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exemple, lorsque le traité de paix ne contient pas de dispositions formelles sur les propriétés saisies pendant la guerre, ces propriétés restent dans l'état où le traité les a trouvées et sont ainsi acquises à ceux qui les détiennent. Comme nous l'avons vu à propos de la portée des traités de paix, ces actes donnent la sanction du droit aux changements matériels survenus pendant la guerre, de sorte que les droits reconnus à la conclusion de la paix ne peuvent être changés que par la création de nouveaux droits.

Heffter fait avec raison ressortir la contradiction dans laquelle est tombé Vattel, lorsque dans son traité du Droit des gens (liv. III, chap. 14, 214) il dit que « les provinces, les villes et les terres que l'ennemi restitue par le traité de paix jouissent du droit de postliminie; car le souverain doit les rétablir dans leur premier état dès qu'elles retournent en sa puissance, de quelque façon qu'il les recouvre », et lorsque plus loin (S$ 245 et 216) il déclare que « tout ce qui est cédé à l'ennemi par le traité de paix est véritablement et pleinement aliéné; il n'a plus rien de commun avec le droit de postliminie, à moins que le traité de paix ne soit rompu et annulé. Et comme les choses dont le traité de paix ne dit rien restent dans l'état où elles se trouvent au moment où la paix est conclue et sont tacitement cédées de part ou d'autre à celui qui les possède, disons en général que le droit de postliminie n'a plus lieu après la paix conclue. »

En résumé la postliminie est un droit qui prend fin avec le fait anormal qui lui a donné naissance, et s'efface intégralement par la conclusion de la paix, en ce sens que les biens publics ou privés recouvrés par leurs légitimes propriétaires sont en cas de nouvelle guerre assimilés à ceux qui n'ont jamais été dans la possession de l'ennemi *.

Heffter.

du droit de postliminie aux reprises.

$ 2994. L'application du droit de postliminie aux reprises touche Application à la fois aux intérêts des belligérants et à ceux des neutres. Elle ne comporte pas de règle fixe et invariable, parce que la question rentrant plutôt dans le domaine du droit public que dans celui du droit international, chaque peuple l'a résolue à son point de vue particulier.

Lorsque le navire appartient à la nation qui en a opéré la re

* Bello, pte. 2, cap. 4, § 8; Vattel, Le droit, liv. 3, §§ 209, 212 et seq.; Heffter, § 188; Wheaton, Elem., pte. 4, ch. 4, § 4; Kent, Com., v. I, p. 116; Phillimore, Com., v. III, § 539; Manning, pp. 142, 143; Robinson, Adm. reports, v. VI, pp. 45,

Opinions des publicistes.

Grotius.

Bynkershoek.
Puffendorf.
Vattel.
Martens.

prise, il est clair que le droit de reprise et de propriété sera régi selon les lois intérieures de cette nation et que la restitution du bâtiment et de sa cargaison s'effectuera conformément à leurs dispositions. Ce qui en semblable matière complique la saine application du droit de postliminie, c'est le caractère variable des conditions auxquelles chaque pays soumet ses captures et les reprises avant de consacrer l'extinction légale des droits du possesseur primitif*.

§ 2995. Quand on examine les opinions émises à ce sujet par les publicistes, on est tout d'abord frappé de la confusion dans laquelle la plupart sont tombés en voulant assimiler les reprises opérées par les belligérants à celles faites par les neutres.

S'appuyant sur les lois romaines, qui admettent en principe que le droit de la guerre confère la pleine propriété des biens enlevés à l'ennemi, Grotius prétend qu'on est censé avoir pris une chose par droit de guerre lorsqu'on s'en est rendu maître de telle manière que l'ennemi auquel on l'a enlevée doive vraisemblablement avoir perdu l'espoir de la recouvrer: d'où il conclut que les navires et les autres choses dont on s'empare sur mer ne doivent être considérés comme pris que lorsque le capteur les a conduits dans un port ou dans une rade de sa dépendance, ou en pleine mer, au milieu de la flotte, c'est-à-dire en lieu de sûreté, parce que c'est alors seulement que l'ennemi commence à désespérer de les recouvrer; il est ainsi amené à nier la légitimité de l'application du droit de postliminie à un navire qui serait repris après avoir été ainsi conduit intra præsidia.

Bynkershoek, Puffendorf et Vattel sont du même avis. Martens, au contraire, ne regardant pas la capture comme un moyen légitime de transmission de la propriété, pense que « la reprise devrait à la rigueur être restituée au propriétaire, et qu'on n'a pas besoin de recourir à la fiction d'un droit de postliminie dès qu'on se persuade que la seule perte de possession n'éteint pas la propriété »; il penche donc pour qu'on prenne pour base une autre condition, notamment le traité de paix.

