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Cette maîtrise avait à sa tête un musicien, nommé François Audiguet, né en 1762 et entré dès l'âge de six ans au service du chapitre, sans doute en qualité d'enfant de choeur; ses appointements étaient par an de 264 livres, 8 septiers de froment, 12 septiers de seigle et 4 cordes de bois. Ce traitement en nature représentait, au cours commun du marché du Dorat, une somme d'environ 250 livres; il touchait donc en totalité 514 livres; de plus, le chapitre lui fournissait « un logement honnête et un beau jardin ».

Il avait sous sa direction trois musiciens choristes: Joseph Coudamy, 44 ans; J.-B. Bonnesset, 32 ans, et Joseph Cordeau, 32 ans. Au premier, on fournissait un « logement fort honnête » et 68 livres par an; le second touchait 98 livres; le dernier, 68 livres; enfin, chacun d'eux recevait annuellement 12 septiers de seigle représentant une valeur de 120 livres; ils ne recevaient pas de froment, qui alors était rare dans le pays et considéré comme nourriture de luxe.

Quatre enfants de chœur, recevant ensemble 20 septiers de seigle el 116 livres, les assistaient. Les choristes se recrutaient parmi ceux-ci par élimination; ceux qui, au bout d'un certain temps, étaient reconnus ne pas posséder une voix et des aptitudes musicales suffisantes étaient congédiés par le chapitre, qui leur donnait une indemnité de 60 livres pour apprendre un métier et payer leur apprentissage.

Ces enfants de choeur étaient tous fils de choristes ou d'anciens choristes.

En général, pour occuper les loisirs que leur laissaient les cérémonies du chapitre, les choristes exerçaient une profession manuelle Coudamy était tailleur d'habits; Bonnesset, cordonnier, et Cordeau, charpentier. Notre maître de chapelle lui-même nous apprend que, dans sa jeunesse, il a manié la varlope.

La Révolution, en supprimant le chapitre, ruina leur situation; un décret, rendu le 24 juillet 1790 par l'Assemblée nationale, portait, en effet, que les organistes, musiciens et autres employés aux gages des chapitres toucheraient comme indemnité leurs appointements d'une année. Cette décision ne satisfit pas nos artistes qui, le 23 septembre suivant, protestaient auprès du district et lui demandaient une pension viagère et non une indemnité; ils faisaient remarquer que l'exercice de leur art ne leur avait pas permis de se perfectionner dans leurs métiers.

Les administrateurs du district se rendirent à cette raison et accordèrent une pension de 150 11. à Audiguet et de 100 II. à chacun des choristes. En ce qui concerne les enfants de chœur, ils

décidèrent de continuer les traditions du chapitre et ils arrêtèrent qu'ils seraient placés en apprentissage sous la surveillance de la municipalité et qu'on donnerait une somme suffisante pour payer cet apprentissage. A l'un d'eux, François Duquéroux, fils d'un précédent maître de chapelle, le district alloua, à cause de sa mère et de son frère, une indemnité particulière.

Audiguet, qui était resté au Dorat comme professeur de musique, ne put recruter dans cette ville un nombre suffisant d'élèves pour vivre de ses leçons; il dut se retirer avec sa femme et ses deux enfants à La Souterraine.

Le 31 juillet 1791, par la pétition ci-après, il priait le district de vouloir bien lui conserver sa pension malgré son départ du Dorat; il protestait de son dévouement à l'administration et faisait valoir ses services et ses talents; il a, notamment, composé différents motets à l'occasion du service célébré pour les frères d'armes tués à Nancy, et un Libera, ouvrage conséquent, pour le service de M. de Mirabeau.

A Messieurs les administrateurs du district du Dorat

Le s François Audiguet, maître de musique attaché à la ci-devant collégiale de Saint-Pierre du Dorat, a l'honneur de vous représenter que vous avez eu la bonté de le comprendre sur la liste des pensionnaires attachés à cette église, dans laquelle il a toujours rempli ses fonctions avec zèle et exactitude; la réduction de son état et la rareté des écoliers dans la ville du Dorat l'ont obligé à se retirer à La Souterraine, mais sans renoncer à la grâce dont vous l'aviez flatté, comme récompense de ses services et pour l'assimiler au sort de ceux qui étaient attachés à lad. église; il n'a cessé de prouver son attachement et son zèle à la ville et à l'église, pour laquelle il a composé différents motets pour les frères d'armes tués à Nancy et un Libera, ouvrage conséquent, pour le service de M. de Mirabeau, qu'il a fait depuis sa retraite et sa suppression. Il ne croit pas avoir démérité et vous supplie de vouloir bien lui conserver lad. pension; un traitement différent de celui de ses confrères serait une espèce de punition et d'affront pour lui, qu'il ne croit pas avoir mérité. Il compte entièrement sur votre équité et ne refusera jamais d'être à vos ordres et de se rendre utile à la ville du Dorat, ayant eu l'honneur de le dire à M. le maire au moment de son départ, toutes les fois qu'elle lui fera l'honneur de l'appeler. Il vous prie, Messieurs, de vouloir bien lui être favorable et de protéger sa demande qu'il croit être fondée en droit et en raison.

