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de gênes ou de prohibitions, parce qu'il leur attribue, non sans raison, un caractère intrinsèquement inoffensif. Du reste, dans un sentiment qui fait honneur à sa loyauté et à sa bonne foi, Ortolan convient en terminant que la nature des articles compris dans le premier groupe de sa classification peut varier à raison des progrès qui s'opèrent chaque jour dans l'art militaire et dans les

constructions navales.

§ 2430. Hautefeuille admet également que la matière ne com- Hautefeuille. porte pas de règle absolue. « Je crois, dit-il, pouvoir poser comme principe que la restriction apportée par la guerre à la liberté absolue du commerce neutre en ce qui concerne les objets compris sous le nom de contrebande de guerre est un devoir imposé aux peuples pacifiques par la loi primitive et non un droit du belligérant, un droit né de la guerre et de la nécessité de sa propre conservation; que par conséquent le belligérant, n'ayant aucun droit positif à exercer, ne peut jamais chercher à rendre la restriction plus onéreuse aux nations neutres; qu'il ne peut ranger dans la classe des objets prohibés telle ou telle denrée dont il veut priver son ennemi, en un mot élargir ou rétrécir le cercle de la restriction. Le seul droit que possède le belligérant contre le neutre qui n'accomplit pas ce devoir, c'est de lui déclarer la guerre, de le regarder comme un ennemi et de le traiter comme tel. » Mais lorsqu'il se place sur le terrain de la pratique, Hautefeuille est forcé de reconnaître que les circonstances peuvent faire attribuer un caractère hostile à certaines branches du commerce des neutres. D'après cette manière d'apprécier la question il arrive à la conclusion que « toutes les denrées placées par Grotius dans la troisième classe, c'est-à-dire celui d'un usage douteux (usus ancipitis), qui ont par conséquent une utilité dans la paix et dans la guerre, ne peuvent dans aucun cas être considérées comme contrebande. La prohibition ne peut frapper que sur les armes et les munitions de guerre actuellement fabriquées, propres immédiatement, et sans subir aucune préparation, aucune transformation par l'industrie humaine, à être employées aux usages de la guerre, uniquement destinées à ces usages et ne pouvant recevoir aucune autre destination. » Il présente comme modèle l'énumération contenue dans le traité du 6 février 1778 entre la France et les États-Unis, en en retranchant seulement les chevaux et le salpêtre. Sous le nom de contrebande ou de marchandises prohibées doivent être compris les armes, les canons,

Phillimore.

Dana.

Pinheiro Ferreira.

les bombes avec leurs fusées et autres choses y relatives, les boulets, la poudre à tirer, les mèches, les piques, les épées, les lances, les dards, les hallebardes, les mortiers, les pétards, les grenades, les fusils, les balles, les boucliers, les casques, les cuirasses, les cottes de maille et autres objets de cette espèce propres à armer les soldats, les porte-mousqueton, les baudriers et tous autres instruments de guerre quelconques. Presque tous les traités conclus récemment par la France et ceux que les États-Unis ont signés avec les autres États de l'Amérique reproduisent exactement la même énumération et se terminent par cette phrase, qui peut être regardée comme le résumé de la doctrine énoncée: « Et généralement toute espèce d'armes et d'instruments en fer, acier, bronze, cuivre ou autres matières quelconques, manufacturés, préparés et fabriqués expressément pour faire la guerre sur mer ou sur terre ».

2451. Les publicistes anglais ont généralement fait reposer la notion de la contrebande de guerre sur les devoirs inhérents à la neutralité. Phillimore, par exemple, s'appuyant sur la sentence d'un tribunal des États-Unis contre un navire espagnol, soutient que les matériaux propres aux constructions navales ont le caractère distinctif des articles de contrebande. Il avoue pourtant qu'en étudiant la question d'après la teneur des traités publics, il n'est pas possible d'arriver à une solution précise. « La même nation, dit-il, qui dans un traité leur attribue ce caractère les en exempte dans un autre. » En définitive, se plaçant au point de vue anglais, il penche pour la doctrine américaine et met sur la même ligne les chevaux et la houille, qu'il rend confiscables en raison soit de leur quantité, soit de leur destination.

