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Rétablissement des

politiques.

interrompu l'application du jus postliminii n'admet dans ce cas ni doute ni discussion.

Lorsque la restitution est stipulée par le traité de paix, le territoire ou les lieux occupés doivent être rendus dans l'état où ils se trouvaient lors de l'occupation; toutefois les changements et les détériorations survenus depuis ne peuvent être l'objet d'aucune réclamation; le détenteur n'est pas tenu non plus à la restitution des fruits perçus par lui, et il jouit en outre de la faculté d'enlever les choses à lui appartenant affectées à l'usage des lieux occupés par lui.

$2985. L'État qui n'a pas été occupé par l'ennemi, comme le peuinstitutions ple qui à la suite d'une révolution secoue le joug de ses anciens maîtres et conquiert une nationalité propre, a aussi bien le droit de rétablir les institutions par lesquelles il était précédemment régi que d'en adopter de nouvelles; mais les publicistes ne sont pas d'accord sur l'exercice du droit de postliminie lorsque l'État a obtenu son indépendance grâce au secours que lui a prêté une autre nation *.

Opinions des publicistes

sur

$ 2984. Pour résoudre cette question ils ont établi une distinction entre le cas où l'indépendance est due à l'assistance d'un cette matière. allié, et celui où elle l'est à l'intervention d'une puissance amie. Vattel et Halleck admettent que dans les deux cas l'État rendu libre possède des titres suffisants pour se prévaloir du droit dont nous nous occupons ici.

Heffter soutient, au contraire, que « dans le cas (et dans ce cas seulement) où les troupes ennemies ont été repoussées par une puissance étrangère seule, l'ancien état de choses ne pourra être rétabli sans le consentement de celle-ci. >>

Bluntschli admet la même doctrine : « Lorsque, dit-il, l'ennemi est expulsé par une puissance tierce qui n'est ni souveraine ni alliée du souverain de la contrée libérée, le rétablissement du gouvernement et de la constitution antérieurs ne sera pas la conséquence nécessaire de l'expulsion des ennemis. La puissance libératrice acquiert, au contraire, le droit de prendre part aux négociations qui régleront le sort du pays affranchi. Il va sans dire que

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Heffter, § 188; Vattel, Le droit, liv. 3, §§ 213, 214; Bynkershoek, Quæst, lib. 1, cap. 16; Puffendorf, De jure, lib. 8, cap. 6, § 26; Wheaton, Élém., pte. 1, ch. 2, § 18; pte. 4, ch. 2, § 17; Lieber, Political ethics, b. 2, § 86; Bluntschli, § 729; Fiore, t. II, p. 353; Halleck, ch. 35, §§ 9, 10; Rayneval, Inst., liv. 3, ch. 18; Bello, pte. 2, cap. 4, § 8.

le libérateur ne pourra disposer de ce pays d'une manière définitive sans tenir compte de la volonté des populations *.

de Gênes à

§ 2985. En 1805, à la suite de la conquête de l'Italie par Na- Incorporation poléon Ier, la République de Gênes fut et demeura incorporée dans la Sardaigne. l'Empire français jusqu'en 1814. Le 26 avril de cette même année, le général anglais William Bentinck, qui avait reçu l'ordre d'occuper le territoire génois, lança une proclamation par laquelle il déclarait l'État de Gênes rétabli tel qu'il existait en 1797, sauf les modifications rendues nécessaires par les circonstances. Néanmoins l'article 2 du traité de Paris du 30 mai 1814 décida l'annexion de Gênes au royaume de Sardaigne; et cette décision fut confirmée par le congrès de Vienne, malgré les protestations du gouvernement provisoire génois, qui invoquait en faveur de l'indépendance et de la souveraineté de la république le traité d'Aix-la-Chapelle de 1745.

Discussion soulevée à ce

chambre des Communes d'Angleterre.

$2986. Ces événements donnèrent lieu à des discussions au sein du parlement britannique. Le 27 avril 1815 Sir James Mac sujet dans la kintosh déclara dans la chambre des Communes que, même en ne prenant pas en considération la proclamation de Lord Bentinck, l'Angleterre ne pouvait équitablement regarder le territoire de Gênes comme un pays conquis, qu'elle aurait le droit de garder à titre de province annexée ou de céder à une autre puissance. L'orateur basait ce raisonnement sur le fait que l'incorporation de Gênes à la France en 1797 avait eu lieu lorsque cette dernière puissance était en guerre avec la Grande-Bretagne, tandis que Gênes était un État ami: d'où il résultait, suivant lui, que quand le général Bentinck avait pénétré sur son territoire, il était entré sur celui d'un pays ami possédé par l'ennemi.

