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devoir triste, mais nécessaire à remplir, celui de les subjuguer par la force.

› Mais non ; tous ne connaîtront plus qu'un sentiment, l'amour de la patrie. Les ministres d'un Dieu de paix seront les premiers moteurs de la réconciliation et de la concorde : qu'ils parlent aux cœurs le langage qu'ils apprirent à l'école de leur maître ; qu'ils aillent, dans ces temples qui se rouvrent pour eux, offrir avec leurs concitoyens le sacrifice qui expiera les crimes de la guerre et le sang qu'elle a fait verser. »

A la suite de cette proclamation, on lisait un arrêté qui promettait amnistie entière et absolue pour le passé à tous les habitans qui avaient pris les armes dans l'Ouest, et chargeait le général Hedouville de recueillir les armes que les Anglais avaient fournies, et de déclarer hors de la Constitution et de traiter comme ennemis du peuple les communes qui resteraient en rébellion (1).

Arrêté des consuls relatif au serment constitutionnel.

vose an 8.

Du 7 ni

«Les consuls de la République, vu l'avis motivé du conseil d'état, d'après l'acceptation faite par le peuple français de la Constitution de l'an 8, arrêtent ce qui suit :

» Tous les fonctionnaires publics, ministres des cultes, instituteurs, et autres personnes qui étaient, par les lois antérieures à la Constitution, assujettis à un serment ou déclaration quelconque, y satisferont par la déclaration suivante : Je promets fidélité à la Constitution (2). »

On avait surtout pour but, en amoindrissant à ce point l'énergie du serment républicain, de rassurer les consciences des ecclésiastiques. On publia en effet dans le Moniteur de fort longs com

(1) Brunet vint plus tard prendre le commandement en chef de l'armée de l'Ouest; Hedouville resta son premier lieutenant.

(2) Le 21 du même mois, par une délibération prise sur la proposition du gouvernement, le tribunat et le corps législatif donnèrent à ce serment le caractère de loi ; ils le consacrèrent en ces termes : Je promets d'être fidèle à la Constitution.

mentaires, afin de démontrer que cet engagement était purement civil, qu'il n'entraînait aucune conséquence contraire à la religion; en un mot, qu'il n'obligeait pas à défendre une constitution qu'on pouvait ne pas approuver, mais seulement à ne point s'y opposer.

Par arrêté du même jour, on autorisa à disposer pour l'exercice du culte catholique des édifices qui y étaient originairement consacrés. Le clergé demanda presque aussitôt l'usage exclusif des églises, que les lois avaient aussi affectées à la célébration des cérémonies décadaires. Le ministre de la police répondit que ⚫ le gouvernement voulait que tous les cultes fussent libres, et qu'aucun ne fût dominant. On comprend qu'il résultait souvent de la concurrence des cérémonies du culte et de celles des décades, de graves embarras qui ne cessèrent que quelque temps après, lorsque l'on renonça à l'institution du décadi, et que l'on en revint à celle du dimanche. A Paris, les prétentions des théophilanthropes qui continuaient leurs exercices, étaient une autre cause de scandale ; mais le gouvernement, malgré la clameur publique, n'osait pas encore supprimer leurs ridicules parades. II se montrait disposé, d'ailleurs, en toutes choses à réparer les maux faits par les hébertistes. Ainsi, lorsque se présenta la question de savoir si les prêtres insermentés pouvaient reprendre leurs fonctions moyennant la simple promesse de fidélité à la Constitution, le ministre de la police répondit affirmativement, le 26 prairial. Était-ce par sentiment religieux que le pouvoir agissait ainsi? On ne peut le croire. Le ministre de la police Fouché était un apostat incrédule, et les autres membres du gouverne*ment n'étaient pas plus croyans que lui; mais on savait que cette conduite plaisait aux masses; et, en effet, elle les ráttacha à la fortune des nouveaux gouvernans.

Enfin, le 9 nivose, les consuls ordonnèrent que de pompeuses obsèques honorassent les restes du Pape Pie VI qui était mort à Valence, en Dauphiné, à l'âge de quatre-vingt-deux ans. Pie VI, chassé de Rome par les armées républicaines, avait été d'abord confiné dans un couvent en Toscane, puis amené en France lors

de nos désastres en Italie. Si le directoire s'était montré dur à son égard, il n'en avait pas été de même du peuple. Ce prince de l'Église put voir par ses propres yeux que la foi n'était pas éteinte dans le corps de cette nation qui avait été appelée la fille' aînée de l'Église.

Tels furent les actes principaux qui précédèrent l'entrée en fonctions du tribunat et du corps législatif.

