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Jetons maintenant un coup d'œil sur la Méditerranée où, jusqu'à nouvel ordre, la partie la plus considérable de nos forces navales. est concentrée.

Notre unique port militaire dans cette mer a été jusqu'à présent Toulon. Son très important arsenal est installé sur un pied assez grand pour suffire à la construction, aux réparations et au ravitaillement de toutes les forces navales que la France y entretient.

Ces forces sont constituées actuellement par :

1° une escadre active; 2° une division de réserve armée; 3° un certain nombre de bâtiments placés en réserve.

L'escadre active se compose de 6 cuirassés formés en deux divisions placées sous le commandement, l'une du vice-amiral commandant en chef l'escadre 1, l'autre sous celui d'un contre-amiral 2.

Les bâtiments qui composent les deux divisions ne sont que relativement homogènes; mais ils ont au moins une vitesse maxima commune qui approche de 18 nœuds.

A ce corps de bataille est jointe une division de croiseurs cuirassés et de croiseurs également placée sous les ordres d'un contreamiral 3.

L'escadre active est armée d'une façon permanente; ses effectifs sont au complet ou du moins devraient l'être. Ses approvisionnements de vivres, combustibles et munitions d'artillerie sont renouvelés exactement à mesure qu'ils s'épuisent. En un mot, cette force doit toujours être en état d'appareiller instantanément pour toute destination qu'il peut être nécessaire de lui donner, aussi bien pour aller combattre que pour faire acte de représentation nationale.

On conçoit l'intérêt qui s'attache à ce que cette disponibilité soit complète et aucune considération ne doit l'empêcher. Au jour d'un conflit qui peut éclater soudainement, quelques jours ou même quelques heures d'avance constitueront pour la flotte qui aura su les prendre un avantage qui équivaudra presque à un engagement heureux.

On sait que l'hiver dernier le ministre de la Marine avait cru devoir, par raison d'économie, réduire dans la proportion de 1/6

1. Actuellement : Vice-Amiral Gourdon.

2. Actuellement Contre-Amiral Barnaud.

3. Actuellement : Amiral Boutet.

Ces navires sont : Cuirassés: Saint-Louis, Charlemagne, Charles-Martel, Iéna, Bouvet, Jaureguiberry; Croiseurs cuirassés: Pothuau, Latouche-Tréville, Chanzy; Croiseurs protégés: Du Chayla, Galicée, Linois.

Un contre-torpilleur de modèle récent est attaché à chaque cuirassé.

environ les effectifs des bâtiments de l'escadre active, quitte à les compléter au moment de la mobilisation. Cette mesure, enlevait à cette force navale son immédiate disponibilité et la mettait en état d'infériorité manifeste en présence de ses adversaires éventuels qui maintiennent, eux, avec un soin minutieux, leurs effectifs au grand complet.

Aussi, la Commission du budget de 1903 jugea-t-elle que l'économie, d'ailleurs fort aléatoire et bien mince, réalisée par cette mesure ne pouvait entrer en ligne de compte avec les dangers qui pourraient en résulter; elle inscrivit au budget de la Marine la petite somme nécessaire pour reporter à leur chiffre normal les équipages de l'escadre de la Méditerranée.

Cette force constitue donc notre première ligne sur la frontière maritime. Composée plus ou moins fortement, mais existant depuis de longues années, toujours commandée par des chefs de haute valeur, elle a acquis un corps de doctrines maritimes, des traditions de belle tenue militaire, un entraînement enfin que des exercices constants et des manœuvres répétées où se manifeste le souci toujours en éveil de la préparation au combat, maintiennent aussi près que possible de la perfection.

Comme nous l'avons dit plus haut, Toulon pour le moment et, dans un avenir prochain, Bizerte possèdent et posséderont les vivres, le charbon, les munitions de toutes sortes, les ateliers nécessaires au ravitaillement, à l'entretien et aux réparations de cette escadre et de celles qui l'appuieraient en cas de guerre.