« C'est pourquoi, ajoutait Sir J. Mackintosh, la Grande-Bretagne avait à exercer un droit de conquête contre la France, mais non contre la République de Gênes. Les nations continentales qui ont sanctionné la consommation du fait de l'annexion de Gênes à la Sardaigne peuvent bien considérer les Génois comme sujets de la France, et leur territoire comme une de ses provinces; l'Angleterre n'est pas dans le cas de suivre la même politique. A l'appui de son opinion, il invoquait encore l'autorité de Vattel, dont il citait le paragraphe suivant :

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Vattel, Le droit, liv. 3, § 213; Halleck, ch. 35, § 10; Heffter, § 188; Bluntschli,

§ 729.

En cas d'alliance.

<«<Lorsqu'une nation, un peuple, un État a été subjugué tout entier, on demande si une révolution peut le faire jouir du droit de postliminie. Il faut distinguer les cas pour bien répondre à cette question. Si cet État subjugué n'a point encore donné les mains à sa nouvelle sujétion, s'il ne s'est pas rendu volontairement et s'il a seulement cessé de résister par impuissance, si son vainqueur n'a point quitté l'épée de conquérant pour prendre le sceptre d'un souverain équitable et pacifique, ce peuple n'est pas véritablement soumis; il est seulement vaincu et opprimé, et lorsque les armes d'un allié le délivrent, il retourne sans doute à son premier état. Son allié ne peut devenir son conquérant; c'est un libérateur qu'il est seulement obligé de récompenser. Que si le dernier vainqueur, n'étant point allié de l'État dont nous parlons, prétend le retenir sous ses lois comme un prix de sa victoire, il se met à la place du premier conquérant et devient l'ennemi de l'État opprimé par celui-ci; cet État peut lui résister légitimement et profiter d'une occasion favorable pour recouvrer sa liberté. »

« Si l'on examine attentivement cette doctrine, disait Mackintosh, on voit que l'auteur a voulu l'appliquer à deux cas entièrement distincts celui de l'émancipation par un allié investi réellement du droit de postliminie, et celui de la délivrance obtenue par l'assistance d'un État n'ayant pas ce caractère, mais dont le devoir est de rétablir dans son indépendance la nation opprimée. Or cette distinction est très-difficile à concilier dans le cas qui nous occupe.

Les judicieuses observations du célèbre jurisconsulte anglais ne parvinrent pas à faire changer le cabinet de Londres de conduite, et sa manière d'agir en cette circonstance a été blàmée plus tard par un grand nombre de publicistes *.

S 2987. Les nations alliées contre un ennemi commun devant être considérées comme un seul État, le principe juridique que nous analysons est applicable aux choses et aux personnes saisies par l'un ou l'autre des alliés.

Quant au territoire où ce principe peut être mis en pratique, il convient d'envisager la nature de l'alliance. Ainsi dans le cas d'une alliance générale on en fera respectivement l'application au

Wheaton, Hist., t. II, pp. 173-177; Phillimore, Com., v. III, §§ 123, 126; Mackintosh, Works, v. III, pp. 324, 336; Klüber, Acten, b. 7, §§ 420, 433; Vattel, Le droit, liv. 3, § 213; Annual Register, British, 1814, p. 191; Hansard, Parl. debates, v. XXX, pp. 891-935.

territoire de chacune des parties contractantes. Lorsque de deux puissances alliées l'une est complètement subjuguée et que l'autre ne dépose pas les armes, l'association des belligérants continue de subsister, et par suite le droit de postliminie subsiste également. Lors donc que la première de ces deux nations recouvre sa liberté, les anciens propriétaires peuvent ipso facto revendiquer leurs biens.

Rétablissement de l'an

rain.