La session du nouveau corps législatif s'ouvrit le 11 nivose (1 janvier 1800). Le premier jour fut consacré à l'élection des bureaux. Daunou fut élu président du tribunat, et Perrin, du corps législatif. Dès le second jour, il y eut dans la seule des fractions de ce corps où il fut permis de parler, dans le tribunat, un semblant d'opposition. Elle eut lieu sur un sujet bien futile. Riouffe, par motion d'ordre, parla contre le singulier costume imposé aux tribuns. Thiessé s'éleva contre l'abus des motions d'ordre, et en particulier contre celle de Riouffe ; il demanda qu'on adoptât une forme meilleure et plus calme pour les propositions à faire à l'assemblée, telle que le dépôt de la proposition sur le bureau, et le renvoi de celle-ci à une commission. Les observations de Thiessé n'empêchèrent pas Duveyrier de faire de nouveau, le 13 nivose, ce que l'on appelait une motion d'ordre; il monta à la tribune avec l'intention de défendre les auteurs de la constitution sur un fait peu important, mais dont beaucoup de gens se trouvaient offensés, et dont on faisait, dans les salons, les uns un sujet de plainte, les autres un sujet de plaisanterie. Il voulait parler du local où l'on avait placé le palais du tribunat. C'était, comme nous l'avons vu, le Palais-Royal; et, pour l'y loger, il avait fallu en chasser des maisons de jeu et d'autres encore plus malhonnêtes. Ce choix, dit Duveyrier, était satisfaisant; il en remer ciait les auteurs ; le Palais-Royal était le berceau de la révolution, le lieu où Camille-Desmoulins avait arboré le premier signe de la liberté, etc. Mais il lui échappa cette phrase: «C'est le lieu, en un mot, où, si l'on parlait d'une idole de quinze jours, on se rappellerait qu'une idole de quinze siècles a été brisée en un jour.> Cette phrase blessa vivement le premier consul; elle produisit

aussi quelque effet sur le public. On se mit à comparer le tribunat de 1800 au tribunat romain, ce qui déplut encore davantage à Bonaparte. Le même jour, 15 nivose, le corps législatif transmit au tribunat, par un message, un projet qui lui avait été présenté par le conseil d'état pour régler le mode de formation de la loi. On y fixait les délais dans lesquels la discussion devait avoir lieu. Ce fut l'occasion d'une opposition plus sérieuse que les précédentes. On s'en occupa pendant plusieurs séances. Les uns trouvèrent les délais fixés insuffisans; ils se plaignirent qu'on voulût emporter des décrets au pas de course; les autres défendirent les intentions du gouvernement ; et l'on fut ainsi amené à parler de l'homme dont l'audacieuse activité occupait toutes les pensées.

On parla des dangers de la flatterie, des devoirs du tribunat, de la nécessité de l'austère vérité dans une république, des dangers du despotisme. Benjamin Constant se fit remarquer dans cette occasion par la justesse de ses arguments et par l'à-propos de son opposition. En définitive, le projet de loi passa à une majorité de cinquante quatre voix contre vingt-six. Le vote du corpslégislatif fut au contraire presque unanime.

Bonaparte n'aimait pas l'opposition, encore moins celle où son nom était mêlé. Il fit répondre dans le Moniteur. On appela ambition de gloire littéraire, besoin de renommée, les tentatives de quelques tribuns; enfin, dans un article intitulé : des Tribuns de Rome, et des Tribuns de France, on concluait par dire aux derniers que si la peur paralysait les forces, la témérité les usait. Roederer, dans le Journal de Paris, s'éleva contre cette manie de déclamer contre le pouvoir, de calomnier, ďagiter, etc. 11 terminait par établir que le véritable tribun était le conseiller d'état.

Le tribunat était un pouvoir nouveau, et, par suite, incertain de sa marche. En conséquence, dans la plupart des discours l'orateur ne manquait guère d'énoncer une opinion sur le but de cette institution. A la séance du 17, Desmeuniers présenta un projet de règlement sur ce sujet. Il fut discuté dans une suite de séances secrètes, et la discussion fut prolongée jusqu'au 27, jour

où il fut adopté en séance publique. La disposition la plus importante était celle-ci : « Aucune motion d'ordre n'est lue à la tribune, qu'au préalable elle n'ait été déposée par écrit sur le bureau, annoncée par le président vingt-quatre heures à l'avance, afin que chaque membre puisse en prendre connaissance. » Les autres articles étaient relatifs à l'ordre et à la discipline de l'assemblée. La discussion secrète qui précéda ce règlement, plus que les dispositions qu'il contenait, fixèrent dans l'esprit de chacun des membres la portée et la puissance du corps auquel ils appartenaient. Cependant, il resta une opposition qui variait de vingtcinq à trente voix sur toutes les mesures proposées par le gouvernement, mais qui ne présentait rien de systématique, car elle se composait, tantôt de certains membres, tantôt de certains autres. Cependant quelques projets présentés par le gouvernement rle furent rejetés; il est vrai qu'ils ne contenaient rien de politique, ou qui eût été de nature à blesser l'opinion publique. Dans ces circonstances, le tribunat se montrà plutôt l'ami que le critique du nouveau pouvoir. Ainsi il rejeta deux projets de loi, l'un établissant des péages au passage des ponts construits aux frais des particuliers, l'autre, présenté le 18 ventose, destiné à faire revivre les rentes foncières supprimées comme féodales.

Il ne faut pas confondre cette espèce de rentes avec celles qui étaient dues à d'autres titres par divers particuliers, et qui étaient tombées entre les mains de la république par la confiscation des biens de ceux auxquels elles appartenaient. Celles-ci furent l'objet d'une mesure législative que le tribunat vota le 18 nivose à une majorité de soixante-dix yoix, et que le corps législatif approuva presque unanimement le 21. La république possédait 3,500,000 fr. de rentes de cette espèce. On autorisa les débiteurs à les racheter au denier 15, ce qui pouvait produire une somme de 50,500,000 fr. destinée à couvrir un déficit de 60,000,000, que l'on prévoyait pour l'an viii. Ce ne fut pas la seule mesure financière que le gouvernement proposa; il trouva toujours la même complaisance dans le tribunat et le corps législatif. On l'autorisa à aliéner encore diverses portions de biens nationaux.

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