2452. Dana, dans ses commentaires sur les Éléments du droit international de Wheaton, a surtout envisagé cette question au point de vue pratique: ainsi, après avoir exprimé son adhésion au principe qu'il est juste de limiter dans une certaine mesure les transactions commerciales entre belligérants et neutres, il fait ressortir les difficultés qui se présentent pour définir avec précision les objets sur lesquels les restrictions peuvent porter.

$2455. Pinheiro Ferreira fait observer qu'en général on ne saurait qualifier de contrebande de guerre que les objets exclusivement employés dans l'art de la guerre, mais qu'il est loisible à toute puissance belligérante de déclarer tels ceux dont elle est sûre que la privation amènera l'ennemi à faire la paix, ou ceux dont elle a les

moyens de lui couper l'approvisionnement. Du moment que l'une de ces deux conditions manque, il serait absurde de prétendre que les nations neutres doivent s'abstenir d'en faire le commerce avec Tennemi; mais toutes les fois que les deux conditions sc trouvent réunies, on ne saurait contester au belligérant qui peut les invoquer en sa faveur le droit d'empêcher qu'on procure à son ennemi des articles hostiles à ses intérêts. Ainsi, si ces objets rencontrés par les forces de l'un des belligérants appartiennent à l'autre et sont de nature à lui fournir les moyens d'alimenter la guerre, il est évident que le premier de ees belligérants a le droit de s'en emparer.

Cependant, si ces objets, destinés même à l'usage de l'ennemi, appartiennent soit à des nations neutres, soit à des nationaux de l'autre belligérant, on peut les empêcher d'arriver à leur destination, mais non les saisir; car dans ce dernier cas ce serait appliquer une punition là où il n'y a pas de délit *.

La contrebande

de guerre selon le droit

nel.

S2434. En étudiant les uns après les autres, comme nous venons de le faire, les auteurs anciens et les auteurs modernes qui ont traité ce sujet, on trouve une telle divergence d'opi- conventionnion qu'il faut renoncer à dégager de leurs théories et de leurs systèmes des principes fixes et certains. Examinons si l'accord ne se rencontrerait pas en transportant la question dans la sphère du droit conventionnel.

1659.

Traité des

Le traité des Pyrénées, conclu le 7 novembre, 1659 (1) entre la France et l'Espagne, stipule par son article 12 l'interdiction Pyrénées. de toutes sortes d'armes à feu et autres assortiments d'icelles, comme canons, mousquets, mortiers, pétards, bombes, grenades, saucisses, cercles poissés, affûts, fourchettes, bandoulières, poudres, mèches, salpêtre, balles, piques, épées, morions, casques, cuirasses, hallebardes, javelines, chevaux, selles de cheval, fourreaux de pistolet, baudriers et autres assortiments servant à l'usage de la guerre »; tandis que l'article 15 déclare de libre commerce

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Gentilis, De jure belli, lib. 1, cap. 21; Grotius, Le droit, liv. 3, ch. 1, § 5; Bynkershoek, Quæst., lib. 1, cap. 10; Heineccius, De navibus, cap. 1, § 14; Vattel, Le droit, liv. 3, ch. 7, § 112; Valin, Traité, ch. 5, sect. 6, §§ 1-3; Cocceius, De jure belli, § 6; Lampredi, Du commerce, t. I, ch. 1, § 4; Jouffroy, pp. 114, 133-139; Wheaton, Elém., pte. 4, ch. 3, § 24; Ortolan, Règles, t. II, liv. 3, ch. 6, pp. 182 et seq.; Hautefeuille, Des droits, t. II, pp. 71 et seq, 82 et seq.; Phillimore, Com., v. III, pt. 10, ch. 1; Dana, Elem. by Wheaton, note 226; Gessner, pp. 72 et seq.; Halleck, ch. 24, $ 14, 15; Pradier-Fodéré, Vattel, t. II, pp. 458-461; Martens, Précis, t. II, p. 331. (1) Dumont, t. VI, pte. 2, p. 264; Savoie, t. II, p. 1; Léonard, t. IV.

