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liberté; la postérité la conservera; car dans les vieux codes de la tyrannie on ne trouveroit pas l'idée de donner la condamnation d'un écrivain reconnu estimable comme un exemple salutaire aux libellistes turbulens. Et pourquoi ma condamnation leur inspireroitelle des craintes salutaires? elle les sauveroit au contraire de la honte qui doit s'attacher aux libelles. Pourquoi se soumettroient-ils, si, moi, condamné, je ne me soumets pas; si je redouble au contraire d'efforts pour augmenter ma réputation, afin de traîner partout où mon nom pénétrera et l'accusation et le prononcé? Ce que je ferai par honneur ne le feront-ils point par obstination? Et si le public met entre moi et des libellistes turbulens toute la distance que ne peuvent combler des paroles enregistrées par un greffier, à qui restera la condamnation? A coup sûr, l'opposition à l'asservissement des esprits n'est pas encore tellement abattue, qu'on puisse proclamer le triomphe comme un fait hors de contestation. La liberté de la presse est dans la Charte, c'est un principe de notre droit public; il ne peut périr; et les tentatives que l'on fait ne sont pas en proportion avec la grandeur de l'intérêt qu'on veut anéan

tir. Quand la liberté est dans tous les esprits, il faut bien qu'elle se montre dans les livres.

pas

Toute réflexion faite, je ne vous envoie le journal que je vous avois annoncé. On 'm'assure que l'accusation portée contre moi par M. le procureur du Roi, sera demain dans le Moniteur; comme cette édition sera postérieure à celle d'hier, elle sera plus soignée, l'opinion publique ayant déjà donné quelques avis salutaires. Je vous enverrai donc le Moniteur après l'avoir lu pour comparer; j'y retrouverai le sujet de quelques développemens que la longueur de cette lettre m'oblige d'ajourner.

LETTRE SEPTIÈME.

14 avril 1818.

J'AVOIS bien prévu que l'accusation portée contre la onzième partie de la Correspondance ne seroit pas imprimée dans le Moniteur sans offrir quelques nouvelles suppressions; cela est commode, même quand on 'n'improvise pas ce qu'on dit, quand on l'a médité et écrit avant de le prononcer en public. Nous autres écrivains politiques, nous n'avons pas cet avantage; on nous juge sur notre première édition. Peut-être prendronsnous le parti d'avoir un auditoire, de lire à deux ou trois cents personnes réunies ce que nous aurons fait, et de ne le livrer à l'impression qu'après cette épreuve. Cela rétabliroit tout naturellement les clubs.

Amédé par le soin de mà défense à fixer le sens du mot pitié, j'avois imprimé dans la douzième partie de ma Correspondance, que

ĉe mot si noble et si touchant avoit été appliqué par nos plus fameux prédicateurs à JésusChrist mourant sur la croix ; je l'avois dit de même dans mon interrogatoire; et il n'est pas encore défendu de répéter ce qui est vrai. Dès que le ministère public s'emparoit de cette assertion, ce ne devoit être que pour la nier ou pour l'accorder. Pas du tout. Lisez ce passage qui est dans le journal exact qui avoit annoncé des murmures flatteurs, et qui ne se retrouve pas dans le journal officiel :

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Le prévenu ajoute, dans son interrogatoire, » que la religion permet d'employer le mot pitié en parlant d'un Dieu mort sur la croix. » Je ne sache pas que les mots de bonhomie » et de pitié, se dégradant ainsi mutuellement » dans leur abjecte alliance, soient en effet » très - orthodoxes. Du reste, précisément » parce que l'idée de bonhomie et de pitié im>>pliqueroit contradiction avec la nature et » l'essence de Dieu, elle seroit sans danger à force d'être absurde. »

Mais, dans mon interrogatoire, on m'avoit parlé du mot pitié, et non du mot bonhomie; j'ai répondu à ce qu'on m'a dit, et non à ce qu'on ne m'a pas dit. Le mot homme implique contradiction avec la nature et l'essence de

Dieu, et cette idée n'est pas absurde; c'est le grand mystère de notre religion. Si l'adjectif bon ne peut pas se joindre au substantif homme lorsqu'il s'agit de l'Homme-Dieu, c'est que la bonté ne suffit pas pour exprimer ce qu'il y a d'étonnant dans le sacrifice volontaire de Jésus-Christ pour notre salut. Il est étrange qu'en public, dans un royaume chrétien, on hasarde des phrases dont les conséquences seroient extrêmement dangereuses si on s'avisoit de les presser avec le talent déployé contre mon ouvrage, puisqu'il est vrai que ce n'est pas le mot bon qui impliqueroit contradiction avec la nature et l'essence de Dieu, mais le mot homme, base fondamentale du mot bonhomie. Où nous mène l'éloquence des tribunaux, lorsqu'on veut faire à la fois les jugemens et les doctrines? Et pourquoi faut-il que je sois l'occasion de semblables propositions?

Mais comment trouvez-vous qu'on nie que le mot pitié ait été appliqué par nos plus fameux prédicateurs à Jésus-Christ, parce que le mot bonhomie ne s'y appliqueroit pas, et qu'on s'appuie de cette observation comme si j'avois dit le contraire? Cette manière de raisonner est vraiment désespérante pour un

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