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bitait plus depuis longues années, et qu'il avait louée a M. Lorédan de Valgeneuse pour y cacher Mina.

Mina?... Quelle Mina ? demanda M. Jackal.

- C'est la jeune fille qui avait été enlevée à Versailles. Ah! bon ! Et qu'est-elle devenue?

Voulez-vous me permettre de vous raconter une petite anecdote, monsieur Jackal ?

-Racontez, cher monsieur Salvator; vous savez le plaisir que j'ai à vous entendre.

Eh bien, un de mes amis, en Russie (il était à SaintPétersbourg), eut l'imprudence, en jouant chez un grand seigneur, de mettre sur la table de jeu une fort belle tabatière garnie en diamants; la tabatière disparut. Il tenait beaucoup à sa tabatière.

Cela se comprend, dit M. Jackal.

- C'était moins à cause des diamants qu'à cause de la personne qui la lui avait donnée.

J'y eusse tenu pour les deux raisons.

Eh bien, comme il y tenait autant pour une seule que vous y eussiez tenu pour les deux, il confia sa mésaventure au maître de la maison, employant toute sorte de circonlocutions pour en arriver à lui dire qu'il avait un voleur chez lui. Mais, à sa grande stupéfaction, le maître de la maison ne parut pas autrement étonné.

) - Donnez-moi le signalement bien exact de votre tabatière, lui dit-il.

› Mon ami le lui donna.

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Bien, dit l'autre, je tâcherai de vous la rattraper.

) - - Vous allez vous adresser à la police, alors?

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Oh! pas du tout; ce serait le moyen que vous ne la revissiez jamais. Ne dites pas un mot du vol, au coniraire.

Mais quel moyen emploieriez-vous ?

)— C'est mon affaire; je vous dirai cela en vous rendant la tabatière.

Au bout de huit jours, le grand seigneur se présenta chez mon ami.

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- Est-ce celle-là? lui demanda-t-il en lui montrant une tabatière.

Justement, dit celui-ci.

> - C'est votre tabatière?

>

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Mais certainement.

Eh bien, la voici; mais ne la posez plus sur les tables je comprends qu'on vous l'ait volée; elle vaut dix mille francs comme un kopek.

de jeu

un tel.

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Comment diable avez-vous pu la rattraper?

C'était un de mes amis qui vous l'avait prise: le comte

Et vous avez osé la lui redemander ?

La lui redemander ? Oh! non pas, il se serait blessé de la réclamation.

- Comment avez-vous fait, alors?

Comme il avait fait lui-même : je la lui ai volêe.
Ah ah! fit M. Jackal.

- Comprenez-vous l'apologue, cher monsieur Jackal ?
Oui; M. de Valgeneuse avait enlevé Mina à Justin.
- C'est cela; et, moi, j'ai enlevé Mina à M. de Valge-

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Comment donc M. de Valgeneuse n'est-il pas venu se plaindre à moi ?

Nous avons arrangé la chose ensemble, cher monsieur Jackal.

Si la chose est arrangée..., dit l'homme de police. - Jusqu'à nouvel ordre, du moins.

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Eh bien, M. Gérard, comme je vous le disais, avait donc quitté le château depuis longues années.

Quelque temps après le vol de M. Sarranti et la disparition de son neveu et de sa nièce; ces faits sont à ma connaissance; ils ont été établis par les débats, devant la cour d'assises.

-Maintenant, la façon dont le neveu et la nièce de M. Gérard ont disparu est-elle à votre connaissance?

- Non; vous savez que M. Sarranti a constamment nié sa participation à ce fait.

· Il avait raison; car, lorsque M. Sarranti quitta le châ

teau de Viry, les deux enfants étaient parfaitement vivants et jouaient tranquillement sur la pelouse.

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Eh bien, moi, monsieur Jackal, dit Salvator, je sais ce que ces deux enfants sont devenus.

ment!

Bah!
Oui.

Dites, cher monsieur Salvator; vous m'intéressez vive

La jeune fille a été tuée d'un coup de couteau par madame Gérard, et le petit garçon noyé par M. Gérard. Dans quel but? demanda M. Jackal.

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Vous oubliez que M. Gérard était à la fois tuteur et héritier des enfants.

- Oh! que me dites-vous là, cher monsieur Salvator! Je n'ai point connu madame Gérard...

Qui n'a jamais été madame Gérard, mais qui était simplement Orsola.

