Page images
PDF
EPUB

Cession de territoire, et

de

frontières.

personnes et le pardon de tous les délits de trahison dont les sujets des États belligérants ont pu se rendre coupables. Lorsque cette clause n'est pas expressément énoncée, elle est virtuellement. sous entendue, car l'amnistie est un des éléments essentiels de la paix. « Si l'on permettait, dit Bluntschli, de continuer la lutte devant les tribunaux, on pourrait toujours craindre que les parties n'eussent de nouveau recours aux armes et que la guerre ne recommençât avec toutes ses horreurs. Les demandes seraient, il est vrai, dirigées contre certaines personnes, qu'on accuserait d'avoir causé un préjudice pécuniaire ou commis un délit ; mais derrière ces personnes se trouverait toujours l'État pour lequel elles ont

combattu*. »

§ 2950. L'état de possession au moment de la conclusion de rectification la paix est considéré, à moins de dispositions contraires, comme la base du nouvel ordre public créé par la paix : chacun conserve la souveraineté du territoire qu'il occupe. Le traité peut cependant établir la paix sur d'autres bases que l'état de possession ou rétablir souvent les choses telles qu'elles existaient avant la guerre. Lorsque le vaincu ne peut obtenir la paix qu'au prix d'une portion de son territoire, cette cession fait partie intégrante du traité de paix ou d'un acte spécial y annexé, dans lequel les contrées cédées sont énumérées, les nouvelles frontières entre les États contractants délimitées, etc. La paix seule donne la sanction du droit à la conquête ou à l'annexion violente.

Nous avons précédemment (1) expliqué les effets de la cession ou de la conquête, les changements qu'elle produit dans la situation respective des États, les modifications qu'elle apporte aux droits et aux intérêts du souverain et des habitants des pays qui passent ainsi sous une dénomination étrangère. Nous nous bornerons ici à dire que la cession ou la prise de possession par suite de la conquête n'est considérée comme définitive et valable qu'autant qu'elle est consacrée par le traité de paix, qui contient ordinairement une renonciation formelle de l'ancien souverain au territoire que lui arrache le sort des armes. En un mot la paix est la consécration nécessaire et définitive de l'acte de cession;

* Grotius, Le droit, liv. 3, ch. 20, §§ 16, 18, 19; Vattel, Le droit, liv 4, §§ 19-21 ; Wheaton, Elém, ple. 4, ch. 4, § 3; Heffter, § 180; Martens, Précis, § 333; Klüber, Droit, § 524; Kent, Com., v. I, p. 171; Bluntschli, §§ 708 et seq.; Halleck, ch. 34, §§ 8 et seq.; Pando, p. 580; Bello, pte. 2, cap. 9, § 6; Riquelme, lib. 1, tit. 1, cap. 13. (1) Voir pte. 2, liv. 8.

car elle seule donne la sanction du droit à la conquête, voire même à l'annexion violente. Le traité de paix ne règle pas seulement la question de possession; il pose en outre les bases des nouvelles relations que les modifications territoriales établissent entre les différentes parties intéressées. Souvent les traités de paix portant cession de territoire renferment une clause par laquelle des commissaires sont nommés de part et d'autre à l'effet de rectifier les frontières, et généralement une autre clause accorde aux habitants des pays qui doivent changer de souverain un délai plus ou moins long pour disposer, s'ils le jugent convenable, des biens qu'ils y possèdent ou pour se retirer dans tel autre pays qu'il leur plait de choisir. Nous trouvons des dispositions analogues dans le traité de paix signé à Paris le 50 mai 1814 (1) entre la France, l'Autriche, la Russie, la Grande-Bretagne et la Prusse.

Traité du 10 mai 1871 en re

la France et

S 2951. Le traité du 10 mai 1871 (2). ayant converti en un traité de paix définitif les préliminaires signés à Versailles le 26 février précédent (5), en vertu desquels la France cédait à l'Allemagne 'Allemagne. plusieurs départements de l'Est, il a été introduit dans le traité définitif des stipulations à l'effet de sauvegarder les intérêts et de régler la situation des habitants des territoires annexés à l'Allemagne. Voici la teneur de l'article 2: « Les sujets français, originaires du territoire cédé, domiciliés actuellement sur ce territoire, qui entendront conserver la nationalité française, jouiront jusqu'au 1er octobre 1872, moyennant une déclaration préalable faite à l'autorité compétente, de la faculté de transporter leur domicile en France et de s'y fixer, sans que ce droit puisse être altéré par les lois sur le service militaire, auquel cas la qualité de citoyen français leur sera maintenue. Ils seront libres de conserver leurs immeubles situés sur le territoire réuni à l'Allemagne. »

additionnelle

du 11 décembre

Par une convention additionnelle au traité de paix signée Convention à Francfort le 11 décembre 1871 (4), le terme fixé pour l'option entre la nationalité française et la nationalité allemande a été étendu jusqu'au 1 octobre 1872 (5) pour les

