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connaissent en or et en mort. Tu es véritablement un garçon privilégié, Pétrus.

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J'ai rêvé cela une fois aussi, garçon; et sais-tu ce qui m'est arrivé le lendemain ?

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- Non, ma foi.

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Eh bien, le lendemain de la nuit où j'étais assassiné en songe, et c'était ton père qui m'assassinait, vois ce que c'est que les rêves! j'aidai ton père à capturer le SaintSébastien, vaisseau portugais venant de Sumatra et tout chargé de roupies. Ton père seul, pour sa part de prise, a touché six cent mille livres, et moi cent mille écus. Voilà ce qui arrive trois fois sur quatre, garçon, lorsqu'on a la chance de rêver que l'on vous assassine.

LXXXVII

Pétrus et ses hotcs.

Pétrus se leva et sonna même avant de s'habiller.
Le domestique entra.

Qu'on attelle, dit Pétrus; je sortirai ce matin avant de déjeuner.

Puis le jeune homme se mit à sa toilette.

A huit heures, on vint le prévenir que le cheval était à la voiture.

- Vous êtes chez vous, dit Pétrus au capitaine : chambre à coucher, atelier, boudoir sont à votre disposition.

-Oh! ch! garçon, même l'atelier ? dit le capitaine.

- L'atelier surtout. C'est bien le moins que vous jouissiez par la vue des bahuts, des potiches et des tableaux que vous m'avez conservés.

- Eh bien, je te demande, tant que cela ne te gênera point, de me tenir dans l'atelier.

- Tenez-vous dans l'atelier, excepté au moment... vous savez?

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Oui, où tu auras modèle ou séance. Convenu!

Convenu; merci. Ainsi, à partir de dimanche, j'ai un portrait à faire qui me prendra bien une vingtaine de séances.

-Oh! oh!... quelque grand dignitaire de l'État ?

Non, une petite fille.

Puis, affectant la plus grande indifférence :

La fille cadette du maréchal de Lamothe-Houdan, dit-il. - Ah!

ici?

- La sœur de madame la comtesse Rappt.

Je ne connais pas, dit le capitaine. Et tu as des livres

Ici et en bas. Fontaine à la main?

Je vous ai trouvé, hier au soir, un la

– C'est vrai; la Fontaine et Bernardin de Saint-Pierre, voilà mes deux auteurs de prédilection.

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Vous trouverez, en outre, tous les romans modernes et une assez bonne collection de voyages.

Tu me parles justement là des deux sortes d'ouvrages que je ne puis pas lire.

Pourquoi donc?

– Parce que, des voyages, j'en fais, et que, comme j ai été à peu près dans tous les coins des quatre parties du monde et même de la cinquième, j'enrage en voyant les contes que nous font les voyageurs. Quant aux romans, cher ami, je les méprise profondément, ainsi que ceux qui les font.

Pourquoi cela ?

- Mais parce que je suis quelque peu observateur, et qu'à force d'observer, j'ai remarqué que jamais l'imagination n'allait aussi ioin que la réalité. Or, pour lire des mensonges moins intéressants que les événements qui se déroulent tout simplement, tout naïvement sous nos yeux, je déclare que ce n'est point la peine, et que je ne suis pas assez bourreau de mon temps pour l'employer à ces niaiseries-là. Donc, cher filleul, de la philosophie, à la bonne heure. - Platon, Épictète, Socrate, chez les anciens; Malebranche, Mon

taigne, Descartes, Kant, Spinosa, chez les modernes, voilà mes lectures favorites, à moi!

Mon cher parrain, dit Pétrus en riant, je vous avoue que j'ai beaucoup entendu parler des messieurs qui font vos délices, mais qu'à part Platon et Socrate, chez les anciens, et Montaigne, chez les modernes, je n'ai eu queune relation avec les autres. Cependant, comme j'ai un libraire qui achète les pièces de mon ami Jean Robert et qui me vend les Odes et Ballades d'Hugo, les Méditations de Lamartine et les Poëmes d'Alfred de Vigny, je lui dirai, en passant, de vous envoyer une collection des philosophes. Je ne les lirai pas plus que je ne les lis; mais je les ferai relier, et leurs noms brilleront dans ma bibliothèque comme des étoiles fixes au milieu des nébuleuses.

Eh bien, va, garçon ! et donne dix livres de ma part au commis pour couper les pages; j'ai les nerfs d'une telle susceptibilité, que je n'ai jamais pu m'astreindre à cette besogne-là.

Pétrus jeta un dernier signe de la main au parrain Pierre et s'élança hors de l'appartement.

Le parrain Pierre resta à la même place, l'œil fixe et l'oreille au guet, jusqu'à ce qu'il eût entendu le roulement de la voiture qui s'éloignait.

Alors, relevant et secouant la tête, il enfonça ses deux mains dans ses poches et passa en fredonnant de la chambre à coucher dans l'atelier.

Là, en véritable amateur qu'il était, chaque meuble devint l'objet de son investigation particulière.

Il ouvrit tous les tiroirs d'un vieux secrétaire Louis XV et les sonda pour savoir s'ils n'avaient pas de double fond.