- C'est possible; mais j'ai connu M. Gérard, l'honnête M. Gérard, comme on l'appelle.

Et la lèvre de M. Jackal se crispa sous un sourire qui n'appartenait qu'à lui.

Eh bien, dit Salvator, l'honnête M. Gérard noyait le petit garçon, tandis que sa femme égorgeait la petite fille. Et vous pouvez me donner la preuve de cela? dit M. Jackal.

Certainement.
Quand ?

-Tout de suite... si toutefois vous consentez à me suivre. · Puisque je suis venu jusqu'ici..., dit M. Jackal. - Autant aller jusqu'au bout, n'est-ce pas ?

M. Jackal fit de la tête et des épaules un signe d'assenti

ment.

Venez donc, dit Salvator.

Et tous deux, suivant le mur du parc, s'acheminèrent vers la maison, tandis que Salvator, de la voix et du geste, retenait Brésil, qui semblait attiré vers un point du parc par quelque puissance inconnue et invisible.

LXXVI

Où M. Jackal déplore que Salvator soit honnête homme

Tous deux arrivèrent ainsi jusqu'au perron du château. Le château était parfaitement sombre; pas une fenêtre n'était éclairée ; il était évident qu'il était désert.

Arrêtons-nous un instant ici, cher monsieur Jackal, dit Salvator; je vais vous raconter comment la chose s'est passée.

Selon vos conjectures?

Selon mes certitudes. Nous avons devant nous l'étang où l'on a noyé le petit garçon, et, derrière nous, le caveau où l'on a égorgé la petite fille. Commençons par le caveau. - Oui; mais, pour commencer par le caveau, il faut entrer dans la maison.

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Que cela ne vous inquiète pas: la dernière fois que j'y suis venu, pensant que j'y reviendrais un jour ou l'autre, j'ai pris la clef de la porte. Entrons.

Roland voulut suivre les deux hommes.

- Tout beau, Brésil! dit Salvator; restons là jusqu'à ce que le maître nous appelle.

Brésil s'assit sur son derrière, et attendit.
Salvator entra le premier.

M. Jackal le suivit.

Salvator referma la porte derrière eux.

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- Vous voyez dans les ténèbres comme les chats et les lynx, n'est-ce pas, monsieur Jackal ? demanda Salvator.

-

- Grâce à mes lunettes, dit M. Jackal en les relevant jusqu'au sommet du front; oui, cher monsieur Salvator... j'y vois assez, du moins pour qu'il ne m'arrive pas d'accident.

Eh bien, alors, suivez-moi. Salvator prit le corridor à gauche. M. Jackal continua de le suivre.

Le corridor, en descendant une douzaine de marches, conduisait, on se le rappelle, à la cuisine, et la cuisine au celtier, où s'était passée la scène terrible que nous avons racontée.

Salvator traversa la cuisine sans s'arrêter; mais, arrivé au cellier :

- C'est ici, dit-il.

Quoi, ici ? demanda M. Jackal.

C'est ici que madame Gérard a été étranglée.
Ah! c'est ici?

Oui.

N'est-ce pas, Brésil, que c'est ici? dit Salvator en élevant la voix.

On entendit comme une trombe qui se précipitait; et, passant à travers un carreau de la fenêtre, le chien tomba en grondant aux pieds de son maître et de M. Jackal.

Qu'est-ce que c'est que cela? demanda l'homme de police en se reculant.

C'est Brésil qui vous montre comment la chose s'est passée.

Oh! oh! fit M. Jackal, est-ce que ce serait, par hasard, Brésil qui aurait étranglé la pauvre madame Gérard? Lui-même.

Mais, alors, Brésil est un misérable assassin qui mérite une boulette.

Brésil est un honnête chien qui mérite le prix Montyon. - Expliquez-vous.

- Brésil a étranglé madame Gérard, parce qu'elle était en train d'assassiner la petite Léonie; il adorait l'enfant, il l'a entendu crier, il est venu. N'est-ce pas, Brésil? Brésil fit entendre un hurlement lugubre et prolongé.

Maintenant, continua Salvator, si vous doutez que ce seit ici, allumez une bougie et regardez les dalles.

Comme si c'était la chose la plus simple que d'avoir sur soi un briquet, des allumettes et une bougie, M. Jackal tira de la poche de sa redingote un briquet phosphorique et un rat de cave.

Cinq secondes après, le rat de cave était allumé et jetait une lueur qui fit clignoter les paupières de M. Jackal.

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