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que le terme est d'origine italienne, contrabbando, attendu que le plus ancien document dans lequel on le trouve est une charte italienne datée de 1445, où le mot latin équivalent contrabannum est employé au sujet d'un commerce prohibé par l'autorité souveraine d'un État à ses citoyens en temps de paix.

La notion de contrebande de guerre ne commença à se répandre et à se déterminer avec quelque précision qu'à l'époque où commença en Europe la formation des grandes nationalités. La Ligue hanséatique dans quelques circonstances défendit aux neutres de commercer avec ses ennemis, et dans d'autres elle maintint contre les belligérants la liberté la plus absolue dans les transactions commerciales, en l'étendant jusqu'aux articles considérés comme prohibés en temps de guerre.

Le mot de contrebande n'est pas employé par Grotius, dont l'ouvrage sur « le Droit de la guerre et de la paix >> a eu sa première édition publiée en 1625; mais on le rencontre dans un traité d'alliance offensive et défensive conclu la même année (17 septembre) à Southampton entre le roi Charles Ier d'Angleterre et les Provinces Unies des Pays-Bas.

Du texte de ce traité il semble résulter que le mot contrebande avait à cette époque une acception reconnue par les nations comme désignant une branche de commerce maritime qui était défendue aux marchands en temps de guerre; on lit en effet à l'article 20: « Toutes marchandises de contrebande, comme sont munitions de bouche et de guerre, navires, armes, voiles, cordages, or, argent, cuivre, fer, plomb'et semblables, de quelque port qu'on les voudra porter en Espagne et autres pays de l'obéissance du dit roi d'Espagne et dits adhérents, seront de bonne prise avec les navires et les hommes qu'ils porteront *. »

Cauchy, t. I, pp. 54, 55, 159, 355-358; t. II, pp. 63, 64, 80, 87, 88, 183, 184, 188, 189, 272, 291; Gessner, pp. 70 et seq.; Heffter, §§ 158, 159; Hautefeuille, Des droits, t. II, pp. 69 et seq.; Hautefeuille, Hist., tit. 1, p. 68; Grotius, Le droit, liv. 3, ch. 1, § 5; Vattel, Le droit, liv. 3, ch. 7, § 112; Bynkershoek, Quæst., lib. 1, cap. 10; Wheaton, Elem., pte. 4, ch. 3, § 24; Kent, Com., v. I, p. 138; Phillimore, Com., v. III, § 228; Twiss, War, §§ 121 et seq.; Martens, Précis, § 315; Klüber, Droit, § 288; Bluntschli, § 801; Ortolan, Règles, t. II, pp. 175, 176; Massé, t. I, § 195; Pistoye et Duverdy, Traité, liv. 1, tit. 6, ch. 2, sect. 3; Fiore, t. II, p. 436; Manning, p. 281; Wildman, v. II, p. 210; Halleck, ch. 24, § 1; Jouffroy, pp. 102 et seq.; Lampredi, pte. 1, § 7; Pando, p. 486; Bello, pte. 2, cap. 8, § 4; Riquelme, lib. 1, tit. 2, cap. 15; Garden, Traité, t. II, pp. 438 et seq.; Steck, Essais, pp. 68 et seq.; Nau, Wolkerseerecht, §§ 153 et seq.; Vergé, Précis de Martens, t. II, pp. 321-323.

Opinions des

$2417. Le développement de cette partie du droit international s'est opéré si lentement que les publicistes du XVIIe siècle n'ont publicistes établi que des principes généraux d'une portée assez limitée.

Hautefeuille divise en trois classes les publicistes qui ont écrit sur la contrebande de guerre, savoir: 1° ceux qui se sont guidés d'après les principes du droit naturel; 2° ceux qui ont plus ou moins étendu ces principes; 3° enfin ceux qui admettent des marchandises douteuses et susceptibles, suivant les circonstances, de devenir contrebande de guerre. Cette classification a été adoptée par Pradier-Fodéré dans son édition de Grotius. Sans méconnaitre les fondements rationnels sur lesquels il s'appuie, nous préférons suivre la méthode chronologique, qui a surtout l'avantage de montrer comment les publicistes ont successivement précisé et mieux défini la notion de la contrebande de guerre.

