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C'est ainsi que le 14 mars 1792 l'Assemblée nationale française décréta d'accusation Claude Delessart, ministre des affaires étrangères, prévenu «< d'avoir négligé et trahi >> ses devoirs, compromis l'indépendance, la dignité, la >> sûreté et la constitution de la nation française. >>

Delessart ne fut pas jugé. Il fut massacré par la foule.

La Constitution belge autorise la mise en jugement des ministres à raison de faits non prévus par la loi pénale. L'article 134 est ainsi conçu: « Jusqu'à ce qu'il y soit » pourvu par une loi, la Chambre des représentants >> aura un pouvoir discrétionnaire pour accuser un » ministre, et la Cour de cassation pour le juger, en » caractérisant le délit et en déterminant la peine.

» Néanmoins, la peine ne pourra excéder celle de la » réclusion, sans préjudice des cas expressément prévus » par les lois pénales. »

§ 169.

L'article 90 de la Constitution dispose qu'une loi règlera le mode de procéder contre les ministres sur la poursuite des parties lésées.

Ce texte décide implicitement que les ministres sont civilement responsables des fautes qu'ils commettent dans l'exercice de leurs fonctions.

Il résulte toutefois de la nature des choses que les ministres ne peuvent être rendus responsables d'une simple erreur de droit. Ils n'ont pas le don de l'infaillibilité. S'ils se trompent dans l'interprêtatien d'une loi ou d'un règlement, il est impossible de leur faire subir la responsabilité juridique de cette erreur, à moins

qu'elle n'aille jusqu'à la faute grossière ou jusqu'au dol caractérisé.

L'article 90 énonce un principe général et s'applique même aux actions civiles qui tendent à la réparation du préjudice causé par un délit ministériel.

Ces actions doivent être autorisées par la Chambre des représentants et soumises au jugement de la Cour de cassation.

La Chambre pourrait, en vertu du pouvoir discrétionnaire dont elle est investie par l'article 124, autoriser des poursuites de cette espèce sous le régime provisoire actuel.

Tant que le législateur n'aura pas organisé les applications du principe de la responsabilité ministérielle, les poursuites en réparation du dommage causé à un particulier par un quasi-délit imputable à un ministre, ne seront recevables qu'à la condition d'avoir été autorisées par la Chambre des représentants.

C'est ce qui a été jugé dans l'espèce suivante.

Le major Lecharlier ayant été démissionné « sur sa demande » prétendit n'avoir jamais demandé la démission qu'on lui accordait bénévolement, et il assigna le général Evain, ministre de la Guerre, en paiement de dommages-intérêts.

La Cour de Bruxelles écarta cette demande par le motif que le fait incriminé émanait d'un ministre dans. l'exercice de ses fonctions. Elle décida que l'appréciation de ce fait dans ses rapports avec la responsabilité ministérielle n'appartenait qu'à la Chambre des représentants et à la Cour de cassation. (Bruxelles, 24 mai 1843.)

La loi future pourra autoriser les personnes lésées

par un délit ministériel à porter leur action en dommages-intérêts, soit devant une seule chambre de la Cour de cassation, soit devant une Cour d'appel ou un tribunal de première instance. Ces dérogations sont légitimées d'avance par l'article 90 de la Constitution.

§ 170.

Lorsqu'un ministre est traduit devant la Cour de cassation, les complices du délit qu'il a commis ou les auteurs des délits connexes à ce délit doivent être poursuivis en même temps que lui et devant la même juridiction. L'indivisibilité de la procédure est la conséquence nécessaire de l'indivisibilité des délits. (Voy. la loi du 24 messidor, an IV et l'article 501 du code d'instr. crim.)

En 1865, M. Chazal, ministre de la Guerre, a été traduit devant la Cour de cassation pour s'être battu en duel avec le représentant Delaet, et ce dernier a été poursuivi et jugé en même temps et devant le même tribunal que le ministre. (Voyez la Pasicrisie, 1865, I, 258.)

S 171.

Les privilèges que la Constitution accorde aux ministres ne concernent pas les actions civiles qui sont dirigées contre eux en exécution d'un contrat ou en réparation d'un quasi-délit étranger à leurs fonctions. Ils n'ont besoin, à cet égard, d'aucune protection spéciale, et le droit commun leur est applicable.

Lorsqu'un ministre a quitté le pouvoir, il demeure

sous la protection de l'article 90 de la Constitution, à raison de tout ce qu'il a fait pendant qu'il était ministre. Il ne peut être poursuivi, pour des infractions commises durant l'exercice de ses fonctions, que devant la Cour de cassation et sur la plainte de la Chambre des représentants.

§ 172.

Lorsqu'un ministre se rend coupable d'un acte illégal, il en supporte la responsabilité, quand même il n'aurait fait qu'exécuter les ordres du chef de l'Etat. Sa responsabilité serait illusoire si le Roi pouvait lui faire grâce sans condition. C'est pourquoi la Constitution dispose, art. 91 « Le Roi ne peut faire grâce au ministre » condamné par la Cour de cassation que sur la » demande de l'une des deux Chambres. >>

Cette disposition demeurera applicable aux délits ordinaires commis hors de l'exercice des fonctions ministérielles aussi longtemps que ces délits seront soumis à la juridiction de la Cour de cassation. Il en sera autrement si la loi future en défère la connaissance à d'autres corps judiciaires, aux Cours d'appel, par exemple.

LIVRE SEPTIÈME

LE POUVOIR JUDICIAIRE

§ 173.

Le pouvoir judiciaire a pour mission de statuer sur les contestations que soulève l'application des lois aux cas particuliers et douteux qui se présentent.

Sous l'ancien régime l'administration de la justice et le commandement militaire, cumulativement réunis dans la main des seigneurs féodaux, suivaient la hiérarchie des pouvoirs et résidaient éminemment dans la personne du Prince, juge en dernier ressort de tous les procès et chef suprême de l'armée.

C'est pourquoi la justice émanait du Prince. Elle était rendue par ses officiers et en son nom.

L'expérience a démontré qu'il n'existe ni sécurité sociale, ni garantie des droits privés, quand les juges ne sont pas indépendants de l'autorité administrative.

Les membres des anciens Parlements français étaient indépendants de la Couronne, parce qu'ils avaient acquis, moyennant finance, la propriété de leurs charges, lesquelles étaient vénales et héréditaires.

Dans les Pays-Bas autrichiens les membres des Conseils de justice et ceux des Echevinages ou Lois étaient assujettis au paiement d'une médianate, qui les mettait à l'abri d'une révocation arbitraire pendant toute la durée de leurs fonctions.

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