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A travers les volets médiocrement clos du rez-de-chaussée qu'habitaient la Brocante, Babolin, Pharès, Babylas et ses compagnons, Ludovic aperçut une fuite de lumière. Cette lumière augmentait ou diminuait tour à tour, preuve qu'on était encore levé, et qu'on la faisait voyager d'une chambre à l'autre.

Ludovic s'approcha et colla son œil à l'ouverture en homme qui la connaissait. Mais, quoique la fenêtre fût entre-bâillée, vu la disposition des personnages et la place qu'ils occupaient, Ludovic ne put rien apercevoir.

Ce qu'il comprit, c'est que Rose-de-Noël n'était pas en core montée à l'entre-sol, rien n'y annonçant la présence d l'enfant, ni la veilleuse à la douce lumière qui brûlait dans la chambre, ni le rosier contenant la fleur qui portait son nom, et qu'en rentrant, elle mettait sur sa fenêtre, Ludovic lui ayant positivement défendu d'avoir des fleurs ni des plantes dans sa chambre tandis qu'elle dormait.

Or, ne pouvant voir, Ludovic écouta.

La rue d'Ulm, déjà silencieuse dans le jour comme le faubourg d'une ville de province, était, à cette heure, déserte comme une grande route. On pouvait donc, en prêtant une attention continue, entendre, à peu de chose près, la conversation des personnages qui habitaient le rez-de-chaussée.

Qu'as-tu donc, mon chéri? demandait la Brocante. Cette question était évidemment la suite d'une conversation entamée avant l'arrivée de Ludovic.

Mais personne ne répondait.

Puisque je te demande ce que t'as, mon bijou, répéta a sorcière d'une voix plus inquiète.

Malgré ce redoublement d'intérêt, même silence.

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Oh! oh! le chéri et le bijou auquel tu t'adresses, mère Brocante, est un polisson, un mal-appris de ne pas te répondre, pensa Ludovic; et c'est sans doute ce drôle de Babolin, qui boude, ou qui fait le malade.

La Brocante continuait ses interrogations, mais toujours sans obtenir la moindre réponse; seulement, on pouvait remarquer que, par une gamme insensible, sa voix montait du ton de la douceur au ton de la menace.

Si tu ne réponds pas, monsieur Babylas, dit enfin la bohème, je te promets, mon chéri, que tu vas recevoir une fière danse, entends-tu?

Sans doute, le personnage ou plutôt l'animal auquel s'adressaient les questions successives que nous avons surprises, jugea qu'il y avait danger pour sa peau à garder plus longtemps le silence, car il répondit par un grognement qui, en s'allongeant d'une façon indéfinie, s'acheva dans un hurlement des plus lamentables.

- Qué que n'avons donc, mon pauvre Babylas? s'écria la Brocante en poussant une exclamation qui avait une certaine analogie philologique avec le grognement de son chien favori.

Babylas, qui semblait avoir parfaitement compris cette interrogation nouvelle, répondit sans doute par un second grognement plus explicite encore que le premier, car la Brocante s'exclama sur le ton du plus vif étonnement:

Est-ce possible, Babylas?

Oui, répondit le chien dans son idiome.

Babolin! cria la Brocante, Babolin ! petit gueux ! - De quoi? de quoi? demanda Babolin, tiré intempestivement de son premier sommeil.

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· Mes cartes, drôle !

Oh! oh! oh! des cartes à cette heure-ci? Bon, bon,

bon, il ne nous manquait plus que cela!

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Mais Babolin ne répondit que par une espèce de grognement qui indiquait que le bonhomme n'était pas tout à fait étranger à la langue maternelle de Babylas.

Ne me fais pas répéter deux fois, mauvais mioche! dit la vieille.

Qu'est-ce que vous voulez faire de vos cartes, à cette heure? dit le gamin du ton d'un interlocuteur qui commence à désespérer de faire entendre raison à son adversaire. Vos cartes, c'est du joli, allez! si la police savait que vous faites les cartes à une heure indue, à deux heures du matin...

- Oh! mon Dieu! dit la douce voix de Rose-de-Noël, estce vrai qu'il est deux heures du matin?

Eh! non, fillette, il est minuit à peine, dit la Brocante.
Oh oui, minuit, dit Babolin, allez-y voir.

Comme pour terminer la discussion, la pendule sonna la demie.

Là ! voyez-vous, une heure ani sonne! s'écria Babo

- C'est-à-dire minuit et demi, riposta la Brocante, qui ne voulait pas avoir le dernier mot.

Oui, oui, minuit et demi! qu'est-ce qui dit cela? Votre maudit coucou, qui ne bat que d'une aile. Allons, bonsoir, la maman soyez bien gentille, et laisser pioncer tranquillement le pauvre Babolin.

Nous demandons pardon au lecteur pour le mot pioncer; mais il avait encore cours à cette époque.

Il paraît, au reste, que la Brocante en comprit à merveill la portée, car elle s'écria :

moi !

Attends, attends, je vas te faire pioncer, Sans doute, Babolin, de son côté, comprit de quelle façon désobligeante la Brocante allait l'endormir, ou plutôt le réveiller, car il sauta de son lit à terre, et, de terre, sur le martinet vers lequel la Brocante étendait la main.

Ce n'est pas le martinet que je te demande, dit alors la Brocante, ce sont les cartes.

Eh bien, les voilà, vos cartes, dit Babolin en les apportant à la Brocante, et en cachant le martinet derrière son dos.

