Page images
PDF
EPUB

la guerre, comme dans le cas des traités d'alliance, qui n'ont plus de raison d'être avec la fin de la guerre; il faudrait encore que leur contenu fùt incompatible avec les stipulations du traité de paix, comme ce qui a lieu, par exemple, en ce qui concerne d'anciens traités relatifs à la délimitation des frontières entre deux États. Ces traités restent en vigueur, si la paix n'entraine pas une cession du territoire et partant une modification de la frontière; mais ils cessent de fait, si la frontière ne reste plus la même. L'histoire des États-Unis nous fournit un exemple des difficultés que peut faire naitre le silence gardé dans un traité de paix au sujet d'anciens traités. L'Angleterre, aux termes du traité du 3 septembre 1785 (1), par lequel elle reconnaissait l'indépendance de ses anciennes colonies, avait accordé aux États-Unis le droit de pêcher sur les côtes des possessions anglaises de l'Amérique du Nord. On conçoit que le bénéfice de cette concession avait été interrompu ou rendu illusoire pendant la guerre entre les deux parties, à laquelle mit fin le traité de Gand en 1814. Or, ce traité n'ayant rien dit au sujet des pêcheries américaines, lorsque les États-Unis voulurent de nouveau profiter des droits qu'ils tenaient des traités antérieurs à la guerre, l'Angleterre prétendit qu'ils avaient été abrogés par les hostilités et que la paix ne les faisait point revivre; que c'était dans ce sens que devait être interprété le mutisme du traité à leur sujet. Le gouvernement de Washington soutint que le traité de 1783 avait un caractère permanent, que la guerre de 1812 n'avait fait que le suspendre, mais ne l'avait pas abrogé. La justice de la cause des États-Unis était tellement évidente que l'Angleterre finit par consentir à signer en 1818 un traité spécial, accordant aux pêcheurs des États-Unis le droit de pêcher dans certaines parties déterminées des côtes britanniques.

Lorsque par suite du traité de paix un État est privé d'une existence indépendante, il est évident que les contrats publics passés avec cet État cessent avec la cessation de sa personnalité distincte, comme cela a eu lieu par rapport à la Pologne après son partage, et à la Crimée après sa soumission à la Russie en 1783*.

(1) Elliot. v. I, p. 237; State papers, v. I, p. 779; Martens, 1r édit., t. II, p. 497; 2e édit., t. III, p. 553.

* Wheaton, Élém,, pte. 2, ch. 3, §§ 9 et seq.; Vattel, Le droit, liv. 4, ch. 23; Phillimore, Com., v. III, §§ 529 ct seq.; Kent, Com., v. I, pp. 177, 178; Bluntschli, § 718 :

Quand les traités de paix ils à produire

leurs effets?

$ 2962. La plupart des publicistes s'accordent à admettre que les obligations découlant d'un traité de paix doivent être remplies commenc ntà partir du moment de sa conclusion. Toutefois des doutes se sont élevés sur la question de savoir si le traité doit être considéré comme parfait et définitivement obligatoire aussitôt qu'il est revêtu de la signature des plénipotentiaires, ou bien s'il faut attendre. l'échange des ratifications. C'est cette dernière opinion qui a généralement prévalu de nos jours.

Opinions de publicistes.

Les engagements, dit Rayneval, datent communément du jour Rayneval. de l'échange des ratifications, à moins d'une stipulation contraire. »

Vattel est d'avis que le traité ne lie les sujets des États qu'après qu'il leur a été dùment notifié.

Vattel.

« Le traité, dit Bluntschli, n'est parfait qu'après l'échange des Bluntschli. ratifications; l'exécution ne peut donc en être exigée qu'à partir de cette date. »>

Selon Phillimore, « le moment précis où le traité public com- Phillimore. mence à entrer en vigueur est, comme pour les contrats privés, le jour où il a subi toutes les formalités nécessaires et où il a été ratifié. A partir de ce moment toutes les hostilités doivent cesser, à moins qu'une date particulière n'ait été fixée pour le commencement de la paix.

[ocr errors]

§ 2963. Heffter pense que « toutes les fois qu'un traité de paix n'indique aucun délai pour leur cessation, les hostilités doivent s'arrêter à l'instant même de la signature du traité par les plénipotentiaires des belligérants. >>

Le traité peut avoir un effet rétroactif, qui remonte jusqu'à la date de sa signature; mais il faut que cela soit stipulé expressément dans le traité même. La mise en vigueur peut aussi en être différée à une époque postérieure à la ratification, mais également en vertu d'une disposition particulière. Par contre l'acte de ratification peut avoir un effet rétrospectif et confirmer le traité conformément aux termes de ses clauses.

