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Ah! ah! six heures et demie, fit-il.

Oui, dit Pétrus.

Eh bien, où dires-tu d'habitude, garçon ?
Un peu partout.

Tu as raison, il ne faut mourir nulle part; dine-t-on toujours bien au Palais-Royal?

Comme on dîne au restaurant... vous savez.

Véfour, Véry, les Frères-Provençaux, cela existe-t-il

Joujours ?

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Plus que jamais.

Allons diner par là.

Alors, vous me donnez à dîner?

Je te donne à diner aujourd'hui; tu me donneras à dîner demain, et ainsi nous serons quittes, monsieur le susceptible.

Laissez-moi changer de redingote et de gants.
Change, garçon, change.

Pétrus s'avança vers sa chambre.

A propos...

Pétrus se retourna.

Tu me donneras l'adresse de ton tailleur; je veux me faire habiller au goût du jour.

Puis, voyant le chapeau de Pétrus à travers la porte de sa chambre entr'ouverte.

Ah! ah! fit le capitaine, on ne porté donc plus les chapeaux à la Bolivar?

Non, on les porte à la Murillo.

-Je garderai cependant le mien, en souvenir du grand homme auquel je dois ma fortune.

C'est d'un bon cœur et d'un grand esprit, mon cher parrain.

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Ah! tu te moques de moi?

Pas le moins du monde.

Va, va, va... oh! j'ai bon dos, moi, et j'en puis porter plus que tu n'en mettras jamais dessus. Mais voyons d'abord, où me loges-tu ?,

Au-dessous de moi, si vous voulez; j'ai là tout un appartement de garçon qui vous ira à ravir.

Garde ton appartement de garçon pour une maîtresse qui te demandera à être dans ses meubles; moi, je n'ai besoin que d'une chambre, et, poury que, dans cette

chambre, il y ait un cadre, des livres, quatre chaises et une mappemonde, je n'ai pas besoin d'autre chose.

Je commence par vous dire, mon très-cher parrain, que je n'ai aucune maîtresse à mettre en chambre et que vous ne me privez en rien en prenant un appartement que je n'habite pas et qui est destiné à servir de retraite à Jean Robert le jour de ses premières représentations.

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Ah! ah! Jean Robert, un poëte à la mode... Oui, oui, ›ui, connu.

Comment, connu ? Vous connaissez Jean Robert ?

J'ai vu jouer son drame, traduit en espagnol, à Rio e Janeiro; je le connais... Mais, mon cher filleul, tout loup de mer que je suis, il faut que tu saches ceci : c'est que je connais infiniment de gens et de choses. Sous mon air de marin du Danube, je t'étonnerai plus d'une fois, va! Ainsi l'appartement au-dessous du tien...?

Est à vous.

Cela ne te gêne en rien?

En rien.

Va donc pour l'appartement de dessous.
Et quand voulez-vous en prendre possession?
Demain... ce soir.

Voulez-vous y coucher ce soir?

Dame, garçon, si cela ne te dérange pas trop... Bravo, parrain! dit Pétrus en tirant le cordon de la sonnette.

Que fais-tu ?

J'appelle mon domestique pour qu'il prépare votre appartement.

Le domestique entra et Pétrus lui donna les ordres nécessaires.

Où faut-il que Jean aille prendre vos malles? demanda étrus au capitaine.

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J'ai des adieux à faire à mon hôtesse, dit-il en regardant Pétrus d'un air significatif.

Parrain, dit Pétrus, vous savez que vous pouvez recevoir chez vous qui vous voulez; la maison n'est pas un cioitre.

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Puis, à demi voix, à son tour:

Il paraît, ajouta Pétrus, que vous n'avez pas tout à fait perdu votre temps, à Paris ?

Je ne t'avais pas encore retrouvé, mon cher enfant, dit le capitaine: il fallait bien me faire une famille. Le domestique remonta.

L'appartement est tout prêt, dit-il, et il n'y a que des draps à mettre au lit.

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En passant devant la porte de votre appartement, voulez-vous entrer ? dit-il.

Je ne demande pas mieux, quoique, je le répète, nous soyons assez peu difficiles, nous autres vieux écumeurs de

mer.

Pétrus passa le premier pour montrer le chemin à son hôte, et, ouvrant la porte de l'entre-sol, il le fit entrer dans un appartement qui était bien plutôt un nid de petite-maîtresse qu'un logis d'étudiant ou de poëte.

Le capitaine parut demeurer en extase devant les mille curiosités qui émaillaient les étagères.

- Ah çà! c'est un appartement de prince royal que tu m'offres là.

