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Opinions des publicistes. Jouffroy.

Ortolan.

Gessner.

Moseley.

Heffter.

La quasicontrebande.

S 2511. Jouffroy, ainsi que nous l'avons vu, fait rentrer dans une des six classes entre lesquelles il a divisé les objets prohibés comme contrebande de guerre « les bâtiments de guerre de tout rang, construits et armés dans des ports neutres pour le compte et le service d'une puissance belligérante.

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Ortolan est d'avis qu'on ne saurait contester « que le navire propre aux usages de la guerre doive être rangé parmi les objets de contrebande et soit exposé, comme tel, à capture et à confiscation. S'il existe, dit-il, certaines incertitudes ou quelque désaccord quant à la détermination en détail de cette contrebande, toujours est-il universellement reconnu qu'il y faut comprendre tous instruments quelconques fabriqués à l'usage de la guerre. Or quel instrument plus directement construit à cet usage, quel engin d'un emploi plus offensif, quelle machine de guerre plus complète qu'un bâtiment de guerre ? »

Gessner fait observer que, bien que les vaisseaux de guerre ne soient pas en général mentionnés par les traités au nombre des articles de contrebande, ils sont cependant toujours considérés comme en faisant partie.

Moseley comprend dans la catégorie des objets prohibés même les bâtiments marchands dans certaines circonstances. « Non seulement, dit-il, les armes et les munitions, mais dans une guerre maritime ou une guerre entre des puissances maritimes les bâtiments équipés comme vaisseaux armés, ainsi que ceux qui servent au transport de troupes, et même les navires marchands dans certaines circonstances sont de la contrebande de guerre au premier degré et, comme tels, sujets à confiscation. » Il base son raisonnement sur cette règle « les navires d'un ami au service d'un ennemi sont des ennemis ».

Heffter va plus loin il soutient que même la construction de navires marchands pour le compte de l'ennemi est un fait essentiellement hostile, entraînant la saisie et la confiscation*.

$ 2512. La notion de la quasi-contrebande, qui a si singulièrement étendu la liste des articles qualifiés d'illicites en temps de guerre, est fondée sur le même principe que celui de la division. des obligations dans les contrats et les quasi-contrats.

28 mars 1803, séance de la chambre des Communes du 27 mars 1803; Gessner, p. 121; Mémorial diplomatique, 1867, p. 68; Twiss, War, § 148.

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Jouffroy, pp. 133 et seq.; Ortolan, Règles, t. II, pp. 206 et seq.; Gessner, pp. 109 110; Moseley, pp. 50 et seq.; Heffter, § 157".

Tetens, pour expliquer ce qu'il faut entendre par quasi-contrebande, s'exprime ainsi : « Supposons qu'une armée navale soit à équiper et à approvisionner dans un port de l'un des belligérants où l'on prépare des magasins dans ce but; dès lors toute sorte de livraisons apportées sur les lieux par les neutres sont justement considérées comme contrebande, même quand elles ne le seraient pas par leur nature. Elles deviennent illicites par les seules circonstances. On peut les nommer contrebande par accident. Le blé même et l'argent sont choses prohibées dans ce cas. »>

Cette théorie a été appliquée sur une grande échelle par l'Angleterre, et a servi de base juridique à la plupart des sentences prononcées par les juges d'amirauté Marriot, Jenkinson et Scott. Hatons-nous d'ajouter qu'elle est en opposition directe avec les vrais principes du droit des gens moderne, et qu'elle était tombée en désuétude avant même que la guerre de Crimée en 1854 Teût fait formellement proscrire".

$ 2513. La pratique de la plupart des nations maritimes substitue parfois à la confiscation une simple préemption ou préférence d'achat, c'est-à dire que les capteurs retiennent par devers eux les articles de commerce illicite en en payant la valeur aux neutres. C'est, comme le rappelle Bello, ce qui a lieu notamment pour les denrées alimentaires qui n'ont pas reçu leur dernière préparation, telles que le blé ou la farine, et pour d'autres articles, par exemple le brai, le goudron et la houille. Cette pratique constitue une atteinte assez sérieuse à la liberté des transactions commerciales et au respect de la propriété privée pour qu'il vaille la peine de rechercher les fondements du droit duquel on la fait dériver.

