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traces chez nous, mais qui, d'après M. de Longuemar, se retrouverait dans le Poitou.

Aujourd'hui, les lignes ferrées ont remplacé les routes nationales et ont facilité les communications dans une mesure en rapport avec les besoins du pays. Mais il reste encore beaucoup à faire du côté Est; car nous n'avons encore qu'une seule ligne rattachant le Limousin à l'Auvergne.

Dans un article publié dans l'Almanach limousin pour 1891 (p. 118) et intitulé: Limoges centre du système routier entre Loire et Garonne, notre savant confrère, M. Alfred Leroux, fait les remarques suivantes :

«En dépit de l'imperfection de leurs connaissances topographiques, les ingénieurs de l'empire romain avaient reconnu l'importance de Limoges et ils en avaient fait le lieu de croisement des chaussées qu'ils construisirent de Bordeaux à Bourges et de Lyon à Saintes. Les marchands italiens, qui plus tard vinrent commercer en France, eurent la même intuition, s'il est vrai qu'à la fin du Xe siècle ils aient fait de Limoges le principal entrepôt de Narbonne et Orléans. En tout cas, il paraît établi que, pendant tout le moyenâge, le commerce des villes de la région pyrénéenne a eu vers le Nord une route intérieure qui passait par Limoges et bifurquait à cet endroit sur La Rochelle et sur Lyon. Nous signalons ce fait aux géographes qui prétendent que les fleuves ont été, au moyen âge, les seules routes du commerce d'importation.

» La tradition était formée et la considération de Limoges s'imposait plus que jamais quand, à la fin du XVIIe siècle, on construisit les premières grandes routes du royaume. Celle de ParisToulouse se croisa avec celle de Bordeaux-Lyon à Limoges, qui devint également le point terminus de deux autres routes se dirigeant l'une sur La Rochelle, l'autre sur Poitiers. Celle de La Rochelle et continuée, sous l'intendance de Turgot, jusqu'à Lyon... » M. Leroux parle ensuite du réseau de voies ferrées qui viennent converger vers Limoges et il appelle l'attention des pouvoirs publics sur les moyens de conserver à notre ville la prépondérance qu'elle n'a cessé d'avoir sur les villes voisines par sa situation géographique et son importance commerciale.

Les voies romaines ont-elles favorisé le développement des stations qui les bordaient, sur le territoire des Lémovices? On peut dire que, sauf Limoges et Brive, un très petit nombre de ces localités a prospéré; c'est à peine si quelques pans de mur, décrits par les archéologues, viennent rappeler leur ancienne importance. Prætorium (Puy-de-Jouer, près Saint-Goussaud), ce camp station

naire si important, se présente sous l'aspect d'une montagne déserte, battue par les vents.

Que reste-t-il de Cassinomagus (Chassenon), qui a possédé un théâtre, un temple, des palais? Un petit bourg de la Charente de mille habitants.

Où retrouver maintenant Tintignac, qui, elle aussi, a eu un moment de splendeur, comme en témoignent les restes de son théâtre et les nombreux objets découverts dans ses ruines? C'est aujourd'hui un hameau oublié de la commune de Naves.

Et cette ville de Breith, dont les ruines couvrent une vaste étendue et dont les habitants ont formé, dit-on, le premier noyau de La Souterraine? Encore un hameau.

Il est à croire qu'après la destruction de ces villes par les barbares, les habitants les abandonnèrent pour former de nouvelles agglomérations dans le voisinage; les anciennes villes ne s'étant pas relevées, on a fini par les oublier. C'est en 1858 seulement que M. Gonthier découvrit le théâtre des Bouchauds, près SaintCybardeau, que tout le monde ignorait.

Parmi les autres stations, il ne reste plus rien du Fines des Arvernes, aujourd'hui Monteil-Guillaume, hameau de la commune de Crocq, près duquel s'étaient groupées les trois commanderies du Monteil, du Naberon et de Salesses; de l'ancienne Luci, plus tard Courbefi, qui a vu naître saint Waast; du Fines des Pétrocores, près de Thiviers, qui a dû bénéficier de ses habitants.

Ahun, l'ancienne Acitodunum, siège d'une abbaye fondée au Xe siècle, a vu son importance diminuer le jour où la ville d'Aubusson, sa voisine, a grandi.