1713.

Traités

<«< toutes les autres denrées, même tout ce qui appartient à la nourriture et sustentation de la vie ».

Avant ce traité, un grand nombre d'autres avaient déjà adopté le principe de la limitation de la contrebande de guerre aux armes et aux munitions; nous citerons entre autres ceux du 18 avril 1646 (1) entre la France et les Provinces Unies des Pays-Bas; du 1er septembre 1647 (2) entre l'Espagne et les Villes Hanséatiques; du 17 décembre 1650 (3) entre l'Espagne et les Provinces Unies; du 5 avril 1654 (4) entre l'Angleterre et la Hollande; du 11 avril 1654 (5) entre l'Angleterre et la Suède; du 10 mai 1655 (6) entre la France et les villes Hanséatiques; et du 3 novembre 1655 entre la France et la Grande-Bretagne.

Nous trouvons également le même principe inscrit dans plusieurs traités postérieurs à celui des Pyrénées, notamment dans les traités de 1661 entre l'Angleterre et la Suède (article 11); du 27 avril 1662 entre la France et les Provinces Unies (articles 27 et 28); du 17 février 1668 (8), du 1er décembre 1674 (9) et du 8 mars 1675 (10) entre l'Angleterre et les Provinces Unies; du 24 février 1677 (11) entre la France et l'Angleterre ; et le traité de Nimègue, conclu le 24 septembre 1678 (12) entre la France et les Provinces Unies.

$2455. La convention commerciale signée à Utrecht le même d'Utrecht. jour que les traités politiques, 11 avril 1715 (13), par la France, l'Espagne, l'Angleterre et la Hollande, et à laquelle Venise et la Prusse accédèrent, reproduit presque littéralement le premier de ces articles et classe ensuite (article 20) parmi les objets d'un usage commun à la paix et à la guerre les métaux précieux monnayés ou en lingots, les substances alimentaires, les tissus, les métaux ordinaires, le charbon et toutes les matières premières

(1) Dumont, t. VI, pte. 1, p. 342.
(2) Dumont, t. VI, pte. 1, p. 403.

(5) Dumont, t. VI, pte. 1, p. 570.

(4) Dumont, t. VI, pte. 2, p. 74.

Herstlet, v. II, p. 310; Dumont, t. VI, pte. 2, p. 80.

(6) Dumont, t. VI, pte. 2, p. 103; Léonard, t. III.

(7) Dumont, t. VI, pte. 2, p. 121; Léonard, t. V.

(8) Dumont, t. VII, pte. 1, p. 74.

(9) Dumont, t. VII, pte. 1, p. 232.

(10) Dumont, t. VII, pte. 1, p. 288.

· (11) Dumont, t. VII, pte. 1, p. 327; Léonard, t. V.

(12) Dumont, t. VII, pte. 1, p. 357; Léonard, t. V.

(13) Dumont, t. VIII, pte. 1, pp. 315, 362, 377, 409; Herstlet, v. II, p. 204; Savoie, t. II, p. 281; Cantillo, p. 127.

propres à la construction, au radoub ou à l'armement des navires. Il n'y a que très-peu de traités qui donnent une plus grande extension à la notion de contrebande de guerre.

1716-1766. Différents

$2456. Pour le point particulier qui nous occupe, les traités d'Utrecht ont servi de base et en quelque sorte de type aux autres traités. traités conclus en 1716 (1) entre la France et les Villes Hanséatiques, en 1720 (2) entre l'Angleterre et la Suède, et en 1766 (5) entre l'Angleterre et la Russie, dont les clauses relatives à la contrebande de guerre sont calquées sur celles adoptées en 1713. La plupart des traités postérieurs, à l'exception de ceux auxquels la Grande-Bretagne a pris part et qui gardent à cet égard le silence le plus absolu, consacrent les mêmes règles (4). Mais

(1) Dumont, t. VIII, pte. 1, p. 478.

