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est confisqué sans retour. Le reprendre, c'est faire une véritable conquête. Il n'en est pas ainsi du navire étranger se prétendant neutre; ce navire ne peut devenir confiscable que par jugement. Il faut donc le juger après la recousse, comme on l'aurait jugé s'il n'eût pas été recous. Il serait sans doute plus généreux de la part de nos compatriotes de rendre au véritable propriétaire les marchandises ou les navires français qu'ils reprennent sur l'ennemi. La dernière guerre nous a offert plusieurs exemples de cette générosité, dont j'ai déjà parlé dans une autre occasion; mais les lois, sans renoncer à l'avantage d'inspirer les vertus douces et désintéressées, ne peuvent se proposer pour objet principal que le plus grand bien de l'État. Elles eussent craint de décourager la recousse des navires français par d'autres français, si elles n'eussent garanti au preneur ce qu'il avait enlevé à l'ennemi par son intrépidité et son courage.

« Le propriétaire fançais capturé par le sujet d'une nation en guerre avec la nôtre est irrévocablement dépouillé de son bien, si sa situation ne change pas. Recous par un français, il ne recouvre pas personnellement la propriété; mais l'État la recouvre. Or c'est l'intérêt de l'État qui a dirigé les vues de la législation; puisqu'on ne pouvait se promettre de rendre les hommes généreux, on les a invités, par la considération de leur propre intérêt, à devenir utiles.

« Les lois ont plus directement pour objet le bien de la société et l'utilité particulière du citoyen que la perfection morale de l'homme. On voit donc actuellement pourquoi l'on doit en user autrement à l'égard des étrangers recous qu'à l'égard des Français qui se trouvent dans le même cas.

<«<La recousse faite sur l'ennemi du navire le Kitty par un navire français ne pouvait donc jamais par elle-même devenir un juste motif de confiscation, si ce navire et sa cargaison sont constatés neutres. Or il résulte évidemment des considérants qui ont motivé le jugement du consul français à Cadix qu'en prononçant la confiscation des marchandises chargées sur le navire le Kitty ce consul ne s'est déterminé que par la circonstance de la recousse; si elle avait pu être concluante, il fallait frapper tant contre le navire que contre la cargaison. Pourquoi donc confisquer la gaison et relâcher le navire? Le tribunal d'appel, plus juste et plus conséquent, a relâché le navire et la cargaison. Il a jugé, en conformité des principes adoptés par le conseil, que la recousse seule ne pouvait motiver la validité d'une prise. On n'a critiqué ni

la nature du chargement ni les pièces de bord. On a reconnu que tout était neutre; donc il serait impossible de ne pas prononcer que la prise est invalide.

« Je n'ai qu'un mot à dire sur le défaut de passeport et de rôle d'équipage. Si ces deux pièces essentielles n'avaient pas existé, on n'eût pas oublié d'en faire mention dans le procès-verbal de capture et dans le jugement du consul. Or le procès-verbal de capture et le jugement du consul supposaient au contraire que . toutes les pièces de bord étaient en règle et qu'il n'en manquait aucune. Mais on sait que le navire a été relâché et qu'il ne pouvait se passer pour son retour d'un rôle d'équipage et du passeport. Il est donc dérisoire de venir aujourd'hui et après coup exciper d'un prétendu défaut de passeport et de rôle d'équipage, quand on n'a eu garde de le faire lorsque les choses étaient entières et que la vérification du fait était possible. L'invalidité de la prise est donc manifeste.

<< Faut-il accorder des dommages et intérêts au capturé? Je ne le pense pas. Il y a toujours motif d'arrêter un navire tombé dans les mains de l'ennemi. En second lieu, la question de la recousse, n'étant fixée par aucune loi précise et se trouvant controversée entre les auteurs, a pu donner lieu à des doutes capables de constituer le capteur en bonne foi.

<< Par ces considérations je conclus à l'invalidité de la prise, à la main-levée du navire et de l'entière cargaison sans dommages et intérêts. >>

Le droit de recousse dans

Telle fut également l'opinion du conseil, qui sanctionna dans toute son étendue l'opinion émise par le commissaire du gouvernement *. $5023. Nous avons déjà expliqué ce qu'on entend par droit de recousse, et exposé les difficultés qu'offre l'établissement de les règles générales propres à fixer la proportion dans laquelle doit s'accorder cette rémunération.

reprises

neutres.

$5024. Voici en quels termes Bynkershoek s'exprime sur l'ap- Opinions de plication de ce droit aux reprises de propriétés appartenant à des Bynkershoek.