A en croire certains auteurs, tous les belligérants ont exercé la préemption jusqu'à la paix de Westphalie, et ce ne serait que depuis cette époque qu'ils en auraient limité l'application aux objets d'un usage douteux. On peut même citer à ce sujet un traité conclu en 1641 (1) entre le Danemark et l'Espagne; mais ce qui est certain, c'est que l'Angleterre ne mit le principe de la préemption en pratique que vers le milieu du siècle dernier.

$ 2514. Les célèbres ordonnances anglaises de 1795 et de 1795 portaient que les céréales préemptées seraient remboursées avec une

Ortolan, Règles, t. II, pp. 216 et seq.; Tetens, Considérations, sect. 3, no 6; Heffter, § 175.

(1) Dumont, t. VI, pte. 1, p. 209.

Droit de préemption.

1793-1795. Ordonnances anglaises

à ce sujet.

1793. Décret du

gouverne ment français.

Considéra

tions généra

législation.

prime de 10 p. 100, qui en réalité ne représentait pas le bénéfice sur lequel les propriétaires pouvaient légitimement compter.

L'attitude de l'Angleterre obligea la France à user de représailles et à promulguer son décret du 9 mai 1793, qui établissait un système analogue de préemption pour les denrées alimentaires.

S 2515. Hautefeuille fait observer avec beaucoup de justesse les sur cette que ces primes arbitrairement calculées, ce dépouillement violent de marchandises appartenant à des particuliers qui n'ont aucun fait blâmable à se reprocher compromettent les intérêts les plus sacrés et les plus dignes de respect. En effet le commerce ne se borne pas uniquement à la vente d'une cargaison; il se compose d'une série d'opérations liées et combinées de telle sorte que si l'une vient à échouer, les autres peuvent en être gravement compromises. Que les marchandises, par exemple, soient débarquées dans un port autre que celui auquel elles étaient destinées, tous les calculs des négociants se trouvent déjoués; les engagements souscrits ne peuvent plus être tenus; les bénéfices opérés sur le chargement de retour s'évanouissent, et le crédit, qui est l'âme et la force des transactions commerciales, peut être à jamais affaibli ou ruiné.

Stipulations convention

matière.

S 2516. Plusieurs traités ont consacré le principe de la préempnelles sur la tion; nous citerons entre autres ceux de 1794 (1) et de 1796 (2) entre l'Angleterre et les États-Unis, et celui de 1803 (3) entre la première de ces puissances et la Suède. Voici la teneur de l'article 2 de ce dernier traité : « Les croiseurs de la puissance belligérante exerceront le droit de détenir les bâtiments de la puissance neutre allant aux ports de l'ennemi avec des chargements de provisions et de poix, résine, goudron, chanvre et généralement tous les articles manufacturés servant à l'équipement des bâtiments marchands (le hareng, fer en barres, acier, cuivre rouge, laiton, fil de laiton, planches et madriers, hors ceux de chêne et esparres, pourtant exceptés); et si les chargements ainsi exportés par les bâtiments de la puissance neutre sont du produit du territoire de cette puissance et allant pour compte de ses sujets, la puissance belligérante exercera dans ce cas le droit d'achat sous la condition

(1) Elliot, v. I, p. 242; State papers, v. I, p. 784; Martens, 1re édit., t. VI, p. 336; 2e édit., t. V, p. 641.

(2) Elliot, v. I, p. 263; State papers, v. I, p. 804; Martens, 1re édit., t. VI, p. 601; 2e édit., t. V, p. 697.

(3) Martens, 1re édit., Suppl., t. III, p. 525; 2o édit., t. VIII, p. 91.

de payer un bénéfice de dix pour cent sur le prix de la facture du chargement fidèlement déclaré, ou du vrai taux du marché soit en Suède, soit en Angleterre, au choix du propriétaire, et en outre une indemnité pour la détention et les dépenses nécessaires » *.

publicistes.

$ 2517. Quelques publicistes anglais justifient la préemption en Opinions des la représentant comme un avantage accordé aux neutres, et non comme un droit appartenant en propre aux belligérants. Il nous est impossible d'accepter cette distinction, qui méconnait, suivant nous, les saines notions du devoir et du droit, et repose sur la supposition tout à fait erronée que les nations en guerre ont seules le droit de déterminer les limites de la neutralité.

Phillimore considère la préemption comme une sorte de transaction entre la faculté de confisquer reconnue aux belligérants et celle qui appartient aux nations restées étrangères à la lutte d'exporter librement leurs produits où bon leur semble. Ce raisonnement, comme on le voit, découle de la distinction établie entre les articles proprement dits de contrebande et ceux d'un usage ambigu, auxquels certaines circonstances particulières permettent d'attribuer le même caractère.

