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Ils se séparèrent.

Mais, au moment où ieurs deux mains allaient se quitter, la main de Régina retint la main de Pétrus.

Ami, dit-elle, demain, je l'espère, tu recevras une lettre

de moi.

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Je l'espère bien aussi, dit le jeune homme.

Mais une ponne lettre.

- Toutes tes lettres sont bonnes, Régina; seulement, la dernière est toujours la meilleure.

Celle-là sera meilleure que la meilleure.

Oh! mon Dieu ! je suis si heureux, que j'ai presque peur.

- N'aie pas peur, et sois heureux, dit Régina.

Que me diras-tu donc dans cette lettre, mon amour chéri ?

Oh! aie la patience d'attendre; ne faut-il pas nous garder du bonheur pour les jours où nous ne nous voyons pas.

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jour.

Tenez, fit Nanon, quand je vous disais. Voici le

Pétrus secoua la tête et s'éloigna, le regard constamment tourné vers la jeune femme.

Que disait donc Nanon et que parlait-elle du jour ?

En ce moment, au contraire, aux yeux des deux amants, le ciel se couvrait d'un crêpe, le rossignol cessait de chanter, les étoiles s'effaçaient du ciel, et toute cette féerie créée pour eux semblait s'éteindre avec leur dernier baiser.

LXXIV

La rue de Jérusalem.

Salvator, en quittant les trois jeunes gens, avait dit : « Je vais tâcher de sauver M. Sarranti, que l'on exécute dans huit jours. »

Après avoir laissé les jeunes gens s'engager chacun de son côté, Salvator descendit rapidement la rue d'Enfer, prit la rue de la Harpe, traversa le pont Saint-Michel, longea le quai, et, au même moment à peu près où chacun de ses amis arrivait à son rendez-vous, il arrivait, lui, devant l'hôtel de la Préfecture.

Comme la première fois, le concierge arrêta Salvator en lui demandant:

· Où allez-vous?

Comme la première fois, Salvator se nomma.

Pardon, monsieur, dit le concierge, je ne vous avais pas reconnu.

Salvator passa.

Puis il traversa la cour, entra sous la voûte, monta deur étages et arriva dans l'antichambre où se tenait le garçon de bureau de service.

--

- M: Jackal? demanda Salvator.

Il vous attend, répondit l'huissier en ouvrant la porte du cabinet de M. Jackal.

Salvator entra et aperçut le chef de police enfoui au fond d'un immense fauteuil Voltaire.

En voyant apparaître le jeune homme, M. Jackal se leva et alla à lui avec empressement.

Vous voyez que je vous attendais, cher monsieur Salvator, lui dit-il.

Je vous remercie, monsieur, répondit Salvator avec assez de hauteur et de dédain, selon son habitude.

Ne m'avez-vous pas dit, lui demanda M. Jackal, qu'il s'agissait tout simplement d'une petite expédition aux environs de Paris?

- En effet, répondit Salvator.

Faites atteler, dit M. Jackal au garçon de bureau. L'huissier sortit.

Asseyez-vous, cher monsieur Salvator, dit M. Jackal en montrant au jeune homme un siége. Dans cinq minutes, nous pourrons partir. J'avais donné l'ordre de tenir les chevaux tout harnachés.

Salvator s'assit, non pas sur le siége que lui indiquait M. Jackal, mais sur un autre plus éloigné.

On eût dit que le jeune homme aux purs instincts fuyait le contact du limier de police.

M. Jackal remarqua ce mouvement, mais n'indiqua que par un léger mouvement de sourcils qu'il l'eût remarqué.

Puis il tira sa tabatière de sa poche, bourra son nez de tabac, et, se renversant dans son fauteuil en relevant ses lunettes :

Savez-vous à quoi je pensais quand vous êtes entré, monsieur Salvator?

Non, monsieur, je n'ai pas le don de deviner, et ce n'est pas mon état.

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Eh bien, je me demandais où vous pouviez prendre cette puissance d'amour pour l'humanité.

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Dans ma conscience, monsieur, répondit Salvator; e^ j'ai toujours admiré avant tout, même avant les vers de Vit gile, ce vers du poëte de Carthage, qui ne l'a fait peut-êtr que parce qu'il avait été esclave:

Homo sum, et nil humani a me alienum puto.

Oui, oui, dit M. Jackal, je connais le vers: il est de Térence, n'est-ce pas ?