Un chiffonnier de bois de rose subit le même inventaire, et, comme il paraissait fort adroit à découvrir les secrets, le capitaine, en appuyant dans ce chiffonnier ou plutôt sous se chiffonnier d'une certaine façon, fit jaillir de sa base un tiroir parfaitement invisible, si invisible, que, selon toute probabilité, ni le marchand qui l'avait vendu à Pétrus, ni Pétrus lui-même, n'en avaient jamais soupçonné l'existence. Ce tiroir contenait des papiers et des lettres.

Les papiers étaient des rouleaux d'assignats.

Il y en avait pour cinq cent mille francs à peu près, qui pouvaient peser une livre et demie valant quatre sous.

Les lettres étaient une correspondance politique et portaient la date de 1793 à 1798.

Il parait que le capitaine avait le plus grand mépris pour les papiers et pour les lettres aux dates révolutionnaires; car, après s'être assuré de l'identité des uns et des autres, il repoussa le tiroir du pied avec une telle adresse, que le tiroir se referma pour n'être peut-être ouvert que quinze ou trente ans après, comme cela venait de lui arriver.

Mais le meuble auquel le capitaine attacha une attention toute particulière fut le bahut dans lequel Pétrus renfermait les lettres de Régina.

Ces lettres, comme nous l'avons dit, étaient déposées dans un petit coffre de fer, merveilleux ouvrage du temps de Louis XIII.

Ce coffre était scellé à l'intérieur du bahut et ne pouvait s'enlever; bonne précaution, pour le cas où un amateur eût pu être tenté par ce chef-d'oeuvre de serrurerie.

-

Le capitaine était sans doute un grand amateur de ces sortes de bijoux; car, après avoir tenté de le soulever, sans doute pour le rapprocher de la lumière, - et s'être aperçu qu'il était inamovible, il en examina les différentes parties et surtout la serrure avec le plus grand soin.

Ce soin l'occupa jusqu'au moment où il entendit la voiture de Pétrus s'arrêter devant la porte.

Il referma alors vivement le bahut, prit le premier livre venu dans la bibliothèque et s'enfonça dans une causeuse.

Pétrus rentrait au comble de la joie : il avait été chez tous ses fournisseurs pour porter à chacun un à-compte selon sa créance, et chacun avait été touché de la peine que prenait M. le vicomte Herbel de venir lui-même apporter un argent qu'on aurait très-bien été chercher chez M. le vicomte, dont, d'ailleurs, on n'était point inquiet.

Quelques-uns hasardèrent un mot de cette vente dont ils avaient entendu parler; mais Pétrus, en rougissant légèrement, répondit qu'il y avait du vrai là dedans, qu'un instant il avait eu l'intention de renouveler son mobilier en vendant l'ancien; mais qu'au moment de se séparer de meubles qu'il aimait comme de vieux amis, il avait eu des regrets qui ressemblaient à des remords.

On s'extasia sur le bon cœur de M. le vicomte, et ce fut à

qui lui offrirait ses services pour le cas où il reviendrait sur sa résolution de garder un vieux mobilier.

Pétrus rapportait près de trois mille francs et s'était créé un nouveau crédit de quatre ou cinq mois.

D'ici à quatre ou cinq mois, il gagnerait quarante mille francs.

Admirable puissance de l'argent !

Pétrus, grâce à la liasse de billets qu'on lui avait vus dans les mains, pouvait maintenant acheter pour cent mille francs de meubles à trois ans de crédit! Pétrus, les mains vides, n'eût pas obtenu quinze jours pour ceux qu'il avait achetés.

Le jeune homme tendit les deux mains au capitaine ; il avait le cœur plein de joie et ses derniers scrupules s'étaient endormis.

Le capitaine parut sortir d'une profonde rêverie, et à tout ce que put lui dire son filleul ne répondit que ces mots : A quelle heure déjeune-t-on ici ?

A l'heure que l'on veut, cher parrain, répondit Pétrus.
Alors, déjeunons, dit Pierre Berthaut.

Mais, auparavant, Pétrus avait une question à faire.
Il sonna son domestique.

Jean entra.

Pétrus échangea avec lui un coup d'œil.
Jean fit un signe affirmatif.

Eh bien, alors? demanda Pétrus.

Jean désigna le marin du coin de l'œil.

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- Bah! dit Pétrus, donne! donne !

Jean s'approcha de son maître, et, d'un petit portefeuille de cuir de Russie qui paraissait fait exprès pour l'office qu'il remplissait en ce moment, tira une petite lettre coquettement pliée.

Pétrus la prit avidement, la décacheta et la lut.

Puis, de sa poche, il tira un portefeuille semblable, y prit une lettre de la veille probablement, l'y remplaça par celle qu'il venait de recevoir, et, allant au babut, il ouvrit, avec une petite clef qu'il portait à son cou, le coffret de fer, dans lequel, après l'avoir furtivement baisée, il laissa tomber la lettre dont il se séparait.

Alors, refermant le coffret avec soin, il se retourna vers

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