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Ducas. Il la mit entre les mains d'Emmanuel, empereur de Constantinople, qui en chargea Bernard, Français de nation, ci-devant moine de Deols ou Bourg-Dieu en Berri, et alors évêque de Lidde. D'autres disent, avec Geoffroi de Vigeois, évêque de Rama; mais c'est la même chose, parce qu'après la ruine de Rama, le siège épiscopal fut transféré à Lidde. Après la mort de ce prince, arrivée le 11 juillet l'an 1173, Bernard l'apporta en France et la donna, au nom du roi, aux religieux de Grandmont, le 31 mai 1174. Ce n'est pas un reliquaire ayant appartenu à quelque église, mais à ce roi de Jérusalem, qui le portait au cou; ce qui ne doit pas paraître extraordinaire, quoique ce reliquaire soit assez pesant, car, comme le remarque le P. Ruinart, les empereurs grecs portaient ainsi des croix très pesantes qu'ils appelaient Eucolpia, parce qu'elles pendaient sur leur poitrine.

On peut citer un fait complètement analogue: A la fin du VIII siècle, il n'y avait dans le monde que deux grands souverains, Charlemagne et Haroun-al-Raschid (1). Ces deux souverains s'envoyèrent mutuellement des ambassadeurs, et le calife, pour se rendre agréable au grand promoteur du christianisme, envoya à Charlemagne, en 797 et en 801, plusieurs reliques, parmi lesquelles en était une du bois de la vraie croix, qui depuis a porté le nom de Talisman de Charlemagne. « Ce talisman est un reliquaire en or, rond, incrusté à la surface de pierres précieuses et dont le milieu est composé de deux saphirs bruts superposés qui renferment un morceau de la vraie croix. » Charlemagne porta ce reliquaire suspendu à son cou jusqu'à sa mort, en 814. On le trouva encore à son cou, lorsqu'on ouvrit son tombeau en 1166. Depuis, il est resté au nombre des reliques conservées à Aix-la-Chapelle. Lorsque, en 1804, Napoléon Ier fit rendre à la cathédrale d'Aix-la-Chapelle les reliques qu'on avait transportées en pays étranger, le clergé de cette ville, par reconnaissance, lui donna le talisman de Charlemagne. L'attestation de l'évêque d'Aix-la-Chapelle contient les paroles suivantes : « Le petit reliquaire rond, en or pur, dont le bourrelet renferme des reliques, et les grandes pierres du milieu renfermant une petite croix, a été trouvé au cou de saint Charlemagne, lorsque son corps a été exhumé de son sépulcre en 1166, et l'histoire, avec la tradition, nous apprend que Charlemagne avait coutume de porter sur lui ces mêmes reliques dans les combats. Aix-la-Chapelle, le 25 thermidor an XII (13 août 1804). † MarcAntoine, évêque d'Aix-la-Chapelle. »

(1) Haroun-al-Raschid (765-809) est le cinquième calife de la dynastie des Abbassides, califes musulmans, qui donnèrent aux Arabes la gloire militaire et celle des lettres et des sciences.

« Le reliquaire de Grandmont était formé de deux plaques d'argent doré, jointes et adossées l'une à l'autre. A la partie antérieure était inséré un fragment du bois de la vraie croix, disposé en forme de croix patriarcale, ayant quatre pouces (012) de hauteur, sur deux pouces (0m06) de largeur à la plus grande traverse. Rien ne séparait la relique du contact et de la vue du spectateur. La face postérieure était occupée tout entière par une inscription grecque (dont M. Texier a publié un fac-similé dans son Recueil d'inscriptions, p. 130 et pl. 3). Cette pièce, mobile en partie, se levait pour laisser voir un baume très odoriférant, qui, malgré sa date sept fois séculaire, avait conservé toute la suavité du parfum le plus exquis. Nous donnons ici la reproduction des deux faces du reliquaire réduit au quart de sa grandeur, mais le cadre de l'inscription grecque ci-contre conserve exactement ses dimensions.