2418. Gentilis, dans son livre De jure belli, qu'il publia en 1585, dit: Est æquo æquius et favorabili favorabilius et utili utilius. Lucrum hi commerciorum sibi perire nolunt. Illi nolunt quid fieri quod contra salutem suam est. Jus commerciorum æquum est, ac hoc æquius tuendæ salutis; est illud gentium jus, hoc naturæ est; est illud privatorum, hoc regnorum. (Il est quelque chose de plus équitable que ce qui est équitable, qui mérite plus d'être favorisé que ce qui le mérite, et de plus utile que ce qui est utile. Ceux-ci ne veulent pas perdre le gain du commerce; ceux-là ne veulent pas qu'on fasse quelque chose qui soit contre leur salut. Le droit du commerce est équitable; mais le droit de défendre son salut l'est davantage; le premier est un droit des gens, le second un droit de nature; l'un est un droit des particuliers, l'autre un droit des États.) Ces paroles offrent une contradiction évidente entre le droit naturel et celui des gens. D'un autre côté, voir dans le commerce de la contrebande de guerre, comme le fait sentir Gentilis, un droit appartenant exclusivement aux combattants, c'est en définitive sanctionner les actes arbitraires les plus exorbitants et les abus les plus inqualifiables.

$2419. La doctrine soutenue par Grotius n'a pas été moins défavorable au commerce neutre; elle divise les articles qui peuvent être l'objet de ce genre de trafic en trois groupes: le premier comprend ceux qui servent directement et immédiatement à la guerre, tels que les armes; le second, ceux qui ne peuvent pas être employés à cet usage; et le troisième, ceux d'une nature douteuse ou mixte, c'est-à-dire dont l'utilité et l'emploi dépendent de la volonté de

anciens et modernes.

Gentilis.

Grotius.

Bynkershoek.

Heineccius.

Vattel.

leur possesseur, tels que l'argent, les vivres, les navires, etc. Les deux premiers groupes ne sauraient soulever de doute et ne comportent dès lors aucune discussion; en effet les articles compris dans le premier constituent forcément la contrebande aussitôt que les hostilités sont déclarées, tandis que ceux qu'embrasse le second n'en font pas partie, puisqu'on les désigne dès le principe comme n'ayant aucune utilité pour la lutte. Mais la question est plus délicate quant aux articles qui forment le troisième groupe; pour la résoudre il faut se guider d'après l'état de guerre. « Si, dit Grotius, je ne puis me défendre qu'en interceptant les choses envoyées à mon ennemi, la nécessité me donnera le droit de le faire, mais sous la charge de restitution, à moins qu'une autre cause ne survienne. »

Cette doctrine a été vivement critiquée par Gessner et par Hautefeuille; ce dernier lui reproche de n'avoir d'autre fondement qu'une prétendue loi de la nécessité qui ne justifie rien, et de confondre arbitrairement les règles de la contrebande de guerre et celles du blocus. Halleck trouve que la doctrine et la classification de Grotius, au lieu d'écarter les difficultés, en créent de nouvelles, puisqu'elles ne déterminent avec précision ni les effets qui appartiennent à chacun des trois groupes, ni les circonstances qui les rendent passibles de saisie et de confiscation.

S2420. Bynkershoek a réfuté la classification adoptée par Grotius, en posant comme principe général, déduit des stipulations conventionnelles conclues par les Pays-Bas, que les armes et les munitions de guerre constituent scules la véritable contrebande, et que les édits en sens contraire étaient en si petit nombre qu'il ne fallait y voir qu'une exception confirmant la règle. Cependant, par une de ces contradictions si fréquentes chez les écrivains de son temps, le même auteur trouvait tout naturel que les États Généraux, dans le but de nuire à la Suède, eussent prohibé le trafic d'articles ne pouvant servir directement à la guerre et assimilé à la contrebande les munitions navales toutes les fois qu'il y avait lieu de supposer l'ennemi dans un dénùment tel qu'il eût un pressant besoin de renouveler ses approvisionnements pour pouvoir continuer la guerre.

S2421. Heineccius, un des contemporains de Bynkershoek, veut que la prohibition tant discutée ne porte que sur les canons, les armes de toute espèce, la poudre, les cordages, les voiles, les apparaux maritimes, les céréales, le sel, le vin, l'huile et toutes les provisions de bouche.

S 2422. Vattel adopte l'ensemble de cette énumération, en en

exceptant les vivres, dont il n'admet la prohibition que dans le cas où il n'y a pas d'autre moyen de réduire l'ennemi.

§ 2425. Valin, se guidant d'après l'ordonnance de la marine de 1681, classe parmi la contrebande les armes, les munitions et les équipements militaires; il rappelle que dans la guerre de 1700 la France ajouta le goudron à ces articles, en juste représaille de la conduite observée par ses ennemis.

