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domaniale: :- c'étaient celles où il avait été reconnu, après enquête, que les indigènes ne s'étaient jamais livrés à la récolte du caoutchouc, il continuait à laisser de vastes zones à la disposition publique et il y abandonnait exclusivement aux particuliers l'exploitation du caoutchouc de ses propriétés. Ces dernières zones comprenaient, en fait, plus du quart des terres vacantes de l'État, indépendamment de toutes les régions en aval du Stanley-Pool'. » Le gouvernement britannique d'ailleurs reconnaît lui-même que l'État avait le droit de répartir les terres d'État entre occupants de bonne foi, et que, « le pays étant ainsi partagé entre occupants de bonne foi, les indigènes perdent leur droit de le parcourir en recueillant les fruits naturels qu'il produit ». Il fait seulement cette réserve que « jusqu'à ce que le territoire inoccupé soit soumis à l'occupation individuelle et tant que les produits peuvent être récoltés seulement par les indigènes, ceux-ci devraient être libres de disposer de ces produits à leur guise ». Mais ces propositions sont contradictoires : si, en effet, l'État a le droit de répartir ses terres entre des occupants de bonne foi, c'est qu'il en est propriétaire et s'il en est propriétaire, il a droit à leurs produits; il a droit, par conséquent, d'interdire aux indigènes de disposer de ces produits qui lui appartiennent. Si les indigènes avaient droit de récolter les produits des terres domaniales tant qu'elles ne seraient pas propriété privée, ils devraient conserver ce droit malgré l'appropriation individuelle. Ils ne pourraient, en effet, en être dépouillés par le fait de l'attribution des terres à des tiers. Au point de vue économique, livrer les terres domaniales au bon plaisir des indigènes, ce serait les ramener à l'état d'abandon de jadis et renoncer aux méthodes «< d'exploitation rationnelle, de plantation et de replantation auxquelles s'astreignent l'État et les Sociétés concessionnaires pour assurer la conservation des richesses naturelles du pays ».

Les puissances, saisies des réclamations britanniques, n'ont pas jugé à propos de s'y associer. Elles ont considéré sans doute qu'une conférence internationale ne pourrait se livrer à l'examen des accusations portées contre l'État du Congo sans poser un précédent dangereux pour leur propre indépendance. Elles ont estimé, sans doute, avec l'État indépendant, que les conclusions de la note anglaise, en suggérant une référence à la cour de la Haye, tendaient à faire considérer comme cas d'arbitrage, des questions de souveraineté et d'administration intérieure que la doctrine courante a toujours exclues des décisions d'arbitres ». Leur attitude ne saurait être qu'approuvée. Considérations de droit et d'équité,

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intérêt politique bien compris, tout contribuait d'ailleurs à la leur dicter. La Grande-Bretagne n'avait pas réussi à prouver ses accusations. Eût-elle établi que l'organisation foncière du Congo était contraire à l'esprit de l'acte de Berlin de 1885, la question se fût posée de savoir s'il était sage, s'il était équitable de condamner un système grâce auquel la mise en valeur rapide d'immenses territoires avait permis d'introduire de l'ordre et de faire pénétrer un peu de civilisation dans des régions jusque-là désolées par une épouvantable barbarie. Enfin, les puissances qui avaient cru bon, en 1885, de laisser à un État faible et par là nécessairement modéré le soin d'organiser et d'administrer les vastes régions arrosées par le Congo, avaient, en 1903, le même intérêt à écarter de ces régions les ambitions britanniques. La France, en particulier, ne devait pas hésiter à rester fidèle à sa politique de 1885. En s'associant aux critiques anglaises sur le régime foncier de l'État indépendant, elle se fût condamnée elle-même puisqu'elle pratique, en son Congo français, un régime analogue. En s'associant à une politique de partage, elle eût renoncé au droit de préférence que lui confèrent, sur l'ensemble des possessions de l'État congolais, les traités de 1885 et de 1895 pour substituer au voisinage d'une puissance neutre et inoffensive celui du plus puissant et du plus ambitieux des États colonisateurs. Elle eût à la fois violé la justice et compromis ses intérêts.

L'ÉTAT NOUVEAU DE PANAMA.

