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imparfaite, si on ne leur appliquait à toutes le bénéfice de l'inviolabilité.

A ces considérations abstraites on répond, non sans quelque apparence de raison, que quand le Prince viole la Constitution nationale, foule aux pieds l'honneur et la vie des citoyens, ou s'empare arbitrairement de leurs biens, il détruit l'état social et rétablit l'état de nature. La résistance devient alors légitime.

Nombre de philosophes et de théologiens ont admis qu'il est permis de résister à des lois injustes et que le peuple, quand il n'a plus d'autre moyen de défendre ses droits, peut renverser un Gouvernement qui oublie ses devoirs jusqu'à se faire le tyran ou le bourreau de ses propres sujets. (1)

Mais il est presque impossible de donner un corps et une formule précise au droit d'appel aux armes et de définir dans quelles circonstances et dans quelle mesure il peut s'exercer.

La Joyeuse-entrée du Brabant, qui était un contrat synallagmatique, stipulait que les sujets du Duc de Brabant seraient déliés de leur serment d'obéissance dans le cas où le Duc manquerait lui-même à ses engagements. «S'il arrivait, disait-elle, que le Prince y >> contrevînt par lui-même ou par quelque autre, en » tout ou en partie, il consent et accorde en ce cas aux » prélats, barons, chevaliers, villes et à tous autres ses >> sujets, qu'il ne lui feront aucuns services ni obéiront >> en aucunes choses dont il aurait besoin ou qu'il vou» drait d'eux ou leur pourrait demander. »

Le soulèvement qui éclata sous Joseph II et qui fina

(1) Voy. Saint-Thomas d'Aquin, De regimine principum, c. VI (ou l'auteur, quel qu'il soit, du De regimine principum).

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lement fut réprimé par la force, a démontré que l'article 59 de la Joyeuse-Entrée n'était que l'énoncé d'un principe abstrait, dont le législateur est impuissant à régler l'application.

La Constitution de 1793 essaya de préciser l'étendue du droit de résistance à l'oppression : « La résistance à >> l'oppression, disait-elle, est la conséquence des autres >> droits de l'homme; quand le Gouvernement viole les >> droits du peuple, l'insurrection est pour le peuple et » pour chaque portion du peuple le plus sacré et le plus >> indispensable des devoirs. >>

Ce texte légitimait d'avance toutes les séditions qui devaient marquer le régime de la Terreur; il érigeait en principe un prétendu droit d'insurrection qui ne peut être qu'une exception dans la vie d'un peuple.

Le Congrès national Belge, qui était l'organe d'une insurrection heureuse et triomphante a eu, à son tour, l'occasion de se prononcer sur la question de savoir s'il est permis de résister à l'oppression.

M. Thorn avait proposé une rédaction qui reconnaissait explicitement aux particuliers « le droit de refuser >> leur obéissance aux actes arbitraires du pouvoir >> exécutif et, au besoin, d'opposer la force à tout acte illégal des autorités et à tout acte illégalement exercé. >> La section centrale écarta cette motion: « Tout le >> monde reconnaît en principe, disait-elle, que l'on >> peut repousser un acte illégal et qu'il est même per» mis, en certains cas, de lui opposer la force; mais on >> reconnaît également que l'usage de la force doit » toujours être proportionné à l'abus qu'elle tend à » à empêcher; d'où il suit que la légitimité de la résis>>tance dépend des circonstances, qu'elle doit, par

>> conséquent, être abandonnée à l'appréciation du juge >> et ne peut être vaguement proclamée dans la Consti

>>tution. >>>

Le droit de résister à l'oppression n'a donc pas été consacré explicitement par la Constitution. Mais la preuve que ce droit existe se déduit des termes dont se sert l'article 269 du Code pénal pour définir le délit de rébellion « Est qualifiée rébellion toute attaque, toute >> résistance avec violence ou menaces envers les dépo>> sitaires ou agents de la force publique agissant pour » l'exécution des lois, des ordres ou ordonnances de l'auto» rité publique, des mandats de justice ou jugements. »

En résumé il est toujours dangereux de résister par la force aux agents de l'autorité publique, parce que la limite entre les actes légaux et les actes illégaux est souvent incertaine et obscure.

D'un autre côté le principe de la séparation et de l'indépendance des pouvoirs publics s'oppose à ce que les tribunaux interviennent préventivement et fassent défense à l'administration d'exécuter un ordre même illégal.

Mais la victime d'un acte arbitraire consommé a incontestablement le droit d'actionner en dommagesintérêts le fonctionnaire qui a ordonné cet acte. Ce recours lui est ouvert par les articles 24, 92 et 107 de la Constitution.

LIVRE DIXIÈME

LA SOUVERAINETÉ ECCLÉSIASTIQUE

§ 279.

L'église romaine est, dans le plan conçu et réalisé par Grégoire VII, Innocent III et les autres grands papes du moyen-âge, un vaste établissement politique, pourvu de tous les organes de la souveraineté et subsistant par lui-même en dehors et au-dessus des États séculiers.

L'Église terrestre, dit Pilgram, est, dans sa forme >> et dans son esprit, tout-à-fait comparable à l'État. » Elle est parfaitement organisée en république, mokitɛia respublica, jusqu'à posséder une Constitution qui » répond à toutes les nécessités de la vie. Elle a un >> gouvernement, une législation, une juridiction, une >> autorité et des sujets. Bref, il ne lui manque aucun » des attributs d'un corps politique parfait (1). »

« L'Église, disait naguère M. Thonissen, est une >> société parfaite et perpétuelle, d'institution divine, >> existant par elle-même, en dehors et au-dessus des >> lois civiles (2). »

L'Église romaine est donc un véritable État souverain, qui existe et se maintient parallèlement aux États séculiers, sans leur être, sous aucun rapport, soumis ou subordonné

Elle diffère des autres États en ce qu'elle ne possède

(1) Pilgram, la physiologie de l'Église, page 63.

(2) Séance de la Chambre des représentants, du 14 décembre 1881.

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pas une force publique organisée. Elle n'a ni soldats, ni prisons, ni bourreaux.

Elle n'en possède pas moins, de l'avis de tous les théologiens, le pouvoir coactif, qui est inhérent à tous les gouvernements politiques; mais elle ne l'exerce que médiatement, par l'intermédiaire des magistrats civils.

Elle dispose, en outre, de certains moyens coactifs qui lui sont propres et qu'on désigne sous le nom de peines spirituelles, savoir les refus d'absolution, les refus de sépultures, les suspenses, les interdits et les excommunications.

A part ces différences, aucun des éléments constitutifs d'un gouvernement politique parfait ne lui fait défaut. On aperçoit, en effet, dans l'organisme ecclésiastique un peuple, un territoire, un pouvoir suprême et un système complet de législation.

§ 280.

Toute créature humaine, dit la Bulle Unam sanctam, de Boniface VIII, est soumise au Pontife romain: omnem creaturam humanum subesse Pontifici romano.

L'autorité de l'Eglise atteint directement tous ceux qui sont devenus ses sujets par le baptême.

Les hérétiques, c'est-à-dire tous ceux qui, ayant reçu le baptême, adhèrent avec obstination à une erreur quelconque contre la foi, sont liés par les lois ecclésiastiques, car ils ont été retranchés du corps de l'Église uniquement pour cause de délit.

L'Eglise a le droit de les punir, car nul ne saurait se soustraire à la vindicte des lois en commettant un délit (1). (1) TARQUINI, Le droit public de l'Église, p. 99.

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