S 2424. Si les publicistes modernes n'offrent pas dans leurs écrits une plus grande uniformité sur cette matière, ils ont en revanche l'avantage d'avoir discuté la question avec plus d'ampleur, non seulement dans ses rapports avec les belligérants, mais encore au point de vue des intérêts des neutres.

Valin.

Cocceius.

Pour cette question spéciale Cocceius marque, on peut le dire, la ligne de séparation entre les auteurs anciens et les modernes. Faisant vivement ressortir les contradictions dans lesquelles ses prédécesseurs sont tombés, il soutient que le droit international ne pose pas de limites au commerce des neutres, et il arrive ainsi à nier d'une manière absolue que la notion de la contrebande de guerre soit du ressort de la loi des nations. Sans contester que le belligérant puisse prohiber l'entrée de vivres ou de munitions dans des ports bloqués, il faut bien reconnaître qu'il n'existe pas de corrélation directe et nécessaire entre cette prohibition et le point en discussion, l'une et l'autre ayant pour base des principes distincts. $2425. Se plaçant à cet égard au même point de vue, Lam- Lampredi predi dit que le souverain neutre a seul qualité pour restreindre le commerce de ses sujets, mais que par contre les États belligérants ont, de leur côté, en vertu du droit de légitime défense, la faculté de mettre obstacle à tout ce qui peut faciliter à leur adversaire le moyen de poursuivre la lutte; c'est au moyen de stipulations conventionnelles qu'on doit fixer les limites vraies dans lesquelles on entend que continuent les transactions commerciales avec l'ennemi.

$2426. Galiani prétend faire dériver d'un principe d'équité la notion de la contrebande de guerre. « Ce n'est jamais, dit-il, un devoir rigoureux pour les neutres de s'abstenir de procurer des armes et des munitions aux autres à moins qu'ils ne s'y soient formellement engagés par un traité. Ainsi, lorsqu'une nation renonce aux avantages de son commerce en faveur d'une autre, c'est toujours par principe d'équité, mais non par l'effet d'une obligation indispensable. En tout cas les belligérants sont tenus, au début de la guerre, de notifier aux neutres qu'ils désirent que cer

Galiani.

Jouffroy.

Wheaton.

Ortolan.

taines marchandises ne soient pas fournies à leurs ennemis. Cette notification une fois faite, les neutres sont dans la règle obligés de l'observer; ils en sont dispensés toutefois lorsque les articles prohibés sont au nombre des produits principaux de leur pays. Lorsque la fourniture d'une certaine marchandise, par exemple de soufre, de salpêtre, de fer, de bois de construction, constitue un des revenus principaux d'une nation neutre, le commerce de cet article ne peut lui être interdit. »>

Ainsi Galiani, en dernière analyse, aboutit aux mêmes conclusions que son compatriote Lampredi, c'est-à-dire à une théorie de contrebande purement conventionnelle, qui du reste ne paraît pas avoir été sanctionnée par la pratique générale des États modernes.

$2427. Jouffroy, après avoir établi comme règle pratique qu'on doit comprendre dans le commerce illicite tous les articles absolument indispensables à l'attaque ou à la défense, les divise en six catégories 1 armes de toute espèce; 2° effets nécessaires à l'usage de la guerre; 5° vêtements des troupes; 4° navires de guerre construits et armés dans des ports neutres pour le service d'un belligérant; 5 munitions navales (destinées à la construction, à l'équipement et à la réparation des navires; 6° comestibles constituant l'alimentation habituelle des équipages, et bêtes de somme destinées aux ports ou aux arsenaux de la marine militaire.

$2428. Wheaton n'a guère fait que s'approprier les idées générales émises par Sir W. Scott, en constatant la difficulté qu'il y a de formuler en cette matière un principe absolu propre à concilier les opinions divergentes des auteurs avec les règles consacrées soit par les tribunaux de prises, soit par les stipulations conventionnelles. Au milieu des hésitations qui marquent l'expression de sa pensée, on devine pourtant chez Wheaton une tendance. à exclure des articles confiscables les vivres et les articles susceptibles d'être utilisés en temps de guerre comme en temps de paix. $ 2429. Ortolan pense que les armes et les instruments militaires, ainsi que les munitions indispensables pour faire la guerre, sont les seuls objets qui puissent être considérés comme contrebande de guerre, mais que tout ce que peut faire le belligérant quant aux objets qui ont une application double, c'est de les assimiler aux précédents dans les circonstances douteuses, c'est-àdire quand ils ont réellement un caractère suspect. En ce qui concerne les vivres et les autres articles de première nécessité, il n'admet pas qu'en dehors des cas de blocus on en frappe le trafic

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