Pistoye et Duverdy, t. II, pp. 120 et seq.; Hautefeuille, Des droits, t. II, tit. 13, ch. 3; Massé. t. I, § 429; Gessner, pp. 344 et seq.; Wheaton, Élém., pte. 4, ch. 2, § 12; Heffter, §§ 191, 192; Fiore, t. II, pp. 533-535; Martens, Essai, §§ 52, 59; Valin, Com., liv. 3, ch. 9, art. 10; Jouffroy, pp. 357-363; Jacobsen, Seerecht, p. 814; Nau, Volkerseerecht, § 278; Grotius, Le droit, liv. 3, ch. 6, § 3; ch. 9, § 14; Vattel, Le droit, liv. 3, § 196; Phillimore, Com., v. III, §§ 408 et seq.; Klüber, Droit, § 254; Merlin, Répertoire, v. Prises marit., § 3, art. 4; Dalloz, Répertoire, v. Prises marit., sect. 3, art. 3.

publicistes

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neutres: « Quare si ex ratione rem placet æstimare, ipse putarem omnem temporis distinctionem esse abolendum ejusque loco habendam rationem operarum et impensarum quas recuperator fecit; habendam rationem periculi quod in recuperando subiit; habendam rationem pretii navium et mercium recuperatarum, et ex his omnibus boni viri arbitrio statuendum quid pro operis, expensis, mercede recuperatori tribuendum sit, neque id parcû sed liberali manu, ad excitandum recuperatorum industriam. (C'est pourquoi, si l'on veut juger la chose selon la raison, je serais d'avis qu'on doit abolir toute distinction de temps, et qu'à la place on doit tenir compte des dépenses et des efforts que le recapteur a faits; on doit tenir compte du danger qu'il a couru en opérant la recousse; on doit tenir compte du prix des marchandises et du navire recous; et d'après tout cela on doit faire statuer par le jugement d'un homme compétent ce qu'il y a à accorder au recapteur pour ses efforts, ses dépenses, sa récompense, non d'une main parcimonieuse, mais libérale, afin d'exciter l'activité des recapteurs.) »

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Presque tous les publicistes modernes ont reconnu la légitimité de la récompense due par le neutre au recapteur. Cependant Massé la limite aux cas dans lesquels la déclaration ultérieure de bonne prise par un tribunal compétent n'est pas douteuse. Or, selon lui, une reprise n'est légitime, de telle sorte que faite vingt-quatre heures après la prise elle soit un titre de propriété pour celui qui fait la recousse, qu'autant que la première prise était de nature à pouvoir être déclarée valable ». « Si donc, ajoute-t-il, la prise est nulle ou annulable, il en est de même de la reprise; et celui qui l'a faite doit la restituer au propriétaire sans pouvoir y prétendre autre chose que le recouvrement des frais et des dépenses que la reprise lui a occasionnés. »>

Mais même dans ce cas on ne saurait nier que le neutre a reçu un service qu'il doit rétribuer proportionnellement *.

$ 3025. Il y a deux siècles c'était encore un principe admis dans toute l'Europe que le navire repris sur des pirates appartenait à ceux qui s'en étaient emparés. Le Parlement de Paris se prononça dans ce sens le 24 avril 1624, à l'occasion d'une reprise faite sur les pirates d'Alger. Cette décision était conforme aux lois existant alors en Espagne, en Hollande et à Venise.

$ 3026. Grotius et Barbeyrac approuvent cette doctrine; toute

Gessner, pp. 353 et seq.; Bynkershoek, Quest., lib. 1, cap. 5; Massé, t. I, § 426.

fois dans la pratique ils en limitent l'application au cas où le recapteur et le propriétaire du navire seraient sujets de la même. nation; mais si le navire appartient à des étrangers, il doit leur être restitué.

Grotius. Barbayrac.

Jurisprudence

§ 3027. La rigueur de cette coutume, explicable seulement dans les monarchies absolues, a disparu pour faire place à des principes moderne. plus équitables. On reconnaît généralement de nos jours que le pirate n'a aucun droit à la possession des objets dont il s'empare, attendu que, n'ayant aucun droit de faire des prises, il ne saurait être admis au bénéfice de l'occupatio bellica, et qu'aucune raison, aucun motif. ne peut couvrir le vice et la nullité de l'origine de sa possession; aussi la propriété reprise sur lui retourne-t-elle de droit à son propriétaire primitif.

conventionnelles.

S3028. Presque tous les traités stipulent en cette matière la Stipulations restitution moyennant le paiement d'un droit de recousse fixé d'une manière analogue au droit exigé pour les reprises ordinaires. Quelques-uns portent que la restitution doit être entière et complète. Au nombre de ces derniers on peut citer le traité conclu le 3 avril 1783 entre la Suède et les États-Unis (1).