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La chasse d'Ambazac

Depuis deux mois, tous les journaux de France n'ont cessé d'entretenir leurs lecteurs du vol commis dans l'église d'Ambazac, la nuit du au 6 septembre dernier, des auteurs de cette spoliation, de leur arrestation, de leurs interrogatoires, de leurs aveux, de leur moralité, de leur position dans la société, etc., etc. Si à mon tour je viens entretenir la Société archéologique de ce sujet, ce n'est point pour lui parler de toutes ces choses, sur lesquelles se sont longuement étendus, non seulement les journaux de la province, mais encore les principaux journaux de France et de l'étranger; ni même pour dérouler devant elle le récit de vols. semblables qui se multiplient de nos jours d'une manière inquiétante dans nos églises et nos musées. Je ne veux pas non plus rappeler ici les causes, bien connues d'ailleurs, de l'augmentation si considérable de la criminalité pour des faits analogues.

Je veux simplement signaler et rectifier certaines erreurs historiques, qui se trouvent parmi les renseignements donnés, dans les journaux, sur la châsse dite de saint Etienne de Muret. Les lignes suivantes sont donc une notice historique et archéologique, telle que la comporte le cadre de nos études sur l'histoire de la province. Eu disant son origine, par qui et comment cette châsse a été conservée jusqu'à nos jours, j'espère faire cesser certains doutes émis de bonne fois dans des publications récentes.

Pour atteindre ce but, il est nécessaire de dire quelques mots des sept grandes châsses de l'autel de Grandmont. Le retable d'orfévrerie émaillée dont elles faisaient partie avait été conçu et exécuté dans la pensée de les placer le plus honorablement possible. Au-dessus, et des deux côtés du tabernacle, ces sept châsses, toutes resplendissantes des feux des pierreries et de l'éclat des émaux, se détachaient sur un fond magnifique d'orfèvrerie, et donnaient à l'ensemble du monument sa physionomie particulière et son caractère original. Voici comment elles étaient disposées. I. Au centre et au sommet était la châsse de saint Etienne de Muret.

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II. A droite et un peu au-dessous, celle dé saint Macaire. III. Au-dessous de la précédente et la plus près du tabernacle se trouvait celle de sainte Panafrète.

IV. Sur le même rang, un peu plus éloignée du tabernacle, se trouvait celle de sainte Albine et sainte Essence.

V. A gauche, et plus bas que le n° I, était une châsse contenant des reliques de quelques compagnes de sainte Ursule.

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VI.

Au-dessous de la précédente, une autre ayant des reliques de sainte Essence et autres vierges martyres.

VII. Sur le même rang, une dernière conservant aussi les reliques de plusieurs vierges martyres.

Leur place dans ce grandiose retable de l'autel de Grandmont étant connue, je vais dire ce que l'on sait de chacune d'elles (1), en faisant suivre mes notes des procès-verbaux qui les rendent incontestables.

I

La première, placée au milieu et au sommet du retable, était celle de saint Etienne de Muret. Pardoux de la Garde, religieux de Grandmont, la décrit en ces termes : « Sur le contretable, au plus éminent lieu dudit autel, est élevée une fort belle et grande châsse, dans laquelle repose le corps de sainct Estienne, confesseur, premyer instituteur de l'Ordre de Grandmont. Ladite châsse est de cuivre doré esmaillé, enrichie de perles, de cristal et autre petite pierrerie, où est par personnaiges, le pourtraict en bosse de la vie dudict sainct, entièrement. . »

Dans les nombreux inventaires du trésor de Grandmont, on en trouve des descriptions analogues; il serait par trop long de les rapporter ici, mais il est bon de citer Levesque, autre religieux de cet ordre, qui nous fait connaître ses dimensions, et atteste l'art avec lequel a été exécutée cette fierte, la plus grande, la plus riche, et la plus belle de toutes les châsses de Grandmont : « Elle avait, dit-il, trois pieds trois pouces de long (1,05, un tiers environ en plus que la châsse dérobée à Ambazac), un pied de large (0m,33) et deux pieds neuf pouces de haut (0,91).

