Page images
PDF
EPUB

Quoi qu'il en soit, la connexité des deux affaires apparaît bien dans l'envoi (1) des mêmes commissaires enquêteurs à l'occasion du procès entre l'évêque et les communes de la Cité et de SaintLéonard, nous trouvons même dans le livre d'hommages de l'évêché des dires contradictoires des consuls et de l'évêque concernant certainement l'enquête prescrite en 1287. Ces dires, dont on peut fixer la date à 1288 (2), présentent plus d'une corrélation frappante avec les allégations fournies la même année par l'évêque et les consuls de Saint-Léonard (3).

Ce sont les mêmes prétentions concernant la justice haute et basse de la part du prélat et des consuls des deux villes, avec celle différence cependant que ceux de Saint-Léonard semblent ne pas admettre pour la haute justice comme ceux de la Cité l'ingérence du prévôt épiscopal, mais plusieurs témoignages reconnaissent cetle association, la seule différence véritable que nous trouvions et qui s'imposait à cause de la situation féodale de Saint-Léonard, c'est la mention des vigiers des seigneurs de Noblat (d'après les arrêts de 1285 et 1286).

L'analyse des dires contradictoires de l'évêque et des consuls de la Cité (4) est ainsi conçue :

Que les particuliers de la dite Cité sont leurs (aux consuls), >> sujets et justiciables dans tous les cas de haulte et basse justice. Que de tout temps ils ont fait inhibition aux dits particuliers: » d'obéir ni répondre au prévôt et autres officiers du dit seigneur évêque et de n'appeler de leur cour qu'à celle du roi.

[ocr errors]

>> Qu'ils n'ont jamais permis que leurs dits sujets fussent taxes

» en matière de deniers ni leurs biens saisis par les officiers du dit évêque.

[ocr errors]

» Qu'en cas de crime méritant mutilation, exil ou mort, les pré» venus saisis par les gens de l'évêque n'étaient condamnés ni » jugés par son prévôt qu'après avoir dûment appelé les dits consuls.

(1) En 1287, Louis Guibert, Doc. sur l'hist. munic. de Limoges, t. I, p. 28. (2) Louis Guibert, Doc sur l'hist. munic. de Limoges, t. I, p. 32. (3) Louis Guibert, La commune de Saint-Léonard, p. 118 du tirage à part.

(4) Les dires des consuls sont précédés de cette sorte de préambule : « Dires des consuls et communauté de la Cité de Limoges qui pré» tendent qu'à eux seuls et non au seigneur évêque appartient la >> haulte et basse justice qu'ils ont exercé de tout temps... »

Nous croyons qu'il y a là une inexactitude de celui qui a analysé les actes dont il s'agit, car quelques lignes plus bas il est dit que le prévôt épiscopal participe à la justice pour une certaine catégorie d'affaires.

T. LVII

2

» el lès avoir attendu pour qu'ils procèdassent avec lui au juge» ment en la place commune ».

L'évêque au contraire répond:

«Que de tout temps à la suite de ses prédécesseurs évêques il » est seigneur de la Cité et ses appartenances et exerce la justice >> haulte et basse par lui ou ses officiers et en fait foi et hommage >> au roi qui, par droit de régale, exerce la dite justice dans la » vacance épiscopale.

[ocr errors]

Qu'il a en la ditte Cité son fort, sa tour, ses prisons, ses four>>ches et tout ce qui prouve le haut seigneur;

» Que par arrest de la cour royale il a été ordonné aux dits » consuls de lui remettre les malfaiteurs de ladite Cité dont ils » seroint emparés;

» A quoy les dits consuls voudraient aujourd'huy mal à propos » s'opposer ».

Les revendications des consuls et de l'évêque, quoique absolument contradictoires pouvaient être cependant également fondées, car à une époque où les rivalités des pouvoirs existants relâchèrent les liens de la féodalité, les bourgeois firent confirmer solennellement leurs libertés par les ducs d'Aquitaine qui, souvent ne distinguaient plus l'organisation traditionnelle et les usurpations qui avaient eu lieu. D'ailleurs, la lutte engagée entre le roi de France et le roi d'Angleterre contribua certainement beaucoup à faire laisser aux communes la jouissance des libertés usurpées. Néanmoins, vers le milieu du XIIIe siècle, nous assistons à une réaction des pouvoirs féodaux contre les libertés des communes du Limousin.

Malheureusement aucun acte constatant d'une façon explicite en quoi consistaient à cette époque les libertés de la Cité ne nous est parvenu, nous savons il est vrai que des franchises octroyées par les rois d'Angleterre Henri II et Richard avaient existé, ces franchises furent même confirmées par les rois de France, mais c'est tout ce que nous pouvons en dire (1).