Phillimore.

Ortolan.

Ortolan nous semble plus logique, plus près de la vérité, quand il admet «< qu'une nécessité impérieuse, inévitable, un péril imminent auquel il est impossible de se soustraire, si ce n'est par la lésion du droit d'autrui, emporte, non seulement durant la guerre, mais en tout temps, non seulement pour les belligérants à l'encontre des neutres, mais pour tous, excuse d'une telle lésion, sauf l'obligation de réparer le préjudice qui en est résulté. » Hautefeuille nie jusqu'à l'existence d'un droit suprême en cette Hautefeuille. matière; Gessner n'y voit qu'une question de fait subordonnée à l'appréciation des circonstances.

§ 2518. De ce qui précède on peut conclure que la théorie est d'accord avec la pratique pour admettre l'exercice du droit de préemption toutes les fois qu'il se produit dans des cas de force

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Bello, pte. 2, cap. 8, § 4; Hautefeuille, Des droits, t. II, pp. 50-53; Ortolan, Règles, t. II, pp. 220 et seq.; Gessner, pp. 132-140; Heffter, § 161; Massé, t. I, § 213; Jouffroy, pp. 154 et seq.; Fiore, t. II, p. 407; Klüber, Droit, § 289; Martens, Précis, § 319; Wheaton, Élém., pte. 4, ch. 3, § 24; Phillimore, Com., v. III, §§ 267-270 Kent, Com., v. I, pp. 141-143; Twiss, War, § 146; Duer, v. I, lect. 7, §§ 16, 17' Halleck, ch. 24, §§ 25 et seq.; Wildman, pp. 219 et seq.; Manning, pp. 313-318? Ward, On contraband, p. 196; Pratt, p. 255; Moseley, pp. 91-96; Polson, p. 643 Hosack, pp. 21, 22.

Gessner.

Résumé.

Transport

de militaires

engagés au

service de l'ennemi.

majeure qui en légitiment l'emploi. Il va sans dire que le belligérant qui y a recours sans y être moralement contraint ou sans indemniser ceux au préjudice desquels il l'exerce engage sa responsabilité et doit en subir les conséquences au même titre que s'il s'était indùment emparé de marchandises de commerce licite *.

$ 2519. Le transport sur des navires neutres de militaires ou et de marins de marins engagés au service d'un belligérant est assimilé au transport de matériel de guerre et considéré comme contrebande. Ce transport, indépendamment même des circonstances particulières qui peuvent l'accompagner, est un acte d'hostilité réellement caractérisé, dont les sérieuses conséquences ressortent d'ellesmêmes. «En fait, dit Ortolan, un pareil transport est beaucoup plus grave que le transport de marchandises de contrebande de guerre; car si ce dernier peut en quelque sorte n'être considéré que comme un acte purement commercial, dont l'auteur n'est pas tenu, on pourrait dire, de prévoir les résultats, l'autre est un acte décidément hostile, sur la portée duquel il n'est plus permis de se méprendre. Le navire neutre qui transporte des gens de guerre pour le compte d'un État belligérant se met évidemment au service de cet État; il perd dès lors entièrement son caractère de neutre, et le belligérant opposé est en droit de le traiter tout à fait en ennemi. »

Heffter exige expressément, pour que le transport soit punissable, qu'il soit absolument volontaire.

Hautefeuille estime pareillement que les neutres ne sont punissables que si leur navire a été frété par l'ennemi expressément pour le transport de ses soldats; si cette condition n'est pas remplie, le neutre ne viole pas ses devoirs.

La pratique anglaise et américaine, au contraire, ne fait aucune distinction en faveur du navire neutre contraint par l'ennemi au transport. Phillimore et Wheaton citent à l'appui plusieurs sentences de tribunaux de prises anglais, desquelles il ressort en outre, cette particularité que la culpabilité du navire neutre ne dépend pas du nombre des hommes transportés, attendu que le transport d'un petit nombre d'officiers supérieurs a plus d'importance que celui d'un grand nombre de simples soldats ou de matelots.

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Phillimore, Com., v. III, § 268; Ortolan, Règles, t. II, pp. 220 et seq.; Hautefeuille, Des droits, II, pp. 50-53; Gessner, pp. 132-140.

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