Limoges, grâce à l'intelligence et à l'esprit de ses habitants, a su conserver les avantages que le croisement de plusieurs voies lui avait procuré. Mais, pour conserver la situation avantageuse qu'elle possède, notre ville doit veiller avec un soin jaloux à ce que les villes voisines ne la devance pas dans la création des voies de communication plus rapides et plus commodes, surtout de l'Est à l'Ouest. C'est pour elle une des conditions du maintien de sa prospérité.

Paul DUCOURTIEUX.

UN PRIMITIF LIMOUSIN

Le peintre Pierre VILLATE

(1430-fin du XVo ou commencement du XVIe siècle)

Au mois d'avril de l'année 1904, s'ouvrait, au Pavillon de Marsan, l'exposition des Primitifs français, qui ont produit, de 1292 à 1500, tant d'œuvres remarquables. Des érudits, des critiques et des amateurs, groupés autour de M. Edouard Aynard, de Lyon, et de M. Henri Bouchot, membre de l'Institut, avaient pu, en multipliant les démarches auprès des grands collectionneurs français et étrangers, réunir à Paris un choix de peintures rares et de sculptures merveilleuses.

Les écoles de Picardie, de Bourgogne, de Touraine, de l'Artois, du Bourbonnais, d'Auvergne et d'Avignon étaient toutes représentées; l'œuvre de Limoges ne fut pas la moins appréciée avec les beaux portraits de Léonard Limosin.

Cette manifestation artistique, dont le succès a été considérable, n'a pas eu seulement pour résultat de consacrer la gloire des Jean Fouquet, des Nicolas Froment, des Clouet et des Bourdichon : elle a eu surtout l'avantage de réparer, pour beaucoup de nos vieux maîtres, la criante injustice qui avait fait si longtemps attribuer leurs œuvres aux Italiens et aux Flamands.

Stimulés par cette révélation de noms un peu trop oubliés, les savants et les curieux ont entrepris de nouvelles enquêtes, faisant, grâce aux modèles exposés, des rapprochements de manière et de facture, étudiant les coiffures et les costumes, fouillant les archives des notaires, des villes et des départements. C'est ainsi que M. de Mély a pu faire récemment, à l'Académie des Inscriptions et BellesLettres, une bien intéressante communication: il a découvert que les Très riches Heures du duc de Berry, aujourd'hui à Chantilly, furent composées par Henri Bellechose, de Dijon, en 1416.

Ces recherches minutieuses n'ont point encore abouti à reconstituer, par exemple, l'état civil de l'artiste étonnant qui se dissimule sous le nom du « maître de Moulins »; elles ont prouvé, du moins, que l'ancien diocèse de Limoges avait donné naissance à un peintre de grand talent, digne d'occuper une place de tout premier ordre dans la pléiade de nos illustrations.

Les étapes de cette découverte, due à M. l'abbé Requin, d'Avignon, à MM. Raffet, Bouchot et Durrieu, m'ont paru si attachantes à parcourir que je n'ai pu résister au plaisir de les narrer à ceux qu'intéresse l'histoire artistique de notre Limousin.

Le 1er juin 1904, la Gazette des Beaux-Arts publiait, sous la signature de M. Henri Bouchot, un article intitulé : « Un tableau capital de l'Ecole française à retrouver » (1). L'un de ses amis, M. Raffet, venait de trouver une lithographie, exécutée en 1823, dont la composition lui semblait se rapprocher d'œuvres aperçues au Salon des Primitifs. Elle portait, il est vrai, le nom de Fra Angelico, mais les personnages, habillés à la française, paraissaient se rapporter plutôt aux écoles nationales, ou tout au moins à Van Eyck et aux Flamands.

La gravure figurait une Vierge avec deux donateurs et leurs patrons. La Vierge abritait, sous les plis de son manteau éployé, un pape, un cardinal, un évêque, un empereur, un roi ressemblant à Charles VII et une reine rappelant Marie d'Anjou. La donatrice était présentée par saint Jean l'Evangéliste; son mari l'était par saint Jean-Baptiste. Ils se nommaient donc, vraisemblablement, Jeanne et Jean; les prie-Dieu devant lesquels ils s'agenouillaient portaient leurs armoiries, un chevron chargé de trois étoiles et accompagné de trois merlettes pour le mari; un chevron et trois bagues pour la femme.

