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destinées. Pour avoir des volontés et des destinées, faudroit-il que les sujets attendissent que le Roi fût majeur, et qu'il eût choisi entre le despotisme et la magie de l'amour? Tout cela est pitoyable; et j'espère que les lois finiront par interdire l'éloquence politique dans les tribunaux de police correctionnelle, ne fût-ce que par respect pour les hommes de bon sens qu'on y envoic.

Ne regardez pas ceci comme une boutade d'humeur bien permise à celui qu'on a mis au supplice avant d'être condamné; comparez ce qui se passoit autrefois à ce qui se passe aujourd'hui, et voyez de quel côté est l'esprit des convenances.

Autrefois la partie publique faisoit un réquisitoire contre un ouvrage dangereux; mais l'auteur n'étoit jamais présent; il n'avoit pas été cité pour s'ouïr condamner, puisque ce n'étoit que dans le cas où les conclusions contre l'ouvrage avoient été admiscs par le parlement, qu'on décernoit une contrainte contre l'auteur. Les intentions de l'homme n'étoient pas accusées; il ne s'agissoit encore que du livre. L'auteur n'étoit pas exposé à se voir injurier publiquement. Et quelle plus cruelle injure peut-on éprouver que de s'entendre

dire en face qu'on a mis des mensonges dans ses paroles, qu'on mettra des mensonges dans l'explication de ses paroles? Quand il s'agit d'un fait, c'est tout différent; un fait se prouve; mais l'interprétation d'une pensée ! mais des inductions au troisième degré ! O France! ô ma patrie! regrette l'esprit de ton ancienne législation; les droits de l'homme ne remplaceront jamais le respect pour les hommes. Si on me citoit la bastille, je répondrois que le despotisme étoit en dehors de notre législation, et que ce n'est que depuis l'établissement de la liberté qu'on a vu des ministres réclamer légalement l'arbitraire, et l'obtenir légalement. On l'a quelquefois demandé à nos parlemens ; ils l'ont toujours refusé. On pouvoit mettre de l'éloquence dans un réquisitoire contre un livre qui prêchoit des doctrines nouvelles, puisqu'on réclamoit le respect dû aux doctrines établies, et que, dans une telle position, l'âme de l'orateur embrasse tous les intérêts fondés de la société; mais dans un pays où la constitution est toute neuve, où il n'y a pas encore de doctrines, où par conséquent il ne peut être question que de décider si la loi est ou n'est pas applisable, toute éloquence est dangereuse, et

expose celui qui s'y livre à avancer plus d'erreurs qu'il n'en réfute, sans avoir l'espérance de faire naître la conviction, même quand il rencontreroit juste. Cela est tellement dans la nature des choses que si, comme on dit qu'on en a le projet, quelqu'un s'avise de rassémbler tous les discours prononcés dans les tribunaux de police correctionnelle, en poursuivant à la fois les auteurs et leurs écrits, on aura le plus beau recueil de contradictions qui ait encore été formé. Ce sujet seroit digne de la plume de Pascal.

Heureusement pour moi, tout ce que j'entendois me paroissoit si neuf que cela ouvroit carrière à mon imagination; et tandis que le sieur Marchangy parloit, je pesois la valeur des mots qu'il avoit prononcés dix minutes avant, én attendant que M. le procureur du Roi revînt à son sujet. Ainsi, lorsque le sieur Marchangy eut affirmé que « l'affection des » peuples fut surtout pour les Bourbons une

politique innée, politique d'inspiration et >> de sentiment, j'admis de suite la politique innée, et la politique d'inspiration et de sentiment; et je me mis à réfléchir pour savoir comment elle avoit réussi aux Bourbons. Le premier qui se présenta à ma pensée dans

Fordre naturel, fut ce bon Henri IV, obligé de conquérir la moitié de son royaume l'épée à la main, d'acheter l'autre moitié, et périssant, faute de précautions,sous le fer d'un assassin. Louis XIII me parut avoir mis plus de confiance dans la politique innée du cardinal de Richelieu, que dans la politique de sentiment, et bien lui en fut. La jeunesse de Louis XIV me rappela la Fronde, sa vieillesse toute la majesté d'un beau caractère, mais dépouillée de la magie de l'amour. Je n'osai interroger l'histoire sur Louis XV; son regne est encore trop près de nous; et d'ailleurs l'échafaud de Louis XVI, la prison, la mort Barbare de Louis XVII, assiégeoient ma pensée. La bonté dans les princes est une grande vertu, me disois-je; mais elle n'est la base d'aucune politique; car la politique est le résultat des plus profondes combinaisons, et la bonté est un sentiment; il attire les cœurs honnêtes; il excite trop souvent à la révolte les cœurs pervers. Souhaitons que le ciel nous envoie toujours des princes qui méritent l'affection de leurs sujets ( et à cet égard peu de peuples ont été aussi bien dotés que nous); mais qu'ils n'oublient jamais que le maintien des lois est le plus ferme appui de leur pou

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voir; car si le monde se menoit par des sentimens, on n'auroit fait ni constitution, ni lois, ni institutions; les plus aimans seroient les premiers, les plus fidèles l'objet des préfé◄ rences; et les royaumes de la terre ressembleroient si bien au royaume du ciel qu'il n'y auroit besoin ni de procureur du Roi, ni de tribunal de police correctionnelle ; personne ne raisonneroit; on se contenteroit de sentir; et c'est la raison qui déplaît. Je fus tiré de ma rêverie en entendant prononcer d'un voix forte ces paroles étranges : « Si vous » adoptez mes conclusions (trois mois de

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prison et cinquante francs d'amende) votre > jugement ne sera pas sans utilité; il impo» sera aux libellistes turbulens une circons>pection et des craintes salutaires, en voyant » l'un des meilleurs écrivains condamné mal» gré ses talens, sa réputation, et quelques » vues estimables. » Je ne sais si c'est là de la politique innée, mais c'est de la politique trop franche; et si j'avois été abandonné de l'opinion publique, ce singulier aveu de M. le procureur du Roi auroit réuni à ma cause tout ce qui pense noblement en France. Cette phrase, soyez-en sûr, retentira dans les Chambres, et n'y sera pas perdue pour la

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