$2988. Il peut arriver qu'un belligérant établisse sur le territoire qu'il occupe un gouvernement ou une autorité suprême et cien crée ainsi une espèce d'interrègne dans le pouvoir de l'ancien souverain. En semblable circonstance, si celui-ci venait à être réintégré, l'application du droit de postliminie ne serait point sans difficulté; peut-être même deviendrait-elle tout à fait impraticable à l'égard de beaucoup d'actes qui devraient être envisagés comme entièrement consommés. Heffter nous en fournit la nomenclature suivante :

« 1° Tous les changements opérés dans la constitution du pays pendant l'invasion cessent d'être obligatoires. En ce cas les relations politiques précédemment établies entre le souverain et le peuple rentreront en vigueur, à moins que le pouvoir constitutionnel ne juge utile d'y faire des changements ou de maintenir certaines parties de la constitution intermédiaire.

« 2° Par suite du rétablissement de l'ancien état de choses les institutions administratives et les actes purement réglementaires pourront être révoqués par le gouvernement intermédiaire. Le souverain restauré peut rétablir les lois, l'ad ministration et les autorités publiques, telles qu'elles existaient avant l'invasion; mais les droits privés nés sous ce régime, ainsi que les jugements rendus à la même époque, sont à l'abri de toute contestation, pourvu qu'ils puissent se concilier avec l'ordre de choses rétabli. Les conventions publiques conclues dans l'intervalle avec des souverains étrangers continuent à subsister, lorsqu'elles sont d'une nature réelle (in rem), sauf la faculté de les abroger par suite d'un changement de circonstances ou pour d'autres motifs légitimes.

5o Le souverain rétabli doit s'abstenir de faire un usage rétroactif de ses droits, soit envers ses propres sujets, soit envers des sujets étrangers, à raison de tout ce qui s'est passé pendant

Bello, pte. 2, cap. 4, § 8; Vattel, Le droit, liv. 3, §§ 207, 208; Bynkershoek, Quæst., lib. 1, cap. 5; Heffter, § 188; Kent, Com., v. I, p. 114; Halleck, ch. 35, §5; Klüber, Droit, § 270.

souve

Des contrats affectant

le

son expulsion conformément aux règles établies par le pouvoir · intermédiaire. Ainsi, par exemple, il serait injuste de réclamer des arriérés d'impôts ou de services qui, aux termes des lois précédentes, auraient dû lui être payés pendant le temps de son absence; car le gouvernement intermédiaire a succédé valablement aux droits et aux engagements de l'ancien État. Au contraire les impôts échus à cette époque, mais non recouvrés, sont dus incontestablement au souverain restauré; il peut en outre réclamer l'exécution des marchés passés avec le gouvernement intermédiaire.

« 4o Les aliénations de capitaux, de rentes et, en général, de biens qui font partie du domaine de l'État et non du domaine privé du souverain ou de la famille souveraine, opérées par le gouvernement intermédiaire, sont considérées comme valables*. » $2989. Cependant Bluntschli soutient que « le gouvernement domaine pu- restauré n'est pas tenu de reconnaître l'aliénation des domaines ou des revenus de l'État opérée par le gouvernement intérimaire, ou les dettes contractées par celui-ci pour le compte du pays occupé ; il pourra revendiquer les biens aliénés et refuser le remboursement des dettes. »><

blic.

Guerre francollemande

1870-1871.

«Bien que ces actes, dit-il, rentrent dans l'administration financière du gouvernement intérimaire, ils ont un caractère éminemment politique; le gouvernement restauré n'est donc nullement obligé de les accepter. » Il fait valoir en outre que le vainqueur, qui ne fait qu'occuper un territoire, n'en devient pas pour cela le souverain, et n'a par conséquent le droit ni d'aliéner les domaines publics ni de contracter des engagements au nom du pays; son droit se borne à exercer l'autorité exigée par les opérations militaires.

$ 2990. Cette doctrine semble avoir prévalu dans la dernière guerre entre la France et la Prusse. A mesure qu'ils pénétrèrent dans l'intérieur de la France, les Allemands installèrent dans les principales villes occupées par eux des autorités, tantôt civiles, tantôt militaires, qui administraient le territoire, édictaient des ordonnances, faisaient des réglements, rendaient la justice, percevaient les impôts, levaient des réquisitions, bref, agissaient en tout comme si le pays avait été conquis. On en a vu qui sont allés

* Heffter, § 188; Klüber, Droit, §§ 258, 259; Pfeiffer, In wiefern; Weiss, Deutsches Staatsrecht, § 251; Kamptz, Beitrage, t. I, no 9; §§ 4-8; Schmalz, Europ. Volkerrechts, p. 267.

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