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Ludovic!» ce qui lui paraissait, à elle, le comble du bonheur.

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Tu aimes quoi? demanda la Brocante.

Oh! tu aimes quoi? fit Babolin.

Puis, à demi-voix :

Dis donc, Rosette, la Brocante qui croit que c'est le sucre, la mélasse ou le raisin sec que tu aimes! Oh! elle est bonne, la Brocante! fameuse, la Brocante! Et Babolin se mit à chanter, sur un air connu :

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Mais Rose-de-Noël tourna vers l'affreux gamin un si doux regard, que celui-ci s'arrêta tout court, en disant :

Eh bien, non, non, tu ne l'aimes pas, la! Es-tu contente, petite sœur de mon cœur? Dis donc, la Brocante, il me semble que ce n'est pas difficile de faire des vers comme M. Jean Robert tu vois, j'en exécute malgré moi... Ah! c'est décidé, je me fais poëte. .

Mais tout ce que pouvait dire Rose-de-Noël ou Babolin ne parvenait point à tirer la Brocante de sa préoccupation. Aussi persista-t-elle, et fût-ce d'une voix lugubre qu'elle reprit :

- Monte te coucher, mon enfant. - Et toi, fais-en autant, paresseux! ajouta-t-elle en se tournant vers Babolin, qui bâillait à se décrocher la mâchoire; pendant ce temps, je vais méditer et essayer de conjurer le mauvais sort. Monte te coucher, mon enfant.

-

Ah! fit Ludovic en respirant, voilà le premier mot raisonnable que tu dis depuis une heure que tu parles, vieille sorcière !

Rose-de-Noël monta à son entre-sol; Babolin se réintégra dans son hit, et la Brocante, pour méditer plus à son aise, Bans doute, ferma la fenêtre.

LXXII

Paul et Virginie.

Alors Ludovic traversa la rue, et alla s'appuyer à la maison en face; de là, il se mit à regarder les fenêtres de Rosede-Noël, qui s'illuminaient à travers leurs petits rideaux blancs.

Depuis le moment où l'amour était si tardivement entré dans son cœur, Ludovic avait passé tous les jours à rêver à Rose-de-Noël et une partie de ses nuits à veiller sous les fenêtres de l'enfant, comme Pétrus à se promener devant la porte de Régina.

Cette nuit-là était une belle nuit d'été; l'atmosphère était de ce bleu transparent et limpide que le ciel de Naples verse sur le golfe de Baïa. A défaut de la lune absente, les étoiles répandaient leurs lumières à la fois les plus vives et les plus douces. On se fût cru dans un de ces paysages des Tropiques où, comme dit Chateaubriand, l'obscurité est non pas la nuit, mais l'absence du jour.

Ludovic, les yeux fixés sur les fenêtres de Rose-de-Noël, le cœur en proie aux plus douces émotions, savourai!, tout en rêvant, les douceurs ineffables de cette nuit.

Il n'avait pas dit à Rose qu'il viendrait, il n'y avait pas de rendez-vous pris entre lui et la chère enfant; mais, comme elle savait qu'il était bien rare que, vers minuit ou une heure du matin, le jeune homme ne fût point là, lui s'at-tendait bien que, aussitôt montée chez elle, elle ouvrirait sa fenêtre. Ce qui le confirma davantage encore dans cette opinion, c'est que les fenêtres, à peine éclairées un instant par le reflet de la lumière, s'éteignirent tout à coup. Rose

de-Noël venait d'enfermer la bougie dans un petit cabinet; puis la fenêtre s'ouvrit doucement, et, tout en posant son rosier sur l'appui de cette même fenêtre, Rose-de-Noël promena son regard dans la rue.

Ses yeux, encore pleins de lumière, hésitèrent un instant à reconnaître Ludovic dans l'ombre qui se dessinait sous la porte de la maison en face.

Mais Ludovic avait tout vu, lui, et sa voix, traversant l'espace, alla faire tressaillir l'enfant jusqu'au fond du cœur. Rosel avait dit la voix.

Ludovic! répondit Rose.

Car quel autre que Ludovic pouvait appeler Rose avec une voix si douce, que cette voix semblait un soupir de la nuit?

Ludovic ne fit qu'un bond, et, de ce bond, il traversa la rue. Devant la maison de la Brocante était une de ces hautes bornes que l'on ne retrouve plus maintenant qu'aux angles des vieilles maisons du Marais. Ludovic sauta bien plus qu'il ne monta sur la borne. Parvenu sur le sommet, en étendant la main, il put saisir et presser les deux mains de Rose-de-Noël. Il les pressa longtemps ainsi sans rien dire, ne murmurant rien autre chose que ces deux mots :

Rose! chère Rose!

Quant à Rose, elle ne murmurait pas même le nom du jeune homme; elle le regardait, et sa poitrine, haletant doucement, respirait la vie et le bonheur.