L'isthme de Panama formait, jusqu'en 1903, une des neuf provinces de la république de Colombie. Cinquante-trois révolutions ou émeutes en cinquante-sept ans n'y témoignaient pas d'une parfaite entente avec le gouvernement colombien. Mais le CentreAmérique a l'habitude et le culte des insurrections; l'isthme ne se serait sans doute pas détaché de la Colombie s'il n'y avait été encouragé par la certitude de l'appui des États-Unis. Le 22 janvier 1903, les États-Unis avaient signé avec la Colombie le traité Hay-Herran relatif au canal de Panama 1. Ce traité leur concédait le droit de construire et d'exploiter le canal et leur donnait, en même temps, une zone neutre de six milles de largeur sur laquelle s'exercerait leur droit de police afin d'assurer la sécurité du canal. Le Sénat colombien ayant rejeté le traité, une révolution séparatiste éclata dans l'isthme. Le 3 novembre, l'indépendance de l'État de

1. Voir Viallate, Les États-Unis et le canal interocéanique, Revue générale de droit int. public, 1903, p. 62, et 1904, n° 4.

Panama était proclamée. Le 18 novembre, les États-Unis, dès le début favorables à la révolution, signaient avec le nouvel État un traité concernant le canal de Panama. Par ce traité, les États-Unis garantissent l'indépendance de la république de Panama. Ils obtiennent, en retour, à perpétuité, non seulement le droit de construire et d'exploiter le canal, mais encore l'usage, l'occupation et la domination d'une zone de dix milles de largeur, soit cinq milles de chaque côté du canal à construire; cette zone comprend les eaux territoriales de la mer des Caraïbes, d'un côté, de l'océan Pacifique, de l'autre, jusqu'à la distance de trois milles marins à partir de la laisse de basse mer, avec les îles qui s'y trouvent et de plus les quatre îles de Perico, Naes, Culebra et Flamingo dans la baie de Panama, mais les villes et les ports de Panama et de Colon en sont exclus. Sur cette zone ils exerceront « tous les droits, pouvoirs et autorité qu'ils seraient appelés à posséder et à exercer s'ils étaient souverains absolus de la région comprenant les territoires et les secteurs maritimes en question, et cela à l'entière exclusion, pour la république de Panama, de semblables droits souverains, pouvoirs et autorité ». Ils exerceront les mêmes droits sur les territoires et eaux en dehors de la zone qui seraient nécessaires ou utiles pour la construction, l'exploitation, la salubrité et la protection du canal et des ouvrages accessoires. Le canal et ses entrées seront neutres; les ports situés à ses extrémités seront des ports libres. Aucune taxe ne sera exigée des navires traversant le canal, en dehors des droits de passage perçus par les États-Unis 1.

A Panama et à Colon, les règlements sanitaires, édictés par les États-Unis, devront être observés, et l'ordre public devra être garanti. Les États-Unis y auront un droit subsidiaire de police pour le cas où la république de Panama n'assurerait pas, dans les deux villes, le respect de ces dispositions. Le nouvel État s'est ainsi placé sous le protectorat des États-Unis, en abandonnant, en fait, tous ses droits de souveraineté sur la zone du canal, et une partie de ses droits de souveraineté sur Colon et Panama.

CHARLES DUPUIS.

1. Voir Questions diplomatiques et coloniales, 1903, p. 847 et 848, et Sauvé, La séparation de Panama, ibid., p. 780 et suiv.

ANALYSES ET COMPTES RENDUS

I. L. Thouvenel. Pages de l'histoire du Second Empire, d'après les papiers de M. THOUVENEL, préface de M. ALBERT VANDAL. 1 vol. in-8, XIX et 463 p., Plon, éd., 1903. II. Comte de Reiset, Mes souvenirs. ***, L'unité de l'Italie et l'unité de l'Allemagne. 1 vol. in-8, 536 p., Plon, éd., 1903.

Ce sont ici d'importants documents pour l'histoire du second empire. Ils émanent de personnes qui ont connu le fin fond des choses. M. Thouvenel, ambassadeur à Athènes, Munich, Constantinople, directeur des Affaires. politiques et ministre des Affaires étrangères pendant deux ans, a participé jusqu'en 1862 à toutes les grandes négociations sur lesquelles il a eu parfois une influence décisive. Le comte de Reiset n'a pas joué un tel rôle, mais ministre plénipotentiaire auprès de divers souverains d'Italie et d'Allemagne, il a été sûrement renseigné sur les grandes affaires qui avaient leur contre-coup dans les petites cours où il exerçait. La situation de ces deux diplomates donne à leurs papiers une importance particulière : ils jettent un jour nouveau sur trois moments de l'histoire : les négociations qui ont mis fin à la guerre contre la Russie, la situation en Italie après la guerre de 1859, la mort du royaume de Hanovre.