A la lithographie était jointe une lettre indiquant que le tableau appartenait, en 1823, à M. Rousseau, consul de France à Bagdad, mesurait 075 de haut sur 180 de large, c'est-à-dire les dimensions d'un retable, et enfin ornait, un demi-siècle auparavant, «< la chapelle papale d'Avignon ».

M. Bouchot, tenant compte des costumes et des armoiries des donateurs, sachant, d'autre part, qu'au temps de l'Angelico les papes n'avaient pas beaucoup de rapports avec les chapelles d'Avignon, pensa tout d'abord au peintre Enguerrand Charonton. Cet artiste, qui fut un des grands maîtres du XVe siècle, était représenté à l'Exposition des Primitifs par l'un des tableaux les plus admirés, le Triomphe de la Vierge (2). Certains détails de la lithographie semblaient pourtant d'une autre main.

Ce fut M. l'abbé Requin qui révéla le mystère par la publication de documents recueillis dans des études de notaires. On connut, grâce à lui, la chapelle qu'ornait le prétendu Angelico, les noms de ses auteurs et de ceux qui l'avaient commandé (3).

(1) Gazette des Beaux-Arts, fascicule du 1er juin 1904.

(2) Catalogue de l'Exposition des Primitifs français. No 71.

(3) Abbé Requin, Documents inédits sur les peintres d'Avignon. — Paris, Plon et Nourrit, 1889. in-8°.

Deux personnages considérables de l'époque, Jean Cadard, seigneur de Moussy et baron de Thor, en Vaucluse, médecin du dauphin Charles VII à son avènement au trône, et sa femme, Jeanne des Moulins, avaient promis aux Célestins d'Avignon de prendre à leur charge les frais d'une chapelle dédiée à saint Jean-Baptiste. Pour en orner l'autel, ils commandèrent, le 16 février 1452, à deux peintres d'Avignon, Enguerrand Charonton et Pierre Villate, la peinture d'un retable. Ce retable, d'une hauteur de quatre palmes et de la largeur de l'autel, devait être à fond d'or bruni et montrer, au centre, Notre-Dame de Miséricorde, vêtue de son manteau d'azur. A droite, saint Jean-Baptiste présenterait Jean Cadard; à gauche, saint Jean l'Evangéliste patronnerait Jeanne des Moulins. Les deux peintres s'étaient engagés à exécuter leur travail pour trente écus d'or nouveaux et avaient reçu promesse de cinq autres si les Célestins étaient contents. Enguerrand Charonton, natif de Laon, avait un atelier à Avignon. Pierre Villate, dit Malebouche, s'y était établi, venant de Dau-de-l'Arche, au diocèse de Limoges ; il avait vingt ans en 1452.

Le document et la lithographie se complétaient, il faut en convenir, d'une étroite façon. M. l'abbé Requin allait encore fournir une preuve décisive. A M. Bouchot, lui demandant s'il connaissait les armoiries figurant sur la gravure, il répondait ceci : « Les Cadard portaient d'argent au chevron de gueules, chargé de trois étoiles d'or et accompagné de trois merlettes de sable. »>

Il restait maintenant à faire le départ entre Charonton et Villate dans l'exécution de l'œuvre. M. Bouchot, jusqu'à plus ample informé, bornait la part de Charonton à la Vierge protectrice et aux personnages agenouillés sous les plis de son manteau: on retrouvait, en effet, dans les figures du Triomphe de la Vierge, exposé au Pavillon de Marsan, les physionomies du pape et des empereur et roi du tableau de M. Rousseau. Quant aux deux Saint-Jean et aux donateurs, il pensait à Pierre Villate, qu'il n'hésitait pas à proclamer déjà le grand maître, le prodigieux artiste à qui l'on devrait, entre autres, un tableau fort apprécié en Provence, la Pietà de Villeneuve-lès-Avignon.

Il convenait, dès lors, d'attendre que d'un endroit ou d'un autre, d'Angleterre, de Flandre ou d'Allemagne, peut-être d'Italie, le pseudo Angelico se révélât tout à coup, et M. Bouchot terminait, dans ce sens, son article de la Gazette des Beaux-Arts, par un chaleureux appel aux amateurs et aux conservateurs de musées de tous pays.

La réponse ne se fit pas longtemps attendre. Le 1er juillet 1904, toujours dans la Gazette des Beaux-Arts, M. Paul Durrieu signale

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