Le procès-verbal de la distribution des reliques de Grandmont aux églises du diocèse, le 6 août 1790, nous apprend qu'elle fut donnée à l'église de Razès et fut reçue par Alexis Brisset, curé de cette paroisse, lequel, deux ans après, était obligé de prendre la route de l'exil et de se réfugier en Espagne. M. Guibert, malgré ses recherches, n'avait pu savoir ce qu'était devenue cette châsse. Plus heureux que lui en cela, j'ai trouvé un procès-verbal de la municipalité de Razès qui nous renseigne complètement sur son sort. En voici le texte :

Aujourd'hui, 5 octobre 1792, an Ier de la République française, nous, commissaires soussignés, nous nous sommes transportés dans l'église

(1) C'est ce que M. Louis Guibert a déjà fait, avec plus de détails, dans son remarquable article L'Ecole monastique d'orfèvrerie de Grandmont (Bulletin de la Société archéologique, tome XXXVI, page 51).

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paroissiale, où nous avons fait rencontre du citoyen J.-B. Magy, ministre catholique, auquel ayant déclaré le sujet de notre transport, il nous a ouvert le tabernacle, dans lequel il s'y est trouvé un calice... et une grande châsse en cuivre garnie de pierreries, de peu de conséquence, ayant la longueur de 3 pieds et 4 pouces, sur 2 pieds et 7 pouces de hauteur et 13 pouces de largeur.

Fait, clos et arrêté le présent inventaire pour copie être renvoyée aux citoyens administrateurs du district de Bellac, et nous nous sommes soussignés avec ledit citoyen ministre catholique. Signé : Terrasson, officier municipal; Magy, curé de Razès; Moreau; Dardan.

Aujourd'hui, 18 frimaire, l'an 2o de la République une et indivisible (8 décembre 1793), séance publique, le procureur de la commune a dit que l'hydre du fanatisme ayant cédé la place à la raison, il est temps que le peuple reconnaisse la pureté que la nature a gravée dans le cœur de l'homme, il est temps enfin que tous les hochets de la superstition tombent et rentrent dans l'anéantissement, et a requis que tous les cuivres et guenilles du fanatisme seront adressés au département et toute l'argenterie il en soit fait don à la nation.

Au même instant, le conseil s'est transporté dans le temple, et après l'ouverture faite d'une petite armoire au-dessus de l'autel, il s'y est trouvé trois marcs, six onces et demie d'argent. Au-dessus de l'autel, huit chandeliers en cuivre jaune, une croix même métal. Dans la sacristie, deux croix, un encensoir, une lampe et un bénitier en cuivre, le tout pesant quarante-cinq livres. Et finalement, une grande châsse et une petite, renfermant beaucoup de superstition, pesant 190 livres ; y compris six livres propres à faire des cartouches, un petit plat d'étain pesant une livre cinq onces, une bannière en toile peinte... Signé : Terrasson, maire; Moreau, président de la Société républicaine.

Le 12 pluviôse, l'an 2o de la République une et indivisible (31 janvier 1794), le conseil de la commune de Razès, arrête que l'argenterie de la ci-devant église, aujourd'hui temple de la Raison, sera envoyée au district. Signé : Moreau, maire. Et la cloche au département. (Registre de la municipalité de Razès, folio 14).

On connaît donc exactement le sort de la châsse de saint Etienne de Muret, en se rapportant aux pièces officielles, aux procès-verbaux de l'époque. Mais certains journalistes ne l'entendaient pas ainsi. Ecoutez ce qu'a écrit, au sujet de notre châsse, M. Louis Guibert : « Un article des plus acerbes, publié dans le numéro des Nouvelles ecclésiastiques, du 14 août 1789, accusa Mgr d'Argentré d'avoir emporté à Paris, en se rendant aux Etats-Généraux, une châsse provenant de Grandmont, « enrichie de pierreries et valant 40.000 livres ». Cette accusation fut reproduite un peu plus tard par le rédacteur des Annales patriotiques et littéraires (5 décembre 1790); celui-ci affirmait que la châsse en question était en argent, et que c'était celle-là même où reposaient les ossements de saint Etienne de Muret. Mais il n'existait aucune grande châsse

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