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Bon! dit Pétrus, qu'est-ce qu'un appartement de prince royal pour un nabab comme vous ?

Au bout de dix minutes, pendant lesquelles le capitaine ne cessa point de s'extasier, le domestique vint annoncer que le cheval était à la voiture.

Le parrain et le filleul descendirent bras dessus, bras dessous.

Arrivé devant la loge du concierge, le capitaine s'arrêta. Avance ici, lascar! dit-il au portier.

Qu'y a-t-il pour votre service, monsieur ? demanda celui-ci.

Fais-moi le plaisir d'arracher toutes les affiches qui annoncent la vente pour dimanche et de dire aux amateurs qui viendront demain...

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- Eh bien? demanda le concierge...

Tu leur diras que mon filleul garde ses meubles. En route!

---

El, sautant dans le coupé, qui faillit s'effondrer sous son poids :

Aux Frères-Provençaux! cria-t-il.

Pétrus monta derrière le capitaine, et la voiture. partit rapidement.

Par la carcasse de la Calypso, que nous avons trouée, ton père et moi, comme une écumoire, tu as là un joli cheval, Pétrus, et c'eût été dommage de le vendre!

LXXXV

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Où le capitaine Berthaut Monte-Hauban prend des proportions gigantesques.

Le parrain et le filleul s'installèrent dans un des cabinets des Frères-Provençaux, et, sur la demande du capitaine Monte-Hauban, qui prétendait ne pas s'y connaître, Pétrus commanda le dîner.

Tout ce qu'il y aura de meilleur dans l'établissement, garçon, tu entends? dit-il à Pétrus. Tu dois être familiarisé avec les soupers coquets, mon drôle ! Les mets les plus chers, les vins les plus généreux. J'ai entendu parler d'un certain vin de Syracuse que l'on buvait ici autrefois. Assure-toi, Pétrus, si ce vin existe toujours; je suis las du madère : j'ai mis cinq ans à en boire tout un chargement, et cela m'en a dégoûté.

Pétrus demanda du vin de Syracuse.

Nous ne donnerons point la carte du diner que Pétrus commanda, sur les pressantes instances de son parrain.

Ce fut un véritable dîner de nabab, et le capitaine avoua au dessert qu'il n'avait pas trop mal diné.

Pétrus le regarda avec étonnement; car de sa vie, même

chez le général, qui s'y connaissait assez cependant, il n'avait festoyé de cette luxueuse façon.

Ce n'était point, au reste, le premier étonnement que le capitaine eût causé à Pétrus.

Il lui avait vu jeter une piastre au gamin qui avait ouvert ia portière en arrivant aux Frères-Provençaux; en passant devant le Théâtre-Français, il lui avait vu louer une loge, et, comme il avait dit au capitaine que le spectacle était mauvais :

- Eh bien, avait répondu simplement celui-ci, nous sommes libres de n'y point aller; mais j'aime à m'assurer un endroit où dormir après mes repas.

Enfin, la carte commandée, il lui avait vu donner un louis au garçon pour que le vin de Bordeaux fût tiède, le vin de Champagne glacé, et que le service se continuât sans interruption.

En un mot, depuis que le marin avait adressé la parole à Pétrus, celui-ci avait marché de suprises en surprises et d'étonnements en éblouissements.

Le capitaine Monte-Hauban prenait les proportions uu Plutus antique : l'or lui sortait de la bouche, des yeux, des mains, comme les rayons du soleil.

Il semblait qu'il n'eût qu'à secouer ses habits pour en faire pleuvoir des pièces d'or.

C'était enfin le véritable nabab classique.

Aussi Pétrus, à la fin du dîner, Pétrus, le cerveau un peu excité par les vins différents que, sur les instances de son parrain, il avait bus, lui qui d'ordinaire ne buvait que de l'eau, Pétrus crut avoir fait un rêve, et il fut obligé d'interroger son parrain pour s'assurer que tous les événements qui se succédaient depuis cinq heures n'étaient nullement les péripéties d'une féerie du Cirque ou du théâtre de la Porte-Saint-Martin.

Emporté par ce qu'il voyait dans le pays irisé des chi-[ mères, Pétrus se laissa alier à une douce rêverie à laquelle le parrain, qui le regardait du coin de l'œil, permit volontairement qu'il s'abandonnât pendant quelques instants,

Le ciel noir et bas au-dessous duquel il errait depuis quelques jours s'éclairait peu à peu, et finit, grâce à l'imagination brillante du jeune peintre, par s'illuminer tout à coup des feux les plus éclatants. Cette vie de luxe, qui lui paraissait la condition nécessaire de son amour princier, lui en

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