L'enquête de 1288 ne semble pas avoir eu de résultats immédiats, en 1290 (2) les différends avaient continué et le 11 avril 1291 (3), Simon de Roucey et Gilles Cassine furent envoyés comme enquêteurs à cause de «< certains excès» commis par les consuls et la commune. Deux ans après une nouvelle enquête fut encore ordonnée contre les consuls à propos de la justice. La détente mentionnée par Louis Guibert dans son histoire de la commune de Saint

(1) Louis Guibert, Doc. sur l'hist. mun. de Limoges, t. I, p. 16. p. 33.

(2) Ibidem,

(3) Ibidem, p. 34.

Léonard, détente qui se produisit au moment des dernières années de la vie de Gilbert de Malemort n'eut donc pas lieu à Limoges.

Nous voyons grâce à un mandement de 1298 (1) que l'affaire n'était point terminée à cette date, bien au contraire les mentions vagues du registre Tuæ hodie nous font supposer que les choses prenaient une tournure de plus en plus aiguë, car il n'est parlé que d'injures et de violences de la commune contre l'évêque Raynand de la Porte et d'enquêtes royales pour savoir ce qu'il en était (2). Il est même vraissemblable que les violences de la commune de la Cité ne le cédèrent en rien à celles de la commune de Saint-Léonard dont le prévôt fut assailli par les consuls et leurs gens; brisant les portes de l'auditoire, frappant le représentant de l'évêque à coups d'épieux et de pierres et le laissant pour mort sur la place, la foule en quelques journées sanglantes rappela les rébellions des célèbres communes du Nord.

En 1302 (3), le débat concernant la justice n'était point encore terminé. La commune fut obligée, par arrêt du Parlement, de faire relâcher le prévôt et ses cautions, et menace d'une amende était faite aux consuls s'ils allaient à l'encontre de l'arrêt.

Bientôt d'ailleurs, comme on le verra plus loin, l'intervention royale allait se faire sentir d'une façon tout à fait inattendue; les consuls, à force de se réclamer directement du roi, fournissaient à Philippe le Bel les éléments de la thèse ingénieuse qui les représenterait bientôt comme de simples délégués de son pouvoir. Mais durant ce nouveau procès, suscité au prélat, la commune ne désarma pas et les molestations, les injures, les violences des consuls et de leurs gens contre les officiers épiscopaux sont souvent mentionnées; la commune fut condamnée pour ce fait à une amende et ordre fut donné de conduire à Paris les fauteurs de désordre.

Le pariage de 1307 (4), qui suivit de près tous ces évènements,

(1) Louis Guibert, Doc. sur l'hist. munic. de Limoges, t. I, p. 34.

(2) Ibidem, p. 34 et suivantes.

(3) Guibert, Doc. sur l'hist, mun. de Limoges, t. I, P. 36.

(4) Guibert. Doc. sur l'hist. mun. de Limoges, t. I, p. 47, et pièces justificatives, no 1.

Nous avons trouvé dans le registre Tuæ hodie (Arch. dép. de la HauteVienne, G, 11) une copie de l'acte de pariage qui est par conséquent tout au plus postérieure d'un siècle à l'acte lui-même; cette copie offre, par les coupures de certains paragraphes, un sens très différent de celui des grandes ordonnances. Lorsque soit par les coupures, soit par les mots eux-mêmes, la copie du cartulaire diffère sensiblement de celle des ordonnances, nous en avons adopté le texte, car il est beaucoup plus compréhensible; ajoutons que ce texte semble avoir échappé aux

ne donna pas de solution aux conflits qu'avait suscités la prétention des consuls; on la réserva pour plus tard en ces termes presque menaçants : « Nec est intentionis nostræ vel dicti episcopi per presentem associacionem vel transactionem seu composicionem consulibus et consulatibus dictorum locorum (la Cité et Saint-Léonard) in juribus et jurisdiccionibus dictorum locorum, in quibus ipsi consules racione consulatus se jus habere pretendunt et de quorum aliquibus pendet lis in curia nostra inter episcopum et eos, aliquod prejudicium generari vel aliquod jus novum acquiri.

Et si per curiam nostram cognoscatur ipsos jus aliquod in jurisdictionibus dictorum locorum non habere vel eorum consulatus cadere debere, volumus quod illud veniat in communionem præsentem inter nos et episcopum memoratum.