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OTAHIBACIAEYC KAIBEANOC AOTOC
OMINE NEBPABEYCE ACHAROXAPIN
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OneCASEY TOICFIAENAPIAC KAAAO
AXOROCK ENRIECHIECHMBPÍA
CAPAHON HAGONÁC KWAOKCYNICÉAYN
KAICHCKIAME XOY HE KAIKMWGCKETE
WCYCKIAZONAENAPONARACAN XOONA
KAITINAEPHONENSAARONOFAPÓCON
ΕΚΔΟΥΚΙΚΟ ΦΥΕΝΤΙ ΚΑΛΛΙΔΕΝΔΡΙΑΣ
HCPROMPEHNONHBACKIC EIPINH
HMHTPOMAH HOTNANÁKONO KALOC
MAEUX KPATYNTCAYCÓNION SAHRP
MIN ATCWIWTON HONDYNKA HO:
COCABADCAAGZIOC ENTENDE AOTXAG:-+

» Un étui en argent doré abritait ce précieux reliquaire. Il s'ouvrait à deux battants pour laisser voir la vraie croix. Les portes étaient décorées, à leur partie intérieure, des images de saint Pierre et de saint Paul. A la partie antérieure de cette sorte de boîte métallique était gravée la première inscription latine (ajoutée par les religieux de Grandmont); la seconde se lisait à la partie postérieure. Sur le tout, dit l'inventaire du trésor de Grandmont

T. LVII

Βραχυν υπνωσας υπνον εν τρίδενδρία,
Ο παμβασίλευς και θεανθρωπος λόγος,
Πολλην επιβράβευσε τῳ δενδρῳ χαρὶν
Εμψυχεταί γαρ πας πυρούμενος νοτοίς,
Ο προςπεφευγως τοῖς τρίδενδρὶαὶς κλαδοίς.
Αλλα φλογωθείς εν μέση Μεσημβρία

Εδραμον, ήλθον, τοῖς κλαδοις υπείσεδυν,

Και τη οκία δέχου με, καὶ καλως σκεπε,
Ο συσχαίζον δενδρον απασαν χθονα,

Καὶ τινα Ερμον ενσταλάζον μοί δροσον

Εκ Δουκίκης φυεντι καλλιδενδρίας,

Ησ ριζοπρέμνον η βασιλίς Είρηνη,

Η μητρομάμμη, των ανακτών το κλέος,
Αλεξίου κρατούντος αυσονων δαμαρ,

Ναί ναί, δυσωπω τον μεν φυλακα μου,

Σας δουλος Αλεξίος εκ γένους Δούκας.

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de 1567, une plaque d'argent non doré s'élevait et s'abaissait à la façon d'un chassis, et, sur icelle, était relevé en bosse un crucifix et, d'autre part, Notre-Dame et saint Jean. Le susdit reliquaire avec son étui s'accommodait sur un pied carré, tout entier d'argent doré et par dessus enrichi de plusieurs perles, topazes, jacinthes et autres pierres, estimées par le lapidaire de grand prix et valeur. Toutefois, ce pied ne paraissait pas être fait ni destiné pour le susdit tableau, mais pour un autre.

» Ainsi, l'art grec et l'art occidental s'étaient unis autour de ce vénérable dépôt. Le petit reliquaire était seul d'origine grecque; il a eu le privilège d'attirer l'attention de deux savants: Ogier, prédicateur éloquent du XVIIe siècle, lui a consacré un traité spécial qui a pour titre : Inscription antique de la vraie croix de l'abbaye de Grandmont, par M. François Ogier, prestre et prédicateur. Paris, 1658, un vol. in-8°. Ducange, dans une de ses substantielles dissertations, résume ce travail en y ajoutant ses observations particulières (Glossaire du moyen áge, VII, 169, édition F. Didot) (1).