(1) De Clercq, t. II, p. 414; Neumann, t. II, p. 462; Savoie, t. IV, p. 1; Russie, t. I, p. 3; Martens, Nouv. recueil, t. II, p. 1; State papers, v. I, p. 151; Bulletin des lois, 1814, no 16; Angeberg, Congrès, p. 161.

(2) De Clercq, t. X.

(3) De Clercq, t. X.

(4) De Clercq, t. X. (5) De Clercq, t. X.

1871.

Cessation des impôts, des

contributions,

des réquisitions

de guerre.

Occupation après la paix

successive.

individus originaires des territoires cédés qui résident hors d'Europe *.

§ 2952. Toutes les pratiques, tous les actes violents de la guerre cessent avec la signature de la paix. Les lois de la guerre ne sont plus applicables, et les lois en vigueur en temps de paix reprennent leur cours régulie. Le vainqueur perd donc tout droit de percevoir les impôts, d'ordonner des réquisitions, de lever des contributions de guerre sur le territoire ennemi encore occupé ou d'exiger les arrérages de celles qu'il n'a pas eu le temps d'encaisser pendant le cours de la guerre, quand même elles auraient été ordonnées régulièrement, conformément aux usages. Il est des traités qui contiennent une disposition spéciale à cet égard: nous mentionnerons entre autres ceux de Hubertsbourg de 1763 (article II), et de Francfort du 16 mai 1871 (article VIII). Dès que la paix est conclue les caisses publiques ne peuvent plus être saisies par l'occupant; elles doivent être remises sans retard aux autorités régulières.

Mais lorsque l'armée se trouve en pays ennemi au moment de la conclusion de la paix, le retrait des troupes exige un certain temps; il y a donc des mesures transitoires à prendre pour la sécurité de ces troupes jusqu'à ce que l'évacuation du pays occupé soit définitivement consomnée; ces mesures ne doivent en aucun cas conserver le caractère arbitraire de la guerre : tous les actes d'hostilité commis après la paix doivent être réprimés et punis, et des dédommagements alloués aux personnes qui en sont victimes **.

§ 2953. Cependant la conclusion de la paix ne met pas toujours et évacuation un terme à l'occupation du territoire de l'un des belligérants par l'autre. C'est ce qui a lieu lorsque par les préliminaires ou le traité de paix a été stipulé le paiement d'une indemnité de guerre d'une telle importance que ce paiement ne peut s'effectuer intégralement que dans un certain délai et par des acomptes successifs, dont la quotité et les époques sont déterminées dans les conventions relatives à la paix. En garantie de l'exécution de ces arran

* Vattel, Le droit, liv. 1, ch. 20, § 244; liv. IV, §§ 11, 12; Wheaton, Élém, pte. 4, ch. 4, § 2; Heffter, § 182; Bluntschli, §§ 706, 707, 715; Fiore, t II, pp. 4 et seq.; Morin, Les lois, t. II, p. 546; Kent, Com., v I, p. 169; Halleck, ch. 34, § 5; Pando, p. 54; Bello, pte. 2, cap. 9, § 6; Pinheiro Ferreira, Vattel, note sur le § 11; PradierFodéré, Vattel, t. III. pp. 177-181.

Vattel, Le droit, liv. 4, §§ 24, 29; Heffter, § 180; Bluntschli, § 717.

gements et jusqu'à l'acquittement total de l'indemnité stipulée, les troupes victorieuses continuent d'occuper une partie du territoire ennemi, qu'elles doivent évacuer ou entièrement à la fois lors du paiement intégral, ou progressivement à mesure du versement des acomptes. C'est ce dernier mode d'occupation et d'évacuation que nous voyons réglementé par l'article III des préliminaires de paix du 26 février 1871 (1) et l'article VII du traité du 10 mai suivant (2).