(2) Dumont, t. VIII, pte. 2, p. 18.

(3) Martens, 1re édit., t. I, p. 141; 2e édit., t. I, p. 390; Wenck, t. III, p. 572. (4) Voyez les traités de 1782 (Martens, 1re édit., t. II, p. 242; 2e édit., t. III, p. 426; Elliot, v. I, p. 134) entre la Hollande et les États-Unis; de la même année entre la Russie et le Danemark (Martens, 1re édit., t. II, p. 284; 2o édit., t. III, p. 468); de 1783 entre la Suède et les États-Unis (Elliot, v. I, p. 168; Martens, 1re édit., t. II, p. 328; t. VII, p. 52; 2e édit., t. III, p. 565); de 1787 entre la France et la Russie (De Clercq, t. I, p. 171; Martens, 1re édit., t. III, p. 1; 2e édit., t. IV, p. 196); de 1795 entre l'Espagne et les États-Unis (Calvo, t. IV, p. 113; Elliot, v. I, p. 390; Cantillo, p. 665; State papers, v. VIII, p. 540; Martens, 1re édit., t. VI, p. 561; 2e édit., t. VI, p. 143); de 1797 entre l'Angleterre et la Russie (Martens, 1re édit., t. VI, p. 722; 2e édit, t. VI, p. 357); de 1800 entre la Russie, la Suède, le Danemark et la Prusse (Martens, 1re édit., t. VII, p. 516; Suppl., t. II, pp. 389, 399, 406; 2e édit., t. VII, pp. 172, 181, 188; State papers, v. I, p. 327); de 1801 entre la Russie et la Suède (Martens, 1re édit., Suppl., t. II, p. 307; 2o édit., t. VII, p. 315; State papers, v. I, p. 313). Le traité de 1801 (Herstlet, v. I, pp. 204, 208; Martens, 1re édit., Suppl., t. II, p. 476; 2 édit., t. VII, pp. 260, 269, 273; State papers, v. I, p 416) imposé par l'Angleterre à la Russie, à la Suède et au Danemark après le bombardement de Copenhague, établit les mêmes règles dans son article 2. Après la paix de Vienne, quelques traités ont respecté les règles établies: celui de 1824 (Elliot, v. II, p. 18; Martens, Nouv. recueil, t. VI, p. 984; Nouv. suppl., t. II, p. 412; Elliot, v. II, p. 18; Lesur, 1824, app., p 690) entre les États-Unis et la république de Colombie; de 1827 (Martens, Nouv. recueil, t. VII, p. 470; State papers, v. XVI, p. 1201) entre le Brésil et la Prusse; de 1827 (State papers, v. XIV, p. 715; Martens, Nouv. recueil, t. VII, p. 340; Elliot, v. II, p. 247) entre le Brésil et les villes libres; de 1827 (Martens, Nour, recueil, t.'X, p. 4; State papers, v. XIX, p. 1056) entre le Danemark et le Mexique; de 1828 (Martens, Nouv. recueil, t. VII, p. 608; State papers, 1827-1828, p. 717) entre le Brésil et le Danemark; de 1831 (Martens, Nouv. recueil, t. XII, p. 534) entre le Mexique et la Prusse; de 1832 (State papers, v. XXII, p. 1353; Martens, Nouv. recueil, t. XI, p. 438) entre les États-Unis et le Chili; de 1844 (De Clercq, t. IV, p. 284; Lesur, 1837, app., p. 36; Bulletin des lois, 1837, no 528) entre la France et la Bolivie; de 1839 (De Clercq, t. IV, p. 502; Martens, Nouv. recueil, t. XVI, p. 987; State papers, v. XXX, p. 1228; Lesur, 1840, app., p. 24; Bulletin des lois, 1840, no 740) entre la France et le Texas; de 1840 (Martens-Murhard, t. I, p. 374; State papers, v. XXIX, p. 1164); et de 1834 (De Clercq, t. V, p. 428; Martens-Murhard,

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