Ogier a donné deux traductions de l'inscription grecque, l'une en latin, l'autre en français. Son latin suit le grec mot à mot. Voici ces deux traductions:

Cum brevem dormisset somnum in triplici arbore,
Universi rex, Deus idem ac homo verbum,
Multam gratiam impertitus est ligno.

Refrigeratur enim omnis morbis inflammatus,

Quicumque confugit ad ramos triplicis arboris.
Ast ego perustus in medio meridie,

Cucurri, veni, ramos subii,

Tu vero umbra tua suscipe me et pulchre tege,

O arbor inumbrans totam terram,

Et modicum rorem Hermon mihi instilla,
Qui ortus sum ex stirpe illustri Ducarum,
Cujus stirpis surculus est imperatrix Irene
Mater aviæ meæ, decus regum,
Conjux Alexii Romanorum imperatoris.
Certe veneror te unicum servatorem meum,
Ego famulus tuus Alexius, origine Ducas.

Le Sauveur, homme-Dieu, sur ce mystique bois,
De trois arbres divers, qui composent sa croix,
Dormit d'un court sommeil, mais sommeil délectable
Depuis, à tous mortels ce bois est secourable,
Et quiconque est atteint de cet ardent poison,
Dont l'aspic infernal corrompt notre raison,

(1) TEXIER, Manuel d'épigraphie, p. 151.

Qui se sent travaillé de ces cruelles flammes
Qui consument nos cœurs et qui brûlent nos âmes,
Qu'il recoure à son ombre, il sentira soudain
Rafraîchir les ardeurs qui lui rongent le sein.
Dans le cuisant midi de nos péchés sans nombre,
J'accours à son abri ; j'ai recours à ton ombre,
O bel arbre arrosé de ce sang précieux,

Que, pour notre salut, versa le roi des cieux ;
Vois dessous tes rameaux ma pauvre âme exposée
Pour recevoir d'Hermon la céleste rosée.
Alexis, prince grec, dont les prédécesseurs
Du sceptre byzantin se virent possesseurs;
De qui le grand aïeul est l'empereur Comnène;
De qui la grande aïeule est son épouse Irène
Reine, dont la vertu fut sans comparaison,
Et l'honneur des Ducas son illustre maison;
Alexis, quoique issu de cette race illustre,

De ces Ducas fameux n'emprunte point son lustre :
Il est plus glorieux d'adorer cette croix,

Que d'être descendu d'empereur et de rois.

» Ces deux versions nous permettent de réduire le commentaire aux plus simples éléments. Voici l'histoire de ce reliquaire il fut remis aux moines de Grandmont par Bernard, évêque de Lidda, en Palestine, ancien moine de Déols, près Châteauroux, le dernier jour du mois de mai 1174. C'était un don que leur transmettait Amaury, roi de Jérusalem. Ce prince étant mort l'année précédente, on peut conjecturer que l'évêque Bernard exécutait en ce point une de ses dernières volontés. Un texte du martyrologe de Grandmont rapporte les faits précédents; son témoignage est confirmé par celui de Geoffroi de Vigeois dans sa chronique.

» L'inscription grecque contient deux allusions fort claires : la première rappelle la tradition orientale selon laquelle la croix du Sauveur était formée de trois bois différents, de pin, de cyprès et de cèdre Cum brevem dormisset somnum in triplici arbore. Cette rosée d'Hermon, qui rafraichit les âmes, était une image du sang du Sauveur. Enfin, la seconde allusion a trait au serpent d'airain. que Moïse éleva, pour le salut des Juifs, dans le désert. C'était encore une figure de la croix du Sauveur.

» Reste le nom du possesseur, Alexis de la race des Ducas. Ogier se livre, pour déterminer l'identité et le temps de ce personnage, à plusieurs conjectures laborieuses. Nous préférons le sentiment de Ducange. Cet érudit pense que notre Alexis, à qui ce saint reliquaire a appartenu, êtait fils de Jean Ducas, cousin germain de l'empereur Manuel, et qui, après s'être distingué à la guerre,

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