L'article IV des préliminaires mettait à la charge du gouvernement français l'alimentation des troupes allemandes qui devaient rester en France jusqu'au 31 décembre de l'année courante. Le gouvernement français devait fournir à l'intendance militaire allemande, pour 500,000 rations de vivres et 150,000 rations de fourrages par jour, une indemnité fixée à 14 gros (1 fr. 75) pour chaque ration de vivres et à 20 gros (2 fr. 50) pour chaque ration de fourrages, le chiffre des rations devant diminuer à mesure que s'effectuerait le paiement des acomptes des frais de guerre. De plus le gouvernement français était tenu de mettre à la disposition des troupes allemandes, dans chaque ville ou village occupé au moins par un bataillon, un escadron ou une batterie d'artillerie, tous les établissements militaires dont elles avaient besoin, avec les ameublements nécessaires, leur chauffage et leur éclairage, d'après les prescriptions des réglements prussiens (3). Mais était interdite expressément aux troupes d'occupation toute réquisition en argent ou en nature dans les départements occupés.

L'article VIII du traité de paix n'est pas moins explicite à cet égard. Il prescrit aux troupes allemandes de s'abstenir de réquisitions en nature et en argent dans les départements français qu'elles occuperont; toutefois, pour le cas où le gouvernement français serait en retard d'exécuter les obligations contractées par lui pour leur entretien, il leur reconnaît le droit de se procurer ce qui sera nécessaire à leurs besoins en levant des impôts et des réquisitions dans les départements occupés, et même en dehors de ceux-ci, si leurs ressources n'étaient pas suffisantes (4).

Différence entre l'occu

$2954. MM. Funck Brentano et Sorel font ressortir avec raison la distinction essentielle qui existe entre l'occupation après la paix pation après

(1) De Clercq, t. X.

(2) De Clercq, X.

(3) Villefort, Traités relatifs à la paix avec l'Allemagne, t. I, pp. 40 et seq.

(4) Villefort, t. I, p. 69.

la paix et celle pendant guerre.

la

Amnistie.

et l'occupation pendant la guerre. Tant que duraient les hostilités, l'État occupant était envahisseur; il n'avait aucun droit ni sur le territoire ni sur les habitants; son pouvoir ne reposait que sur la force; cette occupation se réglait d'après les coutumes de la guerre et en subissait les nécessités. L'occupation qui a lieu en temps de paix résulte d'un traité et par conséquent repose sur un droit; l'occupant est un étranger et non un ennemi; son pouvoir est limité et déterminé par une convention; il se règle non d'après le régime de la guerre, qui repose sur la nécessité, mais d'après le régime du droit des gens en temps de paix, qui repose sur le respect des devoirs, des droits et des intérêts respectifs des États".

$ 2955. La cessation des poursuites et des actes de répression, qui est une des conséquences de la conclusion de la paix, n'est pas à proprement dire une amnistie. Ce mot en effet implique l'idée de pardon accordé par l'autorité souveraine pour des crimes punis par les lois de l'État; or pendant la guerre le souverain étranger au nom duquel se pratiquent les poursuites ou la répression n'a aucune autorité légitime sur les sujets de l'autre État, qui d'ailleurs ne sauraient commettre des crimes contre les lois d'un

État dont ils ne dépendent pas. Il n'y a entre ces individus et le souverain étranger que des relations de fait, et le traité ne peut que constater la cessation de ces relations et des conséquences qu'elles entraînaient.

L'amnistie - puisqu'on a conservé le terme - - spécifiée ou impliquée par le traité de paix comprend exclusivement les actes coupables qui ont été commis durant la guerre et qui n'ont pas été réprimés conformément aux lois militaires avant la cessation des hostilités. Toutefois le bénéfice n'en est pas applicable à ceux des actes que ne tolèrent ou n'excusent point les usages de la guerre, lorsque l'État duquel dépendent les coupables considère ces actes comme des crimes de droit commun et autorise les poursuites contre ses sujets. L'amnistie ne s'étend pas non plus aux délits commis pendant la guerre sur un territoire neutre par les sujets de l'un des belligérants au préjudice de ceux de l'autre, l'État neutre ne perdant en aucune circonstance le droit de réprimer ou de punir les atteintes portées à l'ordre public dans les limites de sa juridiction. Il est superflu d'ajouter que l'amnistie s'applique encore moins aux dommages et aux délits antérieurs à

[blocks in formation]
« PreviousContinue »