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cours; il vécut dans une atmosphère qui eut sur lui une certaine influence; s'il étudia peu de droit, il s'occupa davantage de lettres; il lut Goethe, Schiller, Uhland et Chamisso; il se prit d'admiration. pour Shakespeare; ses amis d'Amérique lui parlèrent de mœurs nouvelles; il comprit des choses qui lui étaient jusqu'alors inconnues et fermées; il voyagea, probablement jusqu'en Suisse ', il fréquenta des gens de tous mondes et de toutes opinions; il pouvait comparer et choisir gens et partis.

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Son séjour à Göttingue modifia ses idées politiques. A son arrivée, il avait fréquenté ses trois Américains, et « vécu avec eux des heures heureuses, notamment le 4 juillet 1832 pour fêter l'anniversaire de la déclaration d'indépendance des États-Unis ». Ces amis ne pouvaient que confirmer son jeune libéralisme. Mais il était entré dans la corporation aristocratique de la Hannovera, et là, dans la compagnie de jeunes hobereaux, ses idées avaient pris un autre tour sous couleur de loyalisme prussien, de dévouement à la famille des Hohenzollern, il prit en horreur toutes les tendances nouvelles des libéraux allemands; les jeunes gens de la Burschenschaft manquaient d'élégance et de crânerie; il en conclut avec la logique de ses 18 ans que leurs idées enthousiastes étaient fausses et dangereuses. Deux incidents politiques le confirmèrent dans cette impression; quelques jours après son arrivée à Göttingue, les radicaux tinrent dans le Palatinat, à Hambach, une grande réunion où ils proclamèrent la souveraineté du peuple, la nécessité de réunir les états allemands en République et ceux de l'Europe en Confédération. L'année suivante, le 3 avril 1833, eut lieu l'échauffourée de Francfort, l'attaque de la grand'garde par des étudiants dont deux venaient de Göttingue. Il en eut une vive répulsion. « Il était trop bien stylé à la prussienne pour n'être pas désagréablement impressionné par l'atteinte qu'une troupe révolutionnaire et tumultueuse portait à l'ordre établi ».

En quittant Göttingue, il n'emportait pas grand bagage juridique, mais de l'audace dans la conduite de sa vie et des idées d'autoritarisme prussien son existence à Berlin et dans la campagne poméranienne fortifieront ce trait de caractère et ces idées politiques. PAUL MATTER.

1. Keudell, loc. cit., p. 153.

2. Bismarck, Lettre du 4 juillet 1875 au directeur du Public Ledger. ̧ 3. Bismarck, Pensées et souvenirs, I, p. 3.

CHRONIQUE DES QUESTIONS AGRICOLES

(1903)

La hausse du blé, de la farine et du pain dans le premier semestre de 1903. La réforme de la législation douanière et la baisse des prix; les enseignements du passé et les possibilités d'une hausse. Un projet de Trust agricole. Les variations des prix et de la consom

mation.

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Le vin et l'alcoolisme.

I

On a observé, pendant les six premiers mois de 1903, une hausse marquée et imprévue du froment et de la farine. Il est intéressant de noter les phases de cette crise et d'en marquer les causes. Nous aurons ainsi l'occasion de dégager des faits quelques conclusions générales.

La hausse du prix du blé a été très brusque depuis le commencement de mai 1903, mais les prix n'avaient pas cessé cependant de s'élever depuis la fin de janvier. En relevant les cours de la région du Nord qui approvisionne Paris, on trouve pour le quintal:

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Il s'est donc produit, comme nous le disions, une augmentation progressive des prix, et les frimas d'avril ont déterminé une hausse brusque en mai. Cette élévation soudaine n'a rien d'extraordinaire, elle est la conséquence d'un mouvement de surprise et d'inquiétude, qui est toujours observé au début d'une période de hausse. On ne

vend pas volontiers qnand les cours montent, parce qu'on espère vendre encore plus cher huit ou quinze jours plus tard. Le marché se resserre et les cours montent d'autant plus vite, que l'acheteur plus impressionnable rencontre plus difficilement une contre-partie.

C'est précisément l'inverse de ce qui se produit pendant la période de baisse. Celle-ci se précipite et s'accentue parfois en prenant la physionomie d'un véritable effondrement, parce que l'on se demande s'il n'est pas plus sage de vendre tout de suite que d'attendre des cours plus bas encore. Le vendeur ne trouve plus de contre-partie, et les prix s'affaissent aussi brusquement qu'ils s'étaient élevés au moment de la hausse.

Ces phénomènes psychologiques sont bien connus à la Bourse, et nous en constatons aujourd'hui les effets à propos du blé.

Il est donc bien inutile de parler d'agio, d'accaparement, de spéculation, etc. Le blé est devenu plus cher en mai 1903, parce que la récolte future a paru un peu compromise par le mauvais temps; un mouvement d'émotion et de frayeur exagérées -- à notre avis -a provoqué une hausse brusque qui n'a été ni considérable ni de longue durée, nous le savons aujourd'hui.

Telle était la situation véritable envisagée avec calme.