Puis il ajouta, en manière de commentaire :

Si cela ne fait pas suer, de voir une femme d'âge passer son temps à de pareilles bêtises, au lieu de s'endormir tranquillement !

-Est-il possible que tu sois si ignorant à l'âge après lequel tu cours dit la Brocante avec un mouvement d'épaules plein de mépris; mais tu ne vois donc rien, tu n'entends donc rien, tu n'observes donc rien?

Mais si, mais si ! je vois qu'il est une heure du matin; j'entends que tout Paris ronfle, excepté nous, et je vous observe que c'est le moment de suivre l'exemple de tout Paris.

Je vous observe n'était peut-être pas d'un français bien pur; mais on se souvient que l'éducation de Babolin avait été tant soit peu négligée.

Oui, plaisante, plaisante, malheureux! s'écria la Bro cante en lui arrachant les cartes des mains.

- Mais, jour de Dieu! la mère, que voulez-vous donc que J'observe? dit Babolin en poussant un bâillement des plus énergiques et des plus prolongés.

Tu n'as donc pas entendu Babylas ?

Ah oui, votre chéri... Eh bien, il ne manquerait plus que cela d'être obligé d'écouter monsieur!

-

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Tu ne l'as donc pas écouté, je te réitère?
- Eh bien, si, je l'ai écouté.
Qu'a-t-il fait?

-Il a gémi.

- Et, de sa plainte, tu n'as tiré aucune conjecture? Si fait.

- A la bonne heure! quelle conjecture en as-tu tirée? Voyons.

Si je vous le dis, me laisserez-vous dormir?

Oui, paresseux !

- Eh bien, j'en ai tiré la conjecture qu'il avait une indigestion. Il a mangé ce soir comme quatre, et il a bien le droit de gémir comme deux.

Tiens, dit la Brocante furieuse, va te coucher, méchant gamin! Tu mourras dans la peau d'un imbécile, c'est moi qui te le prédis.

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Allons, allons, la maman, calmez-vous; vous savez que vos prédictions ne sont point des paroles d'Évangile, et, puisque vous m'avez réveillé, expliquez-moi les grognements de Babylas.

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Un grand malheur: Babylas ne hurle pas sans cause.

Je comprends bien, Brocante, que Babylas, qui ne manque de rien, qui est ici comme un coq en pâte, ne s'amusera pas à gémir pour le roi de Prusse; mais encore de quoi gémit-il?-Voyons, de quoi gémis-tu, Babylas ?

C'est ce que nous allons voir, dit la Brocante en batlant ses cartes. Viens ici, Pharès!

Pharès ne répondit point à cet appel.

La Brocante l'appela une seconde fois; mais la corneille ne bougea point.

Parbleu! à cette heure-ci, dit Babolin, ce n'est pas étonnant elle dort, la pauvre bête; sans compter qu'elle a bien raison, et que ce n'est pas moi qui la blâmerai pour cela.

Rose, dit la Brocante.

Mère, répondit l'enfant interrompant pour la seconde fois sa lecture.

Laisse ton livre, petite, et appelle Pharès.

Pharès! Pharès! chanta la jeune fille avec sa voix douce, qui retentit dans le cœur de Ludovic comme le ramage d'un oiseau.

La corneille s'élança aussitôt hors de son clocher, décrivit au-dessous du plafond quatre ou cinq cercles, et vint se percher sur l'épaule de la jeune fille, comme nous l'avons déjà vue faire dans le chapitre où nous avons présenté à nos lecteurs l'intérieur de la Brocante.

Mais qu'avez-vous donc, mère ? demanda l'enfant. Vous paraissez tout émue!

- J'ai de bien tristes pressentiments, ma petite Rose, répondit la Brocante: vois comme Babylas est inquiet, vois comme Pharès est effarée; si les cartes sont mauvaises avec cela, mon enfant, il faut nous attendre à tout.

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Vous m'effrayez, mère! dit Rose-de-Noël.

Mais à qui en a-t-elle donc, la vieille sorcière? murmura Ludovic, et à quoi bon jeter ainsi le trouble dans le cœur de la pauvre enfant? Que diable! quoiqu'elle en vive, et surtout parce qu'elle en vit, elle sait bien que ses cartes, c'est du charlatanisme. J'ai bonne envie de l'étrangler, elle, sa corneille et ses chiens.

Les cartes furent mauvaises.

sorcière,

Attendons-nous à tout, Rose! dit douloureusement la qui, quoi qu'en dit Ludovic, prenait au sérieux sa profession de magicienne.

Mais, enfin, bonne mère, dit Rose, si la Providence permet que vous soyez avertie du malheur, elle doit vous donner en même temps les moyens de l'éviter.

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Chère enfant! murmura Ludovic.

Non, dit la Brocante, non, voilà le triste : c'est que je vois le mal et que je ne sais point comment y échapper. Eh bien, alors, la belle avance! dit Babolin.

Ah! mon Dieu! mon Dieu! murmura la Brocante en levant les yeux au ciel.

Bonne mère! bonne mère! fit Rose, ce ne sera peutêtre rien. Il ne faut pas nous alarmer ainsi. Voyons, quel malheur peut donc nous arriver? Nous n'avons jamais fait de mal à personne! nous n'avons jamais été si heureux; M. Salvator veille sur nous... J'aime.

Elle s'arrêta; elle allait dire, la naïve enfant : « J'aime

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