On allait donc jusqu'à mettre en doute la légitimité de l'institution municipale elle-même; c'était une clause de réserve qui, pour la commune, aurait bien pu être le point de départ d'un arrêt de mort.

On ne sait pas quel fut, après le pariage, le résultat du procès; mais ce que l'on sait bien, c'est que la justice communale n'eut aucune liberté de s'exercer. La commune, en tout cas, fit tout ce qu'elle put contre la justice du pariage, et à ce propos recommencent dans le registre Tuæ hodie (1) les interminables et vagues mentions de surprises, de violences, de rébellions contre le pariage, surprises, violences, rébellions qui promptement étaient réprimées et pour lesquelles des amendes étaient infligées aux consuls.

Mais en 1310 (2), les consuls, poursuivant leurs revendications, recueillaient des fonds chez les bourgeois afin de contribuer aux frais de la procédure; quelques-uns d'entre eux, qui se souciaient fort peu de voir la justice en d'autres mains que celles de la commune, furent néanmoins forcés de fournir des subsides; on confisqua même plusieurs de leurs biens. Les intéressés protestèrent et un arrêt du Parlement défendit aux consuls d'obliger aucun bourgeois à contribuer aux frais de la procédure contre son propre gré.

Le 15 mars (3), le consulat, qui continuait à refuser d'obéir au juge et au prévôt du pariage, fut condamné à payer à l'évêque et

recherches de Louis Guibert, qui a cependant parcouru le registre que nous avons eu sous les yeux. Les mots latins imprimés en romain sont ici les variantes que nous avons adoptées.

(1) Guibert, Doc. sur l'hist. mun, de Limoges, t. I, p. 57.

(2) Ibidem, p. 60.

(3) Guibert, Doc. sur l'hist. mun. de Limoges, t. I, p. 62.

au roi une amende de 50 livres tournois. Il est probable que c'est encore à propos de la justice que, le 14 avril, Jean d'Auxy (1) et deux autres membres du conseil procédèrent à une nouvelle enquête suivie d'une seconde en 1314 (2). En 1339 (3) même, des commissaires royaux étaient envoyés à Limoges pour prendre connaissance des griefs du procureur des consuls contre celui du roi et de l'évêque, c'est-à-dire le prévôt de la Cité. Il semble ressortir du texte, d'ailleurs très obscur, que c'était bien d'une revendication concernant la justice qu'il s'agissait.

Il est possible qu'en 1370 toute arrière-pensée à ce sujet n'ait pas disparu (4). La supplique remise par les consuls de la Cité aux ducs de Berry et de Bourbon et aux autres chefs de l'armée française, lors de la reddition de la place, contient peut-être une allusion timide et indirecte dans son premier paragraphe. Mais ce n'est toujours pas ainsi qu'ont dû l'interpréter les commissaires royaux qui acquiescèrent à la demande du consulat (5), car il est à peu près certain que depuis 1307, les consuls de la Cité n'ont jamais été régulièrement autorisés à rendre la justice; d'ailleurs, il n'est pas douteux que ce paragraphe, lorsqu'il fut confirmé par un vidimus daté de 1527 (6), n'avait plus le sens que les consuls voulaient peut-être lui donner en 1370. Un mandement royal daté de 1398 nous prouve en tout cas que dix-huit ans après de nouvelles contestations avaient eu lieu entre les consuls et l'évêque au sujet de la justice; mais le roi se prononça nettement contre la commune (7).

Les consuls de la Cité avaient probablement prétendu, comme ceux de Saint-Léonard, être en quelque sorte les représentants du roi; cet argument dut éveiller dans l'esprit de ce dernier la prétention à la justice de la Cité. Mais avant de manifester ouvertement

(1) Louis Guibert, Doc. sur l'hist. mun. de Limoges, t. I, p. 63. (2) Ibidem, p. 64. Celle qui suit doit probablement faire double emploi avec la précédente.

(3) Extraits de Le Nain, t. V, fol. 57 v et suite (Jugés, lettres et arrêts).

(4) Guibert, Doc. sur l'hist. mun. de Limoges, t. I, p. 67.

(5) Bull. de la Soc. arch, du Limousin, t. XVIII, p. 116. (6) Ibidem.

(7) Ung mandement donné à Paris le lundi amprès la feste Sainct Clement an mil II[ec 11≈≈ XVIII pour mons. de Limoges contre les consulz de la cité de Limoges et ville de Sainct Leonard à cause de la haulte et basse justice et causes civiles desdis lieulx... (Arch. dép. de la Haute-Vienne, G. 8, fol. 66 vo).

« PreviousContinue »