Quoi qu'il en soit, dans la plupart des cas on n'attend pas la ratification du traité pour mettre fin aux hostilités; elles cessent de fait bien antérieurement, non pas en vertu du traité de paix, puisqu'il n'existe pas, mais en vertu d'un armistice ou de prélimi

Heffter, § 181; Wildman, v. I, p. 176; Halleck, ch. 34, § 22; Riquelme, lib. 1, tit. 1, cap. 13; Morin, Les lois, t. II, pp. 561 et seq.; American State papers, v. IV, pp. 352 et seq.; Woolsey, § 160.

Fin des hostilités.

Heffter.

Responsabilité

naires de paix, qu'en général les belligérants concluent pour entamer les négociations qui doivent aboutir au traité définitif; cet armistice se prolonge jusqu'à l'issue de ces négociations.

Souvent le traité même fixe un délai pour la mise à exécution, intégrale ou partielle, complète ou progressive, de ses clauses, par exemple pour l'évacuation du territoire occupé, le paiement d'indemnités de guerre, etc. Mais cette disposition particulière n'arrête pas, ne sursoit pas les effets du traité en ce qui concerne son objet principal, la paix proprement dite, c'est-à-dire la cessation des hostilités et le rétablissement des relations réciproques antérieures à la guerre. »

$ 2964. Un des effets du traité de paix est donc de rendre illéindividuelle. gal tout acte d'hostilité ou de violence commis après sa conclusion et d'autoriser de la part de la partie lésée une demande en réparation, lors même que le tort aurait été causé par un individu ignorant encore la signature de la paix. En pareil cas l'individu ne saurait être considéré et puni comme coupable d'un acte criminel, s'il prouve clairement son ignorance du fait et partant la bonne foi avec laquelle il a agi; mais cela ne suffit pas pour l'a!franchir de la responsabilité civile en dommages et intérêts: c'est à son gouvernement à le mettre à couvert.

Lorsque la paix a mis fin aux hostilités, il est du devoir de l'État d'en donner connaissance à ses sujets en temps convenable; et s'il ne l'a pas fait, l'État est tenu en justice d'indemniser ses agents ou ses sujets qui agissent dans l'ignorance de la conclusion. de la paix. Telle a été la jurisprudence adoptée dans l'affaire du du Mentor. Mentor, navire nord-américain capturé et détruit par des Anglais, en dehors de la baie de Delaware, postérieurement à la cessation des hostilités entre les États-Unis et la Grande-Bretagne en 1785.

Capture

Délai fixé pour la cessa

tilités.

S 2965. Il peut arriver qu'un délai ait été fixé par le traité de tion des hos- paix pour la cessation des hostilités à un endroit spécifié et qu'avant l'expiration de ce délai, mais avec connaissance de la paix, une prise ait été faite. En pareil cas la prise est-elle légitime? Les juristes ont émis des opinions différentes à ce sujet.

Rayneval, Inst., t. II, liv. 3, ch. 23; Vattel, Le droit, liv. 4, §§ 24 et seq.; Grotius, Le droit, liv. 3, ch. 20, § 20; Bluntschli, § 724; Phillimore, Com., v. III, §§ 517 et seq; Hellter, § 183; Wheaton, Élém., pte. 4, ch 4, §5; Kent, Com., v. I, pp. 172, 173; Wildman, v. I, pp. 145 et seq.; Halleck, ch. 34, § 14; Pradier-Fodéré, Principes, p. 571; Bello, pte. 2, cap. 9, § 6; Pando, pp. 582 et seq.; Riquelme, lib. 1, tit. 1, cap. 13; Halleck, new ed. by Baker, ch. IX, § 14.

publicistes. Emerigon. Kent.

Le juge des États-Unis Kent partage l'opinion d'Emerigon que Opinions de la prise serait illégitime, par la raison que si la connaissance de la paix par interprétation après l'époque limitée dans les différentes parties du monde rend la prise nulle, la connaissance positive de la paix doit d'autant plus produire cet effet.

Phillimore approuve ce raisonnement, qu'il recommande à la Phillimore. pratique des États.

Wheaton, tout en partageant cette manière d'envisager la question, émet le doute qu'en pareil cas il ne faille pour soumettre le capteur aux conséquences légales de la connaissance positive rien de moins que la notification officielle de son gouvernement.