* Heffter, § 191; Wheaton, Élém., pte. 4, ch. 2, § 12; Bello, pte. 2, cap. 5, § 5; Hautefeuille, Des droits, t. III, pp. 366 et seq.; Phillimore, Com., v. III, § 407 ; Jouffroy, Droit marit., p. 313; Pistoye et Duverdy, Traité, t. II, tit. 7; Manning, p. 141; Halleck, ch. 35, § 12; Dalloz, Répertoire, v. Prises marit., sect. 3; Martens, Ueber Caper, §§ 40 et seq.; Steck, Essais, no 8; Pohls, Seerecht, b. 4, §§ 509-511; Kaltenborn, Seerecht, b. 2, p. 365.

Développant cette même opinion, Massé s'exprime ainsi : « Que dans les temps anciens, où la guerre se faisait pour le pillage et le butin, on ait placé la guerre au nombre des moyens d'acquérir, cela se comprend... Mais que dans les temps modernes, où la guerre a un autre mobile que l'intérêt individuel et où l'on ne se bat plus pour piller, on puisse adopter les principes du droit romain et même dans l'application en exagérer la portée, c'est ce que je ne crois pas admissible. Il est vrai que la course est autorisée et que le corsaire qui a fait une prise et l'a amenée dans un port de sa domination est reconnu propriétaire de sa valeur; mais c'est là moins une véritable propriété qu'une possession de fait, qui ne repose que sur la volonté du souverain du capteur et qui n'a de réalité que parce que la chose prise se trouve placée hors des atteintes de celui à qui elle a été prise. C'est une occupation fondée sur la force, mais non sur le droit, et qui ne peut être translative de propriété que lorsque le capturé a renoncé à ses droits pour reconnaitre ceux du capteur; mais comme tant que dure la guerre le capturé n'est jamais présumé faire cette renonciation, qui ne peut résulter que des stipulations générales d'un traité de paix, et qu'au contraire, alors même qu'il a perdu l'espérance de recouvrer sa chose, il est présumé conserver la volonté de la reprendre, s'il la retrouve jamais à sa portée, il faut en conclure que le droit qui naît de l'occupation du capteur est essentiellement résoluble, et qu'il cesse au moment où à la possession du capteur succède celle d'un tiers qui, se trouvant soumis à la même juridiction que le capturé, reste passible de son action en revendication. Lors donc qu'une reprise a lieu, quel que soit le temps écoulé depuis la prise, la chose doit être restituée à son précédent propriétaire, sous la seule déduction des frais de reprise et de la récompense due aux équipages repreneurs. Peu importe même que la chose ait été mise à couvert de la poursuite, intra præsidia; car l'impossibilité actuelle de la poursuite n'empêche pas qu'il n'y ait eu volonté de poursuivre.

Massé.

Ces idées généreuses, auxquelles se sont ralliés presque tous les Hautefeuille. publicistes modernes les plus éminents, entre autres Hautefeuille

et Gessner, ne sont cependant pas encore entrées dans les usages

et les règles du droit des gens *.

Gessner, pp. 344 et seq.; Grotius, Le droit, liv. 3, ch. 6, § 3; ch. 9, § 14; Bynkershoek, Quæst., lib. 1, cap. 5; Martens, Essai, § 45; Massé, t. I, § 424; Hautefeuille, Des droits, t. III, pp. 385 et seq.

Gessner.

Législation

française.

$2996. Le principe consacré en France est que le navire capturé par un ennemi et repris par un armateur français avant d'être resté vingt-quatre heures au pouvoir du capteur doit, ainsi que sa cargaison, être restitué aux propriétaires, sauf le tiers de la valeur, qui est retenu au profit de celui qui a fait la recousse. L'ancienne législation française n'établissait point de distinction entre la reprise faite par un navire de guerre et celle opérée par un corsaire. Sous le règne de Louis XIV on accordait la restitution, alors même qu'il s'était écoulé un plus long délai, moyennant le paiement d'une gratification à ceux qui avaient opéré la reprise. Ce mode de procéder fut confirmé par l'ordonnance du 15 juin 15 juin 1779. 1779, laquelle disait : « En ce qui concerne les reprises faites par les vaisseaux, frégates et autres bâtiments de S. M., le tiers sera adjugé à leur profit pour droit de recousse, si elle a été faite dans les vingt-quatre heures; et après ce délai la reprise sera adjugée en entier à S. M., comme par le passé.

Ordonnance

du

Arrêté du 2 prairial

an XI.