En effet, qu'avaient-ils besoin d'échanger des paroles inutiles, ces deux enfants, aussi savants l'un que l'autre pour sentir, aussi ignorants l'un que l'autre pour exprimer? Tout leur cœur était passé dans la tendre étreinte. Leur voix n'eût pas ajouté un mot de plus à ce concert où les regards sont des chansons.

Ludovic conserva les mains de Rose dans les siennes, sans que Rose songeât même à les retirer.

Il la contemplait dans cette douce extase où est plongé l'enfant ou l'aveugle apercevant pour la première fois la lunière.

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Et de quel ton dit-elle ce simple mot ami? avec quelle

adorable intonation? C'est ce que nous ne saurions rendre. Mais ce seul mot fit délicieusement tressaillir Ludovic.

Oh! oui, votre ami, Rose, dit-il; l'ami le plus tendre, le plus dévoué et le plus respectueux aussi... Ton ami, ton frère, ma douce sœur!

Comme il venait de prononcer ces paroles, il entendit un bruit de pas; ce bruit, quoiqu'on tentât évidemment de l'amortir, retentissait dans la rue déserte comme sur le pavé sonore d'une cathédrale.

Quelqu'un dit-il.

Et il sauta à bas de sa borne.

Puis, traversant rapidement la rue, il alla s'effacer à l'angle formé par la rue d'Ulm et la rue des Postes.

De loin, alors, il aperçut deux ombres.

Pendant ce temps, Rose-de-Noël refermait sa fenêtre, mais restait bien certainement debout derrière le rideau.

Les deux ombres s'approchèrent : c'étaient deux hommes qui semblaient chercher une maison.

Arrivés devant celle de la Brocante, ils s'arrêtèrent, regardèrent le rez-de-chaussée, puis l'entre-sol, puis la borne sur laquelle était monté, un instant auparavant, Ludovic. Que veulent ces deux hommes ? se demanda Ludovic en traversant la rue et en se glissant le long de la muraille pour se rapprocher le plus possible.

Il marchait doucement et se tenait si bien caché, que les deux înconnus ne l'aperçurent pas, et qu'il put entendre l'un qui disait à l'autre :

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- C'est bien ici.

Hein! qu'est-ce que cela veut dire ? pensa Ludovic en ouvrant sa trousse et en tirant son scalpel le plus acéré, afin d'avoir une arme en cas d'événement.

Mais sans doute les deux hommes avaient vu tout ce qu'ils avaient à voir, avaient dit tout ce qu'ils avaient à dire; car, faisant volte-face, ils coupèrent à leur tour la rue diagonalement et s'éloignèrent par la rue des Postes.

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Oh! oh! murmura Ludovic, Rose-de-Noël courait-elle en effet, quelque danger, ainsi que le présageait la Bro

cante?

Rose, comme nous l'avons dit, s'était retirée et avait poussé la fenêtre; mais, comme nous l'avons dit encore, elle était restée debout derrière le rideau à travers un

coin de la vitre, elle vit les deux hommes s'éloigner par la rue des Postes.

Les deux hommes disparus, elle rouvrit la fenêtre et se montra de nouveau.

Ludovic remonta sur sa borne et reprit les deux mains de la jeune fille.

Qu'était-ce donc, ami? demanda-t-elle.

Rien, Rosette chérie, répondit Ludovic. Sans doute deux passants attardés qui regagnaient leur domicile. - J'ai eu peur, dit Rose.

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Toi aussi? dit la jeune fille; toi! tu as eu peur? C'est bon pour moi d'avoir peur, car la Brocante m'avait effrayée...

Ludovic fit un signe de tête qui voulait dire: «Pardieu! je le sais bien. »

Il faut te dire, bon ami, continua Rose, que j'étais en train de lire le livre que tu m'as donné, tu sais, Paul et Virginie. Oh! que c'est joli si joli, que je ne pensais pas à monter me coucher.

- Chère petite Rose!

Oui, c'est vrai, je savais pourtant que tu devais venir. Eh bien, je ne remontais pas... Que disais-je donc ?

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Tu disais, mon enfant, que la Brocante t'avait ef frayée.

Ah! oui, c'est juste; mais te voilà, je n'ai plus peur. Tu disais encore que Paul et Virginie t'amusait tellement, que tu ne pensais pas à remonter.

Non; imagine-toi qu'il me semblait que je faisais un rêve et que ce rêve s'ouvrait sur une époque de ma vie que j'avais oubliée. Dis donc, Ludovic, toi qui sais tant de choses, est-ce que c'est vrai que l'on a déjà vécu avant de venir au monde?

Oh! pauvre enfant, tu effeuilles là avec tes jolis petits doigts le grand secret que les hommes regardent à la loupe depuis six mille ans.

triste.

Alors, tu n'en sais rien? répondit Rose d'un air

Hélas! non; mais pourquoi me fais-tu cette question, Rosette?

Attends, je vais te le dire: c'est qu'en lisant la descrip

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