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On eût dit que, pareil aux oiseaux de nuit, c'étaient les ténèbres qui étaient son jour.

Baissez-vous, dit Salvator.

M. Jackal se baissa.

Une légère teinte rougeâtre colorait la dalle.
Salvator lui indiqua dù doigt la teinte.

On eût pu nier que cette tache, tant elle était peu apparente, fût une tache de sang; mais M. Jackal, sans doute, la reconnut pour telle, car il ne contesta point.

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Eh bien, dit-il, que prouve ce sang? Il peut être aussi bien le sang de madame Gérard que celui de la petite Léo

nie.

- Celui-ci, dit Salvator, est, en effet, le sang de madame Gérard.

Comment le reconnaissez-vous?
Attendez.

Salvator appela Brésil.

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Brésil! dit-il, chaud! là chaud !

Et il montrait au chien la trace du sang.

Le chien approcha son nez de la dalle; mais il releva les lèvres en grondant, et essaya de mordre la pierre.

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vois.

Vous le voyez! dit Salvator.

Je vois que votre chien est enragé ; voilà ce que je

Attendez !... Maintenant, je vais vous montrer le sang de la petite Léonie.

M. Jackal regardait Salvator avec un profond étonne

ment.

Salvator prit le rat de cave des mains de M. Jackal, et, passant dans la pièce qui suivait le bûcher, et montrant sur les dalles, dans la direction de la porte qui conduisait au jardin, d'autres taches rougeâtres :

- Tenez, dit-il, voici le sang de la petite fille. pas, Brésil?

N'est-ce

Cette fois, Brésil approcha doucement ses lèvres de la dalle, comme s'il eût voulu la baiser. Il poussa un hurlement douloureux et effleura la dalle du bout de la langue.

Vous le voyez! dit Salvator, la petite fille n'était point égorgée tout à fait : tandis que Brésil étranglait Orsola, elle se sauvait du côtể du jardin.

- Hum! hum! fit M. Jackal; après ?

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Eh bien, voilà pour la petite fille. A présent, nous alons nous occuper du petit garçon.

Et, éteignant le rat de cave, il le rendit à M. Jackal.
Puis tous deux passèrent au jardin.

Là, dit Salvator, nous sommes à la seconde partie du drame. Voici l'étang où M. Gérard noyait le petit Victor, tandis que madame Gérard assassinait la petite fille? En quatre pas, on fut au bord de l'étang.

Voyons, Brésil, reprit Salvator, dis-nous un peu comment tu as tiré de l'eau le cadavre de ton jeune maître.

Brésil, comme s'il eût parfaitement compris ce qu'on attendait de lui, ne se le fit point dire à deux fois il s'élança dans l'eau, nagea jusqu'au tiers du lac à peu près, plongea, reparut, puis s'en alla se coucher, avec un lugubre hurlement, sur le gazon.

Voilà un chien, dit M. Jackal, qui eût bien certainement battu Munito aux échecs.

- Attendez, attendez, répliqua Salvator.

- J'attends, fit M. Jackal.

Salvator conduisit M. Jackal au pied d'un massif d'arbres.
Là, il invita M. Jackal à rallumer son rat de cave.
M. Jackal obéit.

Tenez, fit Salvator en montrant à l'homme de police une cicatrice profondément creusée dans le tronc d'un des arbres formant le massif, regardez, et dites-moi ce que c'est que cela!

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Il me semble que c'est un trou de balle, dit M. Jackal.
Et moi, j'en suis sûr, dit Salvator.

Prenant alors un couteau mince et effilé, qui tenait à la fois du couteau, du poignard et du scalpel, il creusa la blessure de l'arbre et fit tomber une parcelle de plomb.

- Vous voyez ! la balle y est encore, dit-il.

Je ne dis pas non, fit M. Jackal; mais que prouve une balle dans le tronc d'un arbre ? Il faudrait voir par où elle a passsé avant d'arriver là.

Salvator appela Brésil.

Brésil accourut.

Salvator prit le doigt de M. Jackal et l'appuya alternative ment sur le flanc droit et sur le flanc gauche de Brésil.

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- Quoi ?

-

Quelque chose comme deux cicatrices.

Eh bien, dit Salvator, vous demandiez par où avait passé la balle vous le savez, maintenant.

M. Jackal regarda Salvator avec une admiration crois

sante.

Maintenant, venez ! dit Salvator.

Où allons-nous? demanda M. Jackal.

Où Horace dit qu'il faut se hâter d'arriver, au dénoûment Ad eventumfestina.

Ah! cher monsieur Salvator, s'écria M. Jackal, quel malheur que vous soyez honnête homme!

Et il suivit Salvator.

LXXVII

Buisson creux.

Maintenant, dit Salvator en longeant l'étang, vous comprenez tout, n'est-ce pas?

Pas encore tout à fait, dit M. Jackal.

