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domination papale, refusaient donc de reconnaître un suzerain autre que Dieu lui-même. C'est en cela que consistait anciennement la doctrine du droit divin, qui s'opposait au droit de l'Église et que les partisans du pouvoir civil ont, défendue depuis le xne jusqu'à la fin du XVIIIe siècle.

Pour combattre les zélateurs du droit divin, et surtout les apologistes de l'omnipotence impériale, les théologiens se sont attachés à mettre en relief le côté purement humain de la souveraineté, et ils en ont trouvé la source dans la volonté du peuple.

Saint-Thomas d'Aquin (xme siècle) distingue, en traitant cette question, entre la souveraineté considérée abstractivement et le moyen particulier et spécial par lequel on s'élève à la possession du pouvoir souverain. La souveraineté envisagée en elle-même émane de Dieu, mais il appartient aux hommes de choisir la forme politique de chaque Gouvernement et d'instituer des princes de leur choix : Dominium et praelatio introducta sunt a jure humano.

La conclusion de Saint-Thomas est que la puissance de faire des lois, attribut fondamental de la souveraineté, est l'apanage de la multitude tout entière ou de celui qui représente la multitude (vel totius multitudinis, vel alicujus gerentis vicem).

C'est donc dans la volonté de la multitude, c'est-à-dire dans la volonté de la nation, que le pouvoir souverain a

sa source.

Suarez a suivi la voie frayée par Saint-Thomas. La souveraineté, d'après lui, ne réside dans aucun homme en particulier, mais dans la collection des hommes, c'est-à-dire dans le peuple. Le pouvoir politique appar

tient à la masse du peuple, qui lui-même le tient de Dieu, conformément à cette parole de l'écriture: non est protestas, nisi a Deo.

Ce sont donc les théologiens scholastiques qui, les premiers, ont enseigné la doctrine de la souveraineté du peuple, dans la but de battre en brêche la théorie du droit divin.

Cette doctrine a trouvé, surtout au xvie siècle, des apologistes aussi bien parmi les défenseurs du pouvoir civil que parmi les théologiens.

Elle se justifie par de graves considérations.

Le souverain, en effet, ne peut être que le peuple lui-même représenté par la généralité de ses membres. La Nation résume en soi la somme de toutes les intelligences et de toutes les forces sociales, et la volonté du plus grand nombre est, en définitive, le seul criterium possible de la justice relative qui préside aux choses humaines.

La théorie de la souveraineté du peuple est expressément consacrée par l'article 25 de la Constitution belge, portant que « Tous les pouvoirs émanent de la Nation».

La souveraineté réside donc dans la volonté générale du peuple. Elle n'appartient pas à une famille élue par Dieu, ni à une caste nobiliaire, ni à une corporation. laïque ou ecclésiastique. La Nation seule est souveraine, seule elle a la direction et, en même temps, la responsabilité de ses destinées.

-Les adversaires de cette théorie objectent qu'il est dangereux de décerner au peuple un brevet d'infaillibilité, car il pourrait vouloir des choses injustes et déraisonnables.

Rien n'est plus vrai, mais ce reproche peut être

adressé à tout souverain, quel qu'il soit. Il est donc sans valeur.

On ajoute que si la souveraineté réside dans le peuple, la minorité doit se soumettre à la majorité, ce qui est injuste, chaque membre de la cité ayant un droit égal à l'indépendance.

On peut répondre que les hommes sont forcés de vivre en société, et qu'il est impossible que leurs sentiments et leurs volontés soient unanimes. Il faut donc que la minorité s'incline devant la majorité. C'est une nécessité qui dérive de l'organisation même de l'humanité.

Il existe encore aujourd'hui de nombreux partisans du droit divin ou de la légitimité. Suivant eux c'est la volonté divine, et non la volonté du peuple, qui a établi et qui soutient les familles royales.

Mais, au lieu de combattre la suprématie papale, qui a cessé d'être dangereuse pour les couronnes, ils combattent la théorie démocratique, d'après laquelle tous les pouvoirs émanent de la Nation. Le trône et l'autel. qui étaient autrefois rivaux et même ennemis, se soutiennent aujourd'hui mutuellement. La théorie du droit divin n'a donc plus le même sens et la même portée qu'au moyen âge.

§ 25.

La Nation ne pouvant ordonner, juger, agir collectivement, est obligée de confier soit à un monarque, soit à des corps héréditaires, soit à des assemblées, l'exercice des pouvoirs multiples contenus dans la notion de la souveraineté.

Quelle est la nature du contrat par lequel s'opère cette cession de souveraineté ?

Ce contrat, d'après Grotius, est une aliénation. Il admet qu'un peuple peut aliéner sa liberté et se rendre sujet d'un roi, de même qu'un particulier peut aliéner la science et se rendre l'esclave d'un autre particulier.

Cette proposition est inadmissible. La souveraineté est, par son essence, inaliénable et indélébile, en dépit de toute convention contraire.

Le décret des 22 novembre-1er décembre 1790, article 9, a donné à cette vérité scientifique la consécration législative, en disposant que les droits utiles et honorifiques, ci-devant appelés régaliens, et notamment ceux qui participent de la nature de l'impôt, comme... droits d'amendes, confiscation... ne sont point communicables ni cessibles, et que toutes concessions de droits de ce genre, à quelque titre qu'elles aient été faites, sont nulles, et en tout cas révoquées.

Sous l'ancien régime les gouvernements aliénaient, dans les moments difficiles, le droit d'établir et de percevoir certains impôts.

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D'après le droit public qui nous régit actuellement les droits utiles qui dérivent de la souveraineté sont inaliénables comme la souveraineté elle-même.

La loi du 10 mai 1862 a dérogé, dans une certaine mesure, à ce principe, en autorisant le Gouvernement à concéder pour un temps limité (90 ans au maximum) des péages à des particuliers, comme prix de la consstruction ou de l'entretien d'un travail d'utilité publique, par exemple d'un chemin de fer ou d'un canal.

La souveraineté est inaliénable, mais elle s'exerce par voie de représentation ou de délégation : « La Nation,

» de qui seule émanent tous les pouvoirs, ne peut les >> exercer que par délégation. » (Constit. du 3 sept. 1791, tit. III, art. 2.)

La souveraineté déléguée s'acquiert soit par l'hérédité, soit par voie d'élection, soit même par un coup d'état.

Elle s'impose aussi par la conquête.

Elle se perd par, l'expiration du terme du mandat assigné aux autorités électives, par la mort ou l'abdication du souverain, par la déchéance résultant d'une révolution ou d'une conquête.

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