolff, Jus gent., § 982; Wheaton, Élém., pte. 4, ch. 4, § 2; 'ando, p. 581; Bello, pte. 2, cap. 9, § 6; Riquelme, lib. 1, tit. 1, cap. 13; Halleck, ch. 34, §§ 3, 4; Morin, Des lois, t. II, p. 545.

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