Nous disons que la hausse ne devait être ni considérable ni prolongée. Il était notoire en effet, que la moisson française de 1902 avait été bonne. Notre provision de blé était donc à peu près

assurée.

D'autre part, les marchés étrangers étaient suffisamment pourvus puisqu'il ne se produisait pas de hausse. Sur la place de Londres on a coté, par exemple, les cours suivants par quintal de froment :

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On n'observait pas d'élévation notable des prix, ce qui prouve que la quantité du blé disponible dans le monde était suffisante. La hausse observée en France tenait donc à des causes locales; elle n'était pas la conséquence d'un déficit général et reconnu de la production.

Si les cours s'étaient élevés encore et si nous avions eu besoin de froment, les importations étrangères auraient donc pu satisfaire aux besoins de notre consommation et surtout limiter la hausse. Dès le mois de mai, en effet, on vit augmenter l'écart entre les prix anglais et français parce que notre droit de douane « jouait» en plein.

Voici quelles étaient les différences de cotes constatées pour le blé en France et en Angleterre depuis le début de l'année 1903 :

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On payait donc en dernier lieu le blé 7 francs de plus en France qn'en Angleterre. Or le droit est précisément de 7 francs. Il y avait donc égalité de prix pour l'importateur au Havre et à Londres le jour où l'on aurait voulu importer.

Dans le port français, l'importateur eût touché par exemple 24 francs, mais il eût acquitté 7 francs de droits, ce qui donnait un prix net de 17 francs. D'autre part, le cours de Londres restant à 16 fr. 90, l'importateur, ne payant aucun droit, aurait touché le prix net de 16 fr. 90. Il eût été ainsi plus avantageux de vendre au Havre que de vendre à Londres 100 kilogs de blé, et cette marchandise aurait pu pénétrer chez nous.

La hausse a donc été arrêtée ou limitée naturellement sans qu'il fût nécessaire de réduire le droit de douane que nous avons établi. Avant même que les importations étrangères n'intervinssent pour limiter la hausse, il est certain, d'ailleurs, que les réserves de nos cultivateurs et les envois d'Algérie auraient produit le même résultat Le marché à terme du blé à livrer ne paraissait nullement inquiet, puisque les cours étaient inférieurs — notablement aux cours du comptant. Alors que les prix de mai dépassaient 25 francs par quintal sur le marché de Paris, la cote des livraisons futures à effectuer dans deux mois suivants ne dépassait pas 23 francs! C'étaient là des indices utiles à recueillir sinon des preuves d'une tendance à la baisse.

Nous parlions tout à l'heure des réserves de nos cultivateurs et de l'influence que pouvait exercer sur les cours l'apport de ces blés attirés sur les marchés par l'appât des prix élevés.

Nous croyons en effet que beaucoup d'agriculteurs ne vendent pas habituellement toute leur récolte dans les trois ou quatre mois qui suivent la moisson. On voit apparaître ces réserves au moment de la hausse, parce que les producteurs aiment mieux tenir que d'espérer et qu'ils trouvent sage de réaliser pendant la période de hauts prix. Au début l'on attend et l'on s'observe; c'est le moment critique dont nous parlions plus haut. Au premier signe de faiblesse des cours qui fléchissent, il se produit des ventes.

Tout ce que l'on pouvait prévoir s'est d'ailleurs exactement réalisé.

Les importations se sont accrues en 1903 car nous trouvons pour les neuf premiers mois :

En 1902..

En 1903...

1,758,000 quintaux
3,785,000

D'autre part les réserves des cultivateurs apportées sur le marché ont fait baisser les prix dès le mois de juillet puisqu'ils tombent à 24 ou 23 francs par quintal pour le blé de la région du Nord.

Enfin, dès que la récolte a pu être exactement appréciée, on s'est aperçu qu'elle était considérable et les cours se sont abaissés dès les premiers jours de septembre à 21 fr. 50 ou à 21 francs; réduction qui n'est pas extraordinaire puisque la moisson de 1903 est la plus belle qu'on ait jamais constatée en France et s'élève à plus de 128 millions d'hectolitres!

Maintenant que nous avons parlé de la hausse du blé dans la première moitié de l'année 1903, étudions les variations de cours qui se sont produites au même moment pour les farines.

Le cours de la farine a certainement augmenté, sur le marché de Paris, par exemple, depuis le mois de janvier. En relevant le cours des 100 kilogs (premières marques) on trouve:

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La hausse est visible; elle est la conséquence de celle que nous avons signalée à propos du blé.

Mais dira-t-on, le cours de la farine a augmenté plus vite que celui du blé. C'est vrai. En calculant la différence des deux cours pour le blé de la région Nord et la farine premières marques cotée à Paris, on trouve :

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Ainsi l'écart constaté entre le prix de la farine et celui du blé a augmenté progressivement. Est-ce étonnant? Pas le moins du monde. C'est une règle générale observée depuis cinquante ans et plus, et elle s'explique très naturellement. On ne mange pas du blé, mais bien de la farine; cette dernière est le produit utilisable dont on craint de manquer et dont on a besoin. Elle subit donc une

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