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Depuis il s'est opéré une réaction dans le sens favorable aux droits du propriétaire. L'arrêté du 2 prairial an x1, qui règle encore aujourd'hui la matière, a modifié les dispositions des ordonnances royales précédentes en ce qui concerne les reprises faites par les vaisseaux de guerre; mais sur les autres points il a en général laissé subsister les anciens réglements. L'article 54 est ainsi conçu: « Si un navire français ou allié est repris par des corsaires sur les ennemis de l'État après qu'il aura été vingt-quatre heures entre les mains de ces derniers, il appartiendra en totalité aux dits corsaires; mais dans le cas où la reprise aura été faite avant les vingt-quatre heures, le droit de recousse ne sera que du tiers de la valeur du navire recous et de sa cargaison.

«

Lorsque la reprise sera faite par un bâtiment de l'État, elle sera restituée aux propriétaires, mais sous la condition qu'ils paieront aux équipages repreneurs le trentième de la valeur de la reprise, si elle a été faite avant les vingt-quatre heures, et le dixième, si la reprise a eu lieu après les vingt-quatre heures; tous les frais relatifs à cette reprise restituée seront à la charge des propriétaires.

Les armateurs conservent dans toute son étendue leur droit de recousse, qui demeure fixé au tiers de la valeur dans le premier cas, et à la totalité du navire et de sa cargaison dans le second.

Hautefeuille, Des droits, t. III, pp. 379, 380; Pistoye et Duverdy, t. II, pp. 104 et seq.; Massé, t. I, § 423; Dalloz, Répertoire, v. Prises marit., sect. 3, art. 3, §§ 193 et

anglaise.

$ 2997. La jurisprudence anglaise n'est pas aussi restrictive. Il a Législation été pendant longtemps d'usage en Angleterre de restituer au propriétaire toutes les reprises faites par les vaisseaux de guerre moyennant le paiement d'un droit de recousse, dont le montant n'était pas fixé d'une manière précise, mais variait selon les circonstances qui avaient accompagné la reprise. Le même principe était appliqué aux reprises faites par des corsaires, à moins qu'elles n'eussent été opérées intra præsidia; la restitution se faisait dans ce cas pleine et entière. Cet usage subsista jusqu'à la fin du XVIIe siècle, époque à laquelle il fut remplacé par la législation qui est encore en vigueur aujourd'hui.

Attachant désormais peu d'importance à la question de temps, qui jusque là avait été prise en si haute considération, la première loi promulguée sur la matière allouait au vaisseau de guerre qui faisait une reprise un huitième de la valeur du navire et de la cargaison, sans égard au délai, dont il n'était plus tenu compte que pour les reprises faites par des armateurs, qui avaient également droit à un huitième, si le navire pris était resté moins de vingt-quatre heures au pouvoir de l'ennemi; à un cinquième, s'il y était demeuré plus de vingt-quatre heures et moins de quarantehuit; à un tiers, s'il s'était écoulé plus de quarante-huit heures, mais moins de quatre-vingt-seize entre la prise et la reprise; enfin à la moitié pour un intervalle dépassant quatre-vingt-seize heures. Cette règle a reçu de fréquentes applications et a été confirmée par de nombreux actes du Parlement, notamment par celui

de 1740.

Au commencement de la guerre avec ses colonies d'Amérique la Grande-Bretagne, ne regardant pas ses sujets révoltés comme de véritables ennemis, promulgua deux actes qui déclaraient que tous les bâtiments anglais pris sur les rebelles, quels que fussent les capteurs, seraient restitués aux propriétaires, sauf déduction du huitième de la valeur pour droit de recousse. Par la suite cette disposition fut étendue à tous les bâtiments pris par les croiseurs des puissances qui prirent part aux hostilités.

seq.; Gessner, pp. 348 et seq.; Wheaton, Élém., pte. 4, ch. 2, § 12; Phillimore § 411; Twiss, War, § 175; Manning, pp. 141, 142; Grotius, Le droit, liv. 3, ch. 6, § 3, Loccenius, De jure marit., lib. 2, cap. 4, nos 4, 8; Valin, Com., liv. 3, tit. 9, art. 8: Valin, Traité, ch. 6, sect. 1, §§ 8 et seq.; Pothier, De la propriété, nos 97, 99, 100; Emerigon, Traité des assurances, t. I, pp. 497, 499, 504, 505; Azuni, Système, pte. 2' ch. 4, §§ 8, 9, 11; Halleck, ch. 35, § 17; Bello, pte. 2, cap. 5, § 6; Dana, Elem. by Wheaton, note 178; Martens, Essai, § 60, p. 161.

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