M. Thouvenel arrivait à Constantinople au printemps de 1855, alors que la guerre de Crimée se traînait depuis un an et lassait déjà les belligérants qui cherchaient en vain une manière d'accommodement. On eut ce singulier spectacle de puissances en guerre négociant à titre officieux dans la capitale d'un état neutre mais qui risquait de prendre part à la lutte. Les conférences de Vienne présentaient à débattre des questions si épineuses, que le ministre du quai d'Orsay, M. Drouyn de Lhuys, accourt pour les discuter en personne. Il trouve une solution heureuse, il rentre tout fier de sa combinaison, et, à son retour, il apprend que le vent a tourné, que les idées de l'empereur ont changé et que tout ce qu'il a fait est à défaire : il ne lui reste qu'à donner sa démission.

L'intervention personnelle de Napoléon III, l'ingérence d'étrangers, docteurs ou amis, dans les affaires diplomatiques, ce fut là une cause des déceptions et des chutes de l'empire. Il faut le dire nettement, en montant sur le trône, Napoléon n'avait pas une connaissance suffisante des questions européennes. Il prétendait y introduire des idées humanitaires, qui n'y avaient rien à faire, et des souvenirs d'enfance qui n'étaient plus de mise. La guerre de Crimée fut un brillant fait d'armes, un titre de gloire, mais une folie : on ne dilapide pas les hommes en pareille quantité sans un but précis, et nous

n'avons rien retiré de la guerre de 1853-1855, que l'inimitié de la Russie en 1870. La guerre d'Italie fut de plus haute idée, elle allait contre les intérêts de la France, mais elle aurait pu nous créer une alliée étroite, si on avait été jusqu'au bout: l'empereur voulut faire tout ensemble de la politique italienne et de la politique papale, parce qu'il ne savait pas - ce que lui écrivaient tous ses agents que les Italiens ne s'arrêteraient qu'au jour où ils entreraient à Rome. Il ne croyait pas ses envoyés officiels, il envoyait pour les contrecarrer des agents officieux, et le comte de Reiset, qui lui est profondément dévoué, est contraint de reconnaître qu'il y a eu de la part de l'empereur faiblesse ou duplicité.

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Il en fut de même pour la question allemande. L'empereur était admirablement renseigné, Rothan, Reiset, Benedetti, le colonel Stoffel, le tenaient au courant des choses et des gens. Il préférait les renseignements de commisvoyageurs en diplomatie et, parfaitement documenté, préférait le doute, oreiller commode. Dès le mois d'avril 1866, M. de Reiset écrivait : « Nous voilà, de nouveau, bien à la guerre et, si vous le savez déjà, tenez pour certain, en dépit de toutes versions contraires, que l'accord a été conclu, depuis près d'un mois, entre Berlin et Florence. A moins d'un imprévu énorme, M. de Bismark va donc engager avec l'Autriche ce duel auquel il aspire depuis si longtemps. Perspicacité, sûreté de renseignements sont des qualités essentielles aux diplomates: on ne peut les contester ni à M. Thouvenel, ni à M. de Reiset.

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Leur reprochera-t-on d'avoir été, à l'excès, des diplomates « de tapis vert désireux surtout de trouver une solution habilement ficelée, dûment rédigée dans un protocole de style excellent, l'histoire contemporaine s'est fondée de ces solutions; le réveil des nationalités, la lutte pour la vie, l'intervention dans la politique du suffrage universel et de nouveaux moyens d'existence ont fait craquer ces formules étroites et ces formes surannées. Bismarck va brutalement son chemin; la Russie s'avance à renfort d'hommes et de millions; l'Angleterre prend son bien où elle le trouve; et les diplomates dernier style se préoccupent, se contentent d'être d'admirables rédacteurs. C'est comme le chant du cygne de l'ancienne diplomatie, remarque M. Vandal dans son excellente préface. Les survivants sont devenus amers; ils voient, comme de Reiset, la France marcher à la révolution sociale », ils déplorent les erreurs de ce temps ». N'en fut-il pas quelques-unes entre 1860 et 1870? Les bons livres politiques, comme ceux-ci, les indiquent et donnent les leçons qu'on en doit tirer.

PAUL MATTER.

A. Souchon, professeur à la Faculté de droit de Paris. Les Cartells de l'Agriculture en Allemagne. 1 vol. in-8, Paris, Armand Colin.

On s'est étonné bien des fois que l'agriculture, trop invétérée dans sa routine, n'ait pas suivi la même évolution que les autres branches de l'activité nationale et qu'elle n'ait pas adopté en particulier, pour la vente de ses produits, l'organisation commerciale qui lui manque et qui fait la force du commerce et de l'industrie. Adresser ce reproche à l'Agriculture, c'est

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