Wheaton.

navire anglais
Swineherd
par le corsaire
français
la Bellone.

2966. C'est par suite de l'absence d'un document de cette na- Capture du ture que le conseil des prises en France rendit le 22 avril 1803 une décision favorable au corsaire français la Bellone contre le navire anglais le Swineherd, qu'il avait capturé avant l'expiration du délai fixé par le traité préliminaire de paix signé le 1er octobre 1801 entre la France et l'Angleterre. Cette décision était fondée sur la double circonstance que le capitaine de la Bellone n'avait été informé de l'existence des préliminaires de paix par aucun document revêtu d'un caractère authentique, attendu que la proclamation du roi d'Angleterre à cet effet, dont il avait eu, il est vrai, connaissance, n'était accompagnée d'aucune attestation d'autorités françaises, et qu'au surplus la Bellone s'était emparée du Swineherd lorsque le délai pour la cessation des hostilités indiqué par la proclamation royale pour la zone dans laquelle la prise avait été faite avait encore quatorze jours à courir à la date de la capture (24 février).

L'exposé de la loi concernant le défaut de connaissance suffisante de la cessation de toute hostilité », fait dans cette affaire par l'avocat général Co let Descotils, mérite d'être rapporté :

« J'en reviens, dit-il, à l'opinion d'Émerigon et de Valin : je pense comme eux qu'un corsaire, qui a une connaissance positive de la paix avant de rencontrer un bâtiment qui auparavant était ennemi, n'a pas le droit de l'arrêter, hors toutefois le cas d'une légitime défense, encore bien que les délais pour la validité des prises ne soient pas encore expirés.

« Mais qu'entend-on par connaissance positive de la paix? Ces auteurs en parlent; mais aucun ne la définit. Je vais tâcher de le faire d'après les principes de la raison et de suppléer par là au silence qu'ils gardent sur ce point.

Capture de la Nymphe

« La connaissance dont il s'agit doit être certaine, assurée, indubitable; elle doit émaner médiatement ou immédiatement de la puissance à laquelle appartient l'armateur, et, si l'on veut, de l'une ou de l'autre des deux puissances contractantes.

« Cette connaissance doit être telle qu'elle prévienne ou dissipe tous les doutes, toutes les incertitudes, toutes les craintes, tous les dangers que pourrait courir le corsaire; elle doit, en même temps qu'elle paralyse les lettres de marque, qu'elle impose au corsaire le devoir de s'abstenir de toutes les hostilités, le mettre lui-même à l'abri de la capture; elle doit enfin être transmise par des pièces authentiques et légales qui prémunissent les corsaires contre le danger, en se retirant dans un des ports de sa nation, d'être pris par quelque navire ennemi non encore informé de la conclusion de la paix.

« Il s'en faut donc de beaucoup que je sois de l'opinion qu'une ignorance absolue de la paix soit nécessaire pour qu'une saisie faite avant l'expiration des délais soit valable; l'admettre, c'est supposer qu'un bruit incertain, qu'une nouvelle douteuse, qu'un rapport dont aucune pièce authentique ne garantit la vérité soient suffisants pour mettre un corsaire dans l'obligation indispensable de cesser sa croisière et de rentrer dans le port de son armement, tout en demeurant exposé au danger d'être capturé pendant le temps de sa retraite.

« Je ne saurais convenir, avec le capitaine Black, que dans le cas d'une simple annonce de paix non valablement justifiée le corsaire n'ait le droit d'arrêter que provisoirement, sauf à relâcher le navire, sans être susceptible de dommages et intérêts, si la nouvelle se trouve vraie, ou à en poursuivre la confiscation, si elle se trouve fausse.

<«< Au moment même de l'arrestation, la saisie est bonne, ou elle est nulle, selon que le corsaire n'a point ou qu'il a la connaissance positive de la paix. S'il l'a, le navire doit être relâché avec dommages et intérêts; s'il ne l'a point, la saisie est valable et la confiscation doit être prononcée. »

[ocr errors]

§ 2967. Une décision tout à fait différente fut rendue quelques par la Petite jours après, le 25 avril 1803, par le même conseil des prises dans l'affaire du navire anglais la Nymphe, capturé par le corsaire français la Pelile Renommée, parce qu'il fut prouvé que, bien que la prise cùt été faite avant l'expiration des délais fixés par le traité préliminaire de paix, le capteur avait eu connaissance suffisante de

« PreviousContinue »