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tifs, les comités de constitution des deux Chambres avaient une réunion commune pour convenir d'un accord à ce sujet.

Pendant ce temps, dans les réunions extraparlementaires, dans les hôtels où logeaient les députés, les commentaires allaient bon train. En constatant l'accord du parti impérial, du bloc unitaire, on avait cru à son succès; il semblait impossible que les gouvernements, celui de Prusse en particulier, ne tinssent pas compte de décisions prises à une telle majorité, alors qu'eux-mêmes avaient sollicité ces décisions et que le Parlement n'avait cessé de protester de son dévouement dynastique. Mais les hommes au courant des dessous politiques, Bismarck en particulier, estimaient que « les tailleurs de Gotha triomphaient trop vite ». Cet espoir se répandit dans les rangs de la droite, il fut bientôt connu de tous, et un profond découragement envahit le parti de l'Empire. « D'indications mystérieuses, remarquait alors Biedermann, on concluait que le gouvernement prussien et le roi avaient perdu le courage ou le désir de mener à bien l'œuvre commencée par eux, qu'ils reculaient devant l'Autriche et la Russie, ou bien qu'ils s'inclinaient devant le parti de séparatisme et d'absolutisme prussien qui voyait dans le régime parlementaire et fédéral un danger pour la Prusse 2. » Ces indications venaient de Berlin; Frédéric-Guillaume IV, séparé de Radowitz et de Brandenburg qui siégeaient à Erfürt, était entre les mains du général de Gerlach qui commentait à sa façon les débats du Parlement et lui lisait les lettres de son frère, systématiquement défavorables aux « gens de Gotha ». Quoique Manteuffel eût encore affirmé, les 15 et 25 avril, son attachement à la politique de l'union, on sentait que c'était là belles paroles et qu'il tenait au parti adverse. En fait, il était d'accord avec Gerlach, qui le mettait au courant des fluctuations du roi, et tous deux résumaient leur politique allemande en ces mots : «< Soyons unis à l'Autriche, nous pourrons laisser chanter Erfürt jusqu'à la fatigue ».

3

Néanmoins Erfürt chantait encore. Le 25 avril, les Chambres votaient le texte définitif de la Constitution; leur œuvre constituante était terminée et les députés se demandaient ce qui allait advenir d'eux. « La question du jour, écrivait Stockmar le 27 avril, est celleci serons-nous simplement ajournés, avec ou sans terme, ou complètement dissous? Cette question préoccupe vivement les

1. Bismarck, Briefe an seine Braut und Gattin, 19 avril 1850, p. 177. 2. Biedermann, Meine Leben und ein Stück Zeitgeschichte, t. II, p. 33. 3. Gerlach Manteuffel, 15 avril 1850; Manteuffel, loc. cit., I, p. 199.

députés. L'ajournement pour un temps déterminé serait la meilleure solution. » C'eût été donner au Parlement allemand un caractère définitif, mais Frédéric-Guillaume IV se complaisait dans le provisoire. A la pressante prière» de Bismarck, Manteuffel s'était rendu à Berlin le 18 avril pour lui demander la « mort de la chose d'Erfürt »; Gerlache pressait dans le même sens. Le roi, ainsi influencé, décida d'ajourner sans terme les Chambres. Le 29 avril, à la Chambre du peuple, Radowitz prit une dernière fois la parole au nom du conseil de l'Union. Après une courte, très courte allusion à «< une convocation ultérieure », il exprima, « aux hommes que le premier parlement allemand a réunis ici, ses remerciments et sa reconnaissance pour l'esprit patriotique, la ferme volonté et les efforts soutenus qu'ils ont montrés dans leurs travaux. Le conseil d'administration reçoit ces résultats qui fortifieront son espoir d'une solution favorable de la grande tâche politique que les gouvernements unis se sont imposée dans la conscience de leurs devoirs et de leurs promesses, et il y joint le vœu sincère que l'œuvre de la constitution achevée trouve la reconnaissance à laquelle elle a droit dans l'intérêt véritable de toutes les parties. >>

Et, sur quelques adieux de Simson, on se dispersa.

III

C'était fini; on fermait la salle des séances, on enlevait les tentures rouge-noir-or, qui scandalisaient si fort M. de BismarckSchönhausen et qu'on ne devait plus revoir. Maintenant il fallait conclure. Mais une fois encore, conclure n'était pas le propre de Frédéric-Guillaume IV.

Il était en présence de deux invitations: une demande au duc de Saxe-Cobourg de réunir les princes pour délibérer sur les décisions du Parlement d'Erfürt, une convocation de l'Autriche, adressée à tous les États allemands, pour conférer à Francfort sur le remplacement du gouvernement provisoire et la revision du pacte fédéral. Malgré les assurances du prince de Schwarzenberg, cette dernière invitation dissimulait mal le désir de reprendre les anciennes relations de Francfort et de rétablir la vieille Diète : le

1. Stockmar, Denkwürdigkeiten, p. 608.

2. Kluppel, Geschichte der deutschen Einheitsbestrebungen, 1848-1871, t. I, p. 141 et suiv.; Biedermann, Geschichte Deutschlands, 2° partie, t. II, p. 24 et suiv.

roi de Prusse ne pouvait l'accepter pour le moment. Il adressa donc au prince de Cobourg une « réponse cordiale et bienveillante >> et convoqua pour le 8 mai à Berlin les membres de l'Union « dans le but de s'accorder promptement entre princes sur les propositions de revision faites par le Parlement d'Erfürt ». Peut-être cet homme ondoyant était-il encore de bonne foi. Mais son entourage l'était moins, et comptait bien le faire trébucher dans la voie allemande.

