JUSQU'A LA DISSOLUTION DE 1816 409 Restés seuls et, pour quelque temps, maîtres d'un terrain si laborieusement disputé, les ministres devaient chercher les moyens de prévenir le retour des difficultés qui paralysaient la marche du gouvernement, arrêtaient la reprise des affaires, et inquiétaient même l'étranger mieux éclairé que personne sur les dangers d'une contre-révolution. M. Decazes était déjà acquis à l'idée d'une dissolution, mais il savait M. de Richelieu trop timoré pour aller droit et sans transition à cette mesure extrême. Il commença par débarrasser le cabinet de deux membres : l'un, trop sympathique à la majorité; l'autre, trop irrésolu. M. de Vaublanc (1) fut remplacé à l'intérieur par le président de la Chambre basse, M. Lainé, que la droite avait insulté pendant la session; M. Barbé-Marbois, garde des sceaux, fut renvoyé à la Cour des comptes dont il obtint la présidence, et l'intérim de son département fut confié à M. Dambray. Secondé par M. Lainé, M. Decazes prépara le duc de Richelieu à l'éventualité d'une dissolution. Le chef du ministère aurait désiré attendre l'ouverture de la seconde session et ne frapper la Chambre qu'en présence d'un conflit. M. Decazes lui démon (1) Dans la discussion de la loi électorale, M. de Vaublanc s'était publiquement séparé de ses collègues du cabinet et avait déclaré qu'il préférait le renouvellement intégral au renouvellement partiel. 1816 Ordinance 5- Sestember. 410 HISTOIRE DES ASSEMBLÉES POLITIQUES tra que la dissolution au milieu d'une crise serait Le 5 septembre 1816 fut publiée une ordonnance (295) deux cent cinquante-neuf. En recevant une de ces propositions par lesquelles la Chambre de 1815 cherchait à faire sortir de ses ruines le régime féodal, Louis XVIII s'était écrié : << En vérité, une pareille Chambre semblait introuvable.» L'épithète peut passer pour une épigramme, mais une épigramme ne suffit pas, quand il s'agit de juger cette Assemblée qui a déclaré la guerre à toutes les vérités de la révolution, qui a inauguré (1) C'était l'orgueil et le plaisir de Louis XVIII de se sentir plus éclairé, plus politique que tous les siens, et d'agir dans la pleine indépendance de sa pensée comme de sa volonté. (Guizot, Mémoires, I, 149.) "Chambre introvable". JUSQU'A LA DISSOLUTION DE 1816 411 le royalisme intransigeant, mortel à la royauté, et dont la politique turbulente a fait lever les premiers adversaires de la restauration. Dans la vie publique comme dans la vie privée, la sagesse des débuts importe aux succès de la fin; les erreurs de la jeunesse se rachètent moins facilement que les fautes de l'âge mur, et les gouvernements, aussi bien que les individus, sont jugés en un jour. Grâce aux imprudences de la Chambre introuvable, les Bourbons avaient à peine achevé de s'installer qu'ils étaient déjà notés de cléricalisme; cette accusation, V adroitement manœuvrée, coupa bien vite les liens de reconnaissance qui unissaient le pays aux auteurs d'une paix longtemps attendue. La bourgeoisie devint défiante, le peuple haineux, et, pendant quatorze ans, le monarque fut soupçonné d'entreprendre ce qu'il conçut seulement en 1830. 412-441 CHAPITRE XI LA CHAMBRE DES PAIRS ET LA CHAMBRE DES DÉPUTÉS JUSQU'A LA DISSOLUTION DE 1823 Elections générales de 1816. Loi électorale de 1817.- Elections Loi sur le Ministère Elections de 1818; succès des Retraite de M. de Richelieu. Fournée de pairs. Lois sur la presse. - Elec - tions de 1819; progrès de la gauche. Nomination de Grégoire. Crise ministérielle. L'élection de Grégoire est annulée. Assassinat du duc de Berry; chute de M. Decazes. Second ministère de M. de Richelieu. Loi du double vote. Elections de 1820 et de 1821; triomphe de la droite. Chute de M. de Richelieu. Ministère Villèle. - Lois contre la presse. Elections de 1822; pression administrative. Affaires d'Espagne. Expulsion de Manuel. Retraite de la gauche. Fournée de pairs; dissolution de la Chambre des députés. Ceux qui se laissent prendre aux démonstrations publiques des partis purent croire que l'ordonnance de dissolution avait rapproché le roi du pays. En voyant venir à eux un allié si puissant, les hommes les plus hostiles au principe de la légitimité firent semblant d'oublier leurs préférences et d'accepter JUSQU'A LA DISSOLUTION DE 1823 413 franchement la restauration. « Les plus effrénés jacobins, dit Montlosier, crièrent: vive le roi ! » En effet, les libéraux comprenaient combien il était important de s'appuyer, provisoirement, sur l'autorité du chef de l'Etat, pour faire cesser la terreur imprimée dans l'esprit des populations par le retour des émigrés. L'expérience du passé leur avait appris qu'en politique on réussit mieux par les mouvements tournants, que par les attaques de front; ils avaient des guides sûrs parmi les bonapartistes qui, faute de places, n'avaient pu se rallier au gouvernement, et qui étaient d'autant plus habiles que, depuis le commencement du siècle, ils étudiaient les moyens de façonner l'opinion publique. Au mois d'octobre 1816, la prudence dans les programmes était indispensable, car M. Decazes et M. de Richelieu étaient divisés sur la nature des instructions à donner aux préfets; le premier voulait que les membres de l'ancienne majorité fussent combattus à outrance; le second pensait qu'après tout, il valait mieux subir des ultra-royalistes que des révolutionnaires. Pour les mettre d'accord, l'opposition ne montra aucun de ses candidats; tous les suffrages se réunirent sur les royalistes agréables au ministère. La majorité de la Chambre nouvelle fut animée de l'esprit de la charte; l'extrême droite ne compta plus que cent voix. M. Decazes craignit que ce groupe, trop faible |