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Ah! oui, c'est vrai, dit l'agriculteur; je me rappelle... ttendez donc... On est venu vous chercher de la part de A. Jackal pour aller voir couper le cou de cet infàme M. Sarranti.

Oui, dit M. Gérard en faisant un effort suprême pour tirer quelque chose de cette brute; mais après mon départ? Après votre départ?... Attendez, attendez, attendez donc... Ah! il est venu... le jeune homme que vous avez envoyé.

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Moi, fit M. Gérard s'accrochant à ce fil, j'ai envoyé un jeune homme?

Oui, un beau garçon à cheveux noirs, cravate blanche, habit noir, mis comme un notaire, encore mieux mis. - Et il était seul?

Je n'ai pas dit cela, qu'il était seul; il était avec un chien en voilà un enragé chien! C'est en ce moment-là que je me suis sauvé; mais la terre tremblait, tant le damné chien la grattait.

Où cela? demanda M. Gérard.

Sous la table, fit l'agriculteur; alors, comme la terre tremblait, je suis tombé. C'est alors que j'ai commencé à être mangé par les mouches.

- Et vous ne vous souvenez de rien autre chose? demanda M. Gérard avec anxiété.

- D'autre chose? Vous croyez qu'on peut se souvenir de quelque chose quand les mouches vous mangent? Ah! vous êtes bon là, vous !

Voyons, dit M. Gérard presque suppliant, tâchez de vous souvenir, mon bon ami.

L'ivrogne se mit à chercher, tout en comptant sur ses doigts.

- Non, dit-il, c'est bien cela: M. Sarranti, M. Jackal, Le jeune homme noir à la cravate blanche, le chien Brésil,

Brésil! Brésil! s'écria M. Gérard en sautant à la gorge de l'agriculteur. Vous dites que le chien s'appelait Brésil ? - Mais faites donc attention à ce que vous faites, vous ! vous m'étranglez. A la garde! à la garde!

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Malheureux! malheureux! fit M. Gérard en tombant a genoux, ne criez pas ! ne criez pas !

Mais alors, laissez-moi, lâchez-moi, je veux m'en aller.

- Oui, oui, allez-vous-en, dit M. Gérard; je vais vous reconduire.

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A la bonne heure! dit l'ivrogne. Ah çà! mais vous êtes donc ivre?

Comment cela ?

Vous ne pouvez pas vous tenir sur vos jambes. C'était vrai; au lieu de soutenir l'agriculteur, c'était M. Gérard qui eût eu besoin d'être soutenu.

Avec des efforts et des angoisses effroyables, M. Gérard arriva à traîner l'agriculteur de l'autre côté de la rue; mais il ne fut tranquille que lorsqu'il l'eut vu s'éloigner, bronchiant à chaque pas, mais cependant demeurant debout, et balbutiant à chaque oscillation:

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Puis, lorsque l'ivrogne se fût perdu dans l'obscurité, que sa voix se fut éteinte dans l'éloignement, M. Gérard revint à sa maison comme la première fois; il referma derrière lui la porte de la rue; puis, aguerri peu à peu par les émotions successives et croissantes qu'il avait éprouvées depuis sa première découverte, il marcha vers la fosse, et, puisant son courage dans un dernier espoir, il descendit dans le trou, tâta de tous côtés avec ses mains.

Ce trou était vide au toucher.

Un éclair qui brilla, accompagné d'un coup de tonnerre terrible et de larges gouttes de pluie, lui montra qu'il était vide aussi à la vue.

M. Gérard n'entendit pas le tonnerre, ne sentit pas la pluie, et ne vit que la fosse béante qui avait lâché sa proie. Il s'assit sur le bord, les pieds pendants dans le trou, comme le fossoyeur d'Hamlet.

Il croisa les bras, courba la tête et essaya de juger, d'apprécier sa situation.

Ainsi, pendant cette absence de deux heures qui avait pour prétexte une plaisanterie frivole, venaient de s'envoler ses plus chères espérances de repos et de tranquillité; de toutes les tortures qu'il avait subies pour cacher son crime, il ne lui restait, nous ne dirons pas que le remords, mais que le souvenir d'avoir été assassin et la crainte de monter à l'échafaud! Et à quel moment la catastrophe éclatait-elle

Au moment où il se croyait arrivé au faîte des honneurs, à l'apogée de l'ambition! Le matin, en pensée, il se voyait assis sur son banc de la chambre des députés; le soir, les pieds pendants dans cette fosse, il se voyait assis sur le banc de la cour d'assises, coudoyant un gendarme de chaque bras et courbant la tête pour échapper aux regards railleurs de cette foule qui, à toute force, voulait voir M. Gérard l'honnête homme; puis, dans le lointain, au milieu d'une place dominée par un édifice aux clochetons aigus, s'élevant au milieu de la foule, les deux bras rouges et hideux de la terrible machine qui poursuit les assassins dans leurs songes...

Par bonheur, c'était un homme rudement trempé que ce philanthrope de Vanvres. Comme on l'a vu tout à l'heure, lorsqu'il a levé sa bêche sur l'agriculteur, il n'eût pas reculé devant un second assassinat pour se tirer du premier; mais il ne nous tombe pas tous les jours sous la main quelqu'un à assassiner, pour nous tirer d'affaire.

Et il eut beau chercher, il lui fallut trouver un moyen de se tirer d'affaire sans un nouveau crime.

Il y en avait, non pas un, mais deux.

Fuir, fuir en toute hâte, fuir sans regarder en arrière, fuir sans dire adieu à personne comme avaient fui les convives, comme avaient fui les domestiques; - ne s'arrêter qu'à vingt lieues, quand le cheval crèverait, en prendre un autre, en changer à chaque poste, passer le détroit, passer la mer, ne s'arrêter qu'en Amérique.

Oui; mais comment faire cela sans passe-port?

A la première poste, le maître de poste refuserait un che val et enverrait chercher la gendarmerie.

C'était d'aller trouver M. Jackal, de lui raconter l'affaire et de lui demander conseil.

Onze heures sonnaient. Avec un cheval bon coureur, et M. Gérard avait deux bons coureurs dans son écurie, on pouvait être à onze heures et demie dans la cour de la préfecture.

Décidément, c'était là le meilleur moyen.

M. Gérard se releva, courut à l'écurie, sella lui-même le meilleur de ses deux chevaux, le fit sortir par la porte des communs, referma soigneusement cette porte, sauta en

selle avec l'agilité d'un jeune homme, enfonça les éperons dans le ventre de son cheval, et, partant sans chapeau, sans s'inquiéter du vent et de la pluie qui fouettaient son crâne nu, il prit à fond de train le chemin de Paris.

Laissons l'assassin chevauchant au triple galop, et suivons Salvator, qui emporte en triomphe les ossements de la victime.

FIN DU TOME TROISIÈME

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LXXVI

Où M. Jackal déplore que Salvator soit honnête hon-me..

40

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LXXXII! Abordage...

LXXXIV Un parrain d'Amérique.......

LXXXV - Où le capitaine Berthaut Monte-Hauban prend des pro

portions gigantesques...

LXXXVI - Les rêves de Pétrus...

79

......

....

92

99

140

117

LXXXVII

Pétrus et ses holes.....

127

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Quelles furent les opinions des trois amis sur le capitaine. 133

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