Les princes se réunirent à Berlin le 8 mai: le congrès fut fastueux et abondant en verbes éloquents; mais si les paroles vinrent nombreuses au roi de Prusse, le courage lui manqua pour prendre des décisions. Il renvoya les princes le 15 mai, avec de bonnes promesses, et un nouveau provisoire. Cela devait encore durer six mois, mais dès lors il était certain que la Prusse se trouverait un jour acculée à ce dilemme : céder à l'Autriche ou se battre avec elle.

Le parti de la cour trouvait plus simple de céder de suite; il n'avait qu'une ambition, mettre la direction du ministère entre les mains de M. de Manteuffel qui n'avait pas dissimulé ses tendances anti-allemandes. MM. Prokesch et de Meyendorff, ambassadeurs d'Autriche et de Russie, ajoutaient que tel était aussi leur désir, mais à deux conditions pleine cordialité avec les deux cours impériales, complet éloignement de M. de Radowitz 2. On devait y arriver, non sans peine, et à Olmütz M. de Manteuffel fut très heureux que son pays ne perdit rien, fors l'honneur.

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LOIS & TRADITIONS COLONIALES

DE LA FRANCE D'AUTREFOIS

(Suite et fin 1.)

Dans une précédente étude, j'ai essayé de résumer la méthode d'exploitation économique que l'Ancien Régime avait imaginée pour les colonies. Restent à examiner ses procédés de gouvernement. Cela fait, il faudra pour achever notre tâche, marquer les modifications apportées par la Révolution et l'Empire. Des indications plus brèves y suffiront d'ailleurs, les transformations ayant été, comme on pourra s'en convaincre, plus apparentes que réelles.

I

J'ai dit comment le gouvernement, confié en premier lieu à des compagnies, fut repris ensuite par le pouvoir royal. Toutefois, que celui-ci commande directement ou par intermédiaires, l'autorité chargée dans la métropole de veiller sur les colonies demeure toujours la même. Richelieu s'occupa des établissements lointains, en réalité parce qu'il était ministre tout puissant, officiellement en sa qualité de « chef et surintendant général de la navigation et commerce de France » que lui conférèrent les lettres royales de 1626, fonction qui fit de lui le chef unique de la marine, quand l'édit de janvier 1627 supprima la charge d'amiral. Pareil état de choses survécut au cardinal et l'alliance ainsi scellée entre la marine et les colonies subsista jusqu'à la fin du XVIII siècle, voire jusqu'à la fin du XIXe siècle. Alliance logique du reste, en un certain sens et

1. Voir les Annales, du 15 juillet 1904.

surtout à l'origine, mais dont à la longue les conséquences diverses ne devaient pas être toutes également heureuses.

Sauf ce point, l'administration coloniale subit au cours de l'Ancien Régime des modifications nombreuses et qui ne découlent pas simplement de la disparition des compagnies. Les ministres successifs développent et perfectionnent peu à peu les procédés imaginés à l'origine, volontiers par mesures de détails et dispositions spéciales. De là une longue série d'actes réglementant tel point particulier, visant simplement telle possession. Inutile d'insister sur tous, puisqu'il suffit de marquer ici les tendances générales, en précisant simplement le système en vigueur à la veille de la Révolution. Mais ce système se trouve de ce fait même, assez difficile à dégager. A la question très simple: comment les colonies étaient-elles gouvernées sous Louis XVI? nul texte ne répond de façon suffisante. Il faut combiner et distinguer. Un règlement du 24 mars 1763, reprenant ou amendant les dispositions antérieures, organise les Antilles. Une ordonnance du 1er février 1766 modifie ce règlement sur certains points, mais seulement pour Saint-Domingue. L'ordonnance du 1er février, largement retouchée, est ensuite rendue applicable aux iles de France et de Bourbon par une autre ordonnance du 25 septembre de la même année. A Saint-Domingue enfin, une nouvelle ordonnance du 24 mai 1775 se substitue à la première partie de l'ordonnance de 1766 dont elle laisse subsister le reste. Pour étudier le gouvernement de Saint-Domingue, il faut donc consulter simultanément les ordonnances de 1775 et du 1er février 1766, en négligeant le règlement de 1763. C'est au contraire à ce règlement qu'il faut s'en tenir si l'on se transporte à la Martinique, tandis que pour l'île de France l'ordonnance du 25 septembre 1766 suffit. Le tout, bien entendu, sans préjudice d'une série d'actes accessoires ou de coutumes réglant les points de détail. Mais à considérer les choses d'un peu haut, la succession et l'enchevêtrement des textes manifestent simplement des tâtonnements de forme et laissent apparaître le développement de tendances persistantes; les mêmes idées prévalent constamment partout et les mêmes rouages se retrouvent en Amérique, comme en Afrique ou dans la mer des Indes.

A la tête de chaque colonie, un gouverneur et un intendant. Telles sont au moins les appellations habituelles, car le gouverneur devient en certains cas un «< commandant pour le roi » et l'intendant un simple commissaire-ordonnateur ». Ces différences de titres correspondent à des nuances de hiérarchie; elles ne modifient pas les

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