Salvator fit de la tête un signe approbatif.

M. Jackal continua.

- En vérité, cher monsieur Salvator, dit-il, si le mot phi

lanthrope n'était pas inventé, il faudrait le créer pour vous. Le journaliste le plus croyable de la terre si un journaliste était croyable - écrirait demain que vous êtes venu à minuit me trouver pour m'associer à une bonne action, qu'on ne le croirait pas; bien plus, on vous soupçonnerait un intérêt quelconqu à cet acte désintéressé. Vos amis politiques ne manqueraient pas de vous désavouer, et crieraient tout haut que vous êtes vendu au parti bonapartiste; car, enfin, vous acharner à sauver la vie à ce M. Sarranti, qui arrive de l'autre monde, que vous n'avez peut-être jamais vu que le jour où il a été arrêté place de l'Assomption; mettre cette persistance à vouloir prouver à une cour de justice qu'elle n'est absolument trompée et qu'elle a condamné un innocent, n'est-ce pas, diraient vos amis politiques, faire preuve de bonapartisme?

Sauver un innocent, monsieur Jackal, c'est faire preuve d'honnêteté. Un innocent n'est d'aucun parti, ou, plutôt, il est du parti de Dieu.

Oui, oui, sans doute, et cela est clair et suffisant pour moi qui vous connais de longue date, et qui sais depuis vieux temps que vous êtes, comme on a dit, un libre penseur. Oui, je sais que l'on serait mal venu à vouloir entamer des opinions si profondément enracinées. Aussi, n'entreprendrai-je point cette tâche. Mais enfin, si quelqu'un l'entreprenait, si l'on essayait de vous calomnier ?

-Ce serait peine perdue, monsieur: personne ne le croirait. - J'ai eu votre âge, dit avec une légère teinte de mélancolie M. Jackal; j'ai eu de mes semblables la même opinion que vous en avez. Je m'en suis amèrement repenti depuis, et je me suis écrié comme Méphistophélès, vous avez fait votre citation, cher monsieur Salvator, permettez-moi de faire la mienne, je me suis écrié comme Méphistophėlès : Crois- en l'un des nôtres : ce grand tout n'est fait que pour un dieu; pour lui les lumières éternelles! il nous a créés, nous, pour les ténèbres... »

Soit! dit Salvator; alors, je vous répondrai comme le docteur Faust: « Mais je veux! »

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- Le temps est court, l'art est long! continua M. Jackal poursuivant la citation jusqu'aux extrêmes limites.

Que voulez-vous! répondit Salvator, le ciel m'a ainsi fait. Les uns sont naturellement poussés au mal; moi, au

contraire, par un instinct naturel, par une puissance irrésistible, je me sens poussé au bien. C'est vous dire, monsieur Jackal, que tous les philosophes les plus pédants et les plus bavards, réunis ensemble, ne parviendraient pas à m'ébranler.

Oh! jeunesse! jeunesse! murmura avec une sorte de découragement M. Jackal en hochant tristement la tête. Salvator crut que le moment était venu de donner un autre cours à la conversation. Selon lui, M. Jackal mélancolique déshonorait la mélancolie.

Puisque vous m'avez fait l'honneur de me recevoir monsieur Jackal, dit-il, permettez-moi de vous rappeler en quelques mots le but de l'expédition que je vous ai proposée avant-hier.

- Je vous écoute, cher monsieur Salvator, répondit M. Jackal.

Mais à peine achevait-il ces mots, que l'huissier rouvrit la porte et annonça que la voiture était attelée.

M. Jackal se leva.

Nous causerons en route, cher monsieur Salvator, dit-il en prenant son chapeau et en faisant signe au jeune homme de passer devant lui.

Salvator s'inclina et passa.

Arrivé dans la cour, M. Jackal, après avoir fait entrer le jeune homme dans la voiture, mit à son tour le pied sur le marchepied en demandant:

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-Route de Fontainebleau, à la Cour-de-France, répondit Salvator.

M. Jackal répéta l'ordre.

- En passant par la rue Mâcon, ajouta le jeune homme. · Par la rue Mâcon ? interrogea M. Jackal.

Oui, par chez moi ; nous avons à y prendre un compagnon de route.

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Diable! fit M. Jackal, si j'avais su cela, j'aurais ordonné la berline au lieu du coupé.

Oh! dit Salvator, soyez tranquille, celui-là ne vous gênera point.

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