$ 3029. La loi anglaise consacre la doctrine de la restitution Loi anglaise. moyennant paiement du droit de recousse, et elle fixe ce droit au huitième de la valeur réelle de la propriété reprise. Une ordonnance du conseil du 50 juillet 1849 dispose que ce huitième sera distribué à l'équipage du navire recapteur, ou remis à la direction de la Compagnie orientale des Indes lorsque la recousse a été opérée par un de ses navires. La dissolution de la compagnie dont il s'agit a abrogé implicitement cette dernière disposition.

Considérations géné

S 3030. En somme la législation en vigueur sur ce point chez les divers États, quoiqu'elle ait sensiblement adouci la sévérité des rales." anciennes coutumes, laisse encore beaucoup à désirer. « Les règles du droit secondaire, dit Hautefeuille, et les usages des nations mari- Hautefeuille. times au sujet des reprises faites sur les pirates, bien qu'ils se rapprochent du droit primitif beaucoup plus que ceux adoptés pour les recousses faites sur l'ennemi, puisqu'ils ordonnent la restitution. du navire et de sa cargaison, appellent encore des réformes et des améliorations; il est à désirer que les peuples s'entendent enfin pour régler cette question d'une manière uniforme. Cela est d'au

(1) Elliot, v. I, p. 168; Martens, 1re édit., t. II, p. 328; t. VII, p. 52; 2o édit., t. III, p. 565.

Reprise

d'un billet

tant plus facile que ces reprises sont le plus souvent l'œuvre des bâtiments de l'État, dont la mission, en temps de paix comme en temps de guerre, est d'assurer la liberté et la sécurité des mers, et qui par conséquent n'ont droit à aucune récompense pécuniaire pour avoir rempli leur devoir *.

$ 5051. En cas de reprise d'un billet de rançon ou d'un otage, de rançon et celui qui l'opère a-t-il le droit de retenir l'otage et d'exiger la rançon?

d'un otage.

Précédent historique.

Reprise

d'une reprise

recousse.

Cette question est tranchée par le précédent historique suivant: pendant la guerre de la succession d'Autriche en 1748 un corsaire anglais, qui avait rançonné une barque française venant de Bayonne, fut, en quittant l'ile de Guernesey, capturé par la corvette française l'Amarante, on trouva à bord l'otage et le billet de rançon. L'amiral décida que la prise était valable et adjugea la rançon au roi, qui en annula le billet et déchargea les propriétaires de la barque du paiement de la somme pour laquelle elle avait été rançonnée.

$ 3032. On ne saurait mettre en doute que la reprise d'un naou recousse- vire capturé ne donne le droit de recousse au croiseur qui opère cette reprise; mais la question n'est plus aussi claire lorsqu'il s'agit d'un navire pris par un croiseur, repris ensuite par l'ennemi et enfin repris de nouveau par un autre croiseur; dans ces circonstances en effet il y a à décider auquel des deux recapteurs le droit de recousse doit être attribué, et si la seconde reprise éteint les droits de la première.

Cas résolu en France.

$ 3033. Un navire français armé en course s'empara d'une embarcation anglaise, qu'il garda trois jours, au bout desquels l'un et l'autre tombèrent au pouvoir d'un autre navire anglais, qui seize heures après fut repris avec ses prises par un autre corsaire français. Il s'ensuivit une contestation entre les deux armateurs français, non au sujet du navire pris et repris, à l'égard duquel le droit de recousse de l'armateur du premier corsaire devait évidemment se borner au tiers de la valeur du navire, mais au sujet de

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Hautefeuille, Des droits, t. III, pp. 407 et seq.; Grotius, Le droit, liv. 3, ch. 9, § 16; Loccenius, De jure marit., lib. 2, cap. 4, no 4; Valin, Traité, ch. 6, sect. 2, § 2; sect. 3, § 3; Wheaton, Élém., pte. 4, ch. 2, § 12; Phillimore, Com., v. III, §§ 411, 412; Halleck, ch. 32, § 26; Azuni, t. II, ch. 4, art. 5, §§ 7 et seq.; Guidon de mer, ch. 11; Pothier, De la propriété, no 101; Cleirac, De la juridiction, p. 180; Cussy, Phases, liv. 1, tit. 3, § 30; Dalloz, Répertoire, ▾. Prises marit., sect. 3, art. 3. Pistoye et Duverdy, t. II, p. 107; Massé, t. I, § 431; Bello, pte. 2, cap. 5, § 6; Valin, Traité, ch. 11, sects. 2, 3; Emerigon, chs. 12, 23; Cussy, Phases, liv. 1, tit. 3, § 29; Halleck, ch. 35, § 26; Merlin, Répertoire, v. Prises marit., sect. 3, art 4; Dalloz, Répertoire, v. Prises marit., sect. 3, art. 3.

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