Eh bien, tandis que l'on tenait la petite fille dans le cel lier, on noyait le petit garçon dans l'étang, Brésil accourait aux cris de la petite fille, étranglait Orsola ou madame Gérard, comme vous voudrez; puis, après avoir étranglé madame Gérard, il se mettait en quête de son autre ami, le petit garçon, le retrouvait au fond de l'étang, le ramenait sur le gazon, recevait à travers le corps une balle qui, après lui avoir traversé le corps, allait s'enfoncer dans le tronc de l'arbre où nous l'avons retrouvée. Le chien, cruellement blessé, se sauvait en hurlant. Alors, le meurtrier prenait le cadavre du petit garçon, l'emportait et allait l'enterrer.

L'enterrer! fit M. Jackal; et où cela ?

Où vous allez voir.

M. Jackal secoua la tête.

Où je l'ai vu moi-même, dit Salvator. M. Jackal secoua la tête de nouveau.

Mais enfin, si vous le voyez?... dit Salvator..
Dame, si je le vois..., fit M. Jackal.
Que direz-vous?

Je dirai qu'il y est.

Allons donc, alors! dit le jeune homme. Et il doubla le pas.

Nous connaissons le chemin qu'ils suivent : une fois nous y avons vu passer M. Gérard, une autre fois Salvator; la première fois le crime, la seconde fois la justice.

Brésil marchait à dix pas devant eux, se retournant de cinq en cinq minutes pour voir s'il était suivi.

Nous y voici, dit Salvator en entrant dans le fourré. M. Jackal marcha sur ses traces.

Mais, arrivé là, Brésil s'arrêta comme désappointé.

Au lieu de piquer le nez en terre et de gratter le sol avec ses pattes, il restait debout, humant l'air de tous côtés, et grondant.

Salvator, qui semblait lire dans toutes les pensées de Brésil aussi facilement que Brésil semblait lire dans les siennes, comprit qu'il se passait quelque chose d'insolite.

Il regarda autour de lui.

Son regard s'arrêta sur M. Jackal : la lune l'éclairait en ce moment.

L'homme de police avait sur les lèvres un étrange sourire. Vous dites que c'est ici ? demanda M. Jackal.

- C'est ici, répondit Salvator. Puis, s'adressant au chien: -Cherche, Brésil!

Brésil rapprocha son nez de la terre; puis, relevant la tête, laissa échapper un lugubre hurlement.

Oh! oh! dit Salvator, nous sommes-nous trompés, mon bon Brésil? Cherche!... cherche!...

Mais Brésil secoua la tête comme pour répondre qu'il était bien inutile de chercher.'

Bah dit Salvator au chien, est-ce que...?

Et lui-même, se jetant à genoux, fit ce que le chien refu

sait de faire, c'est-à-dire qu'il plongea profondément sa main dans le sol.

La chose était d'autant plus facile que la terre était et semblait avoir été nouvellement retournée.

Eh bien? demanda M. Jackal.

Eh bien, dit Salvator d'une voix rauque, car sa sụprême espérance lui échappait, le cadavre a été enlevé.

C'est fàcheux, dit M. Jackal. Diable! diable! diable! c'eût été une preuve... Cherchez bien.

Malgré la répugnance visible qu'il éprouvait à mettre sa main en contact avec cette terre, Salvator plongea son bras jusqu'à l'épaule dans la fosse, et, se relevant, le visage pâle, le front en sueur, l'œil en feu, il répéta pour la seconde fois : Le cadavre a été enlevé !

- Bon! dit M. Jackal, par qui ?

Par celui qui avait intérêt à le faire disparaître..

- Êtes-vous sûr qu'il y avait un cadavre ? demanda M. Jackal.

Je vous dis, moi, qu'ici, à cette place, conduit par Roland, par Brésil, comme vous voudrez, j'ai retrouvé le squelette du petit Victor, qui y avait été enterré, après avoir été noyé par son oncle, et tiré de l'eau par Roland. N'est-ce pas, Roland, qu'il était là?

Roland se dressa, appuya ses deux pattes sur la poitrine de Salvator et fit entendre une longue et lugubre plainte. - Mais quand était-il là? demanda M. Jackal.

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Avant-hier encore, dit Salvator; c'est donc dans la nuit d'hier qu'il a été enlevé.

Naturellement !... naturellement ! reprit M. Jackal sans qu'on pût remarquer aucune altération dans sa voix ni sur son visage, puisque vous prétendez qu'il y était encore avanthier.

- Je ne prétends pas, dit Salvator, j'affirme.

· Diable! diable! diable ! répéta M. Jackal. Salvator regarda en face l'homme de police.

Avouez, lui dit-il, que vous saviez d'avance que nous ne trouverions rien ici.

Monsieur Salvator, je crois tout ce que vous me dites, et, comme vous me disiez que nous y trouverions quelque chose...

-- Avouez que vous vous doutez qui a enlevé ce cadavre.

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