La division de réserve placée sous le commandement d'un contreamiral est composée de trois cuirassés et d'un contre-torpilleur, ses équipages comme ceux de notre escadre du Nord, sont pendant l'hiver, réduits au nombre d'hommes strictement nécessaire pour permettre les courtes sorties à la mer et l'exécution des exercices réguliers. Pendant la période d'été, où la division de réserve concourt aux grandes manœuvres avec l'escadre active, elle doit être à même de fournir les grandes vitesses et de naviguer longtemps. Ces effectifs sont alors relevés au chiffre normal fixé par les règlements.

En cas d'hostilités, le rôle de cette division consisterait à servir de noyau aux cuirassés et croiseurs qui, au nombre de cinq pour les premiers, six pour les seconds sont placés en réserve dans

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l'arsenal, sous un régime spécial qui, avec un très faible noyau d'équipage, permet de les entretenir en état de prendre la mer rapidement lorsque les hommes nécessaires leur auront été fournis par le jeu de la mobilisation.

Cette deuxième escadre composée d'unités possédant encore une grande valeur militaire entrerait en ligne fort peu de temps après le départ de l'escadre active et servirait soit à la renforcer, soit à opérer une diversion, soit enfin à la remplacer après les premiers combats qui ne manqueront pas, qu'ils aient été heureux ou non, de la laisser très affaiblie sinon complètement désemparée. Nous

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pourrions enfin mettre en ligne, en plus des deux escadres cidessus et si besoin en était, une troisième force composée navires que la déclaration de guerre aurait trouvés en transformation, en réparations importantes, ou en achèvement, et qu'on se hâterait évidemment de mettre en état de prendre la mer.

En plus des escadres cuirassées, nous disposerions en Méditerranée d'une force importante constituée par nos défenses mobiles dont les centres principaux sont constitués à Toulon, Ajaccio, Bizerte, Oran, avec centres secondaires à Port-Vendres, Bonifacio, Alger.

Ces défenses mobiles dont la coopération serait précieuse, tant pour appuyer les mouvements de notre flotte que pour déceler et gêner ceux de l'ennemi comptent actuellement 103 torpilleurs,

19 sous-marins et 4 avisos torpilleurs. Après de longs tâtonnements on est arrivé à former dans chacun des centres que nous venons d'énumérer, une ou plusieurs divisions dites de combat qui comptent les meilleurs et les plus récents torpilleurs qui peuvent donner de 24 à 26 nœuds. Pour ne pas user ces bâtiments par les sorties incessantes et les exercices variés que réclament impérieusement l'instruction et l'entraînement plus nécessaires pour les équipages de ces bâtiments que pour tous les autres, les torpillleurs des divisions de combat ne sortent que le nombre de fois strictement néces

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saire pour qu'on puisse être assuré que leurs machines et leurs organes très variés et très délicats sont toujours à même de donner toute leur puissance. Les exercices d'entrainement se pratiquent à bord de torpilleurs plus fatigués et de types moins récents, qui passeraient, en cas de guerre à la réserve pendant que leurs équipages iraient au feu sur les torpilleurs de combat.

La défense mobile de Bizerte a une importance particulière en raison de la grande valeur que possède ce point de la côte tunisienne au point de vue stratégique. Il est facile de se rendre compte, en effet, en jetant un coup d'œil sur la carte de cette partie de la Méditerranée qu'en cas de guerre avec l'Angleterre les torpilleurs de Bizerte rendront très dangereuse la route de Gibraltar au canal de Suez que nos ennemis éventuels tiennent avant tout à garder bre, car le canal qui s'étend entre le cap Bon et la Sicile n'a que 15 milles de largeur.

L'Angleterre pourrait, il est vrai, rétablir dans ce passage une

sécurité relative en y entretenant une division de croiseurs et de contre-torpilleurs ou en faisant passer ses cargo-boats en convois protégés, le jour seulement. Mais il faut compter sur les surprises qui seront nombreuses, et plus encore sur l'intervention des sousmarins dont la défense mobile de Bizerte doit être largement dotée 1.

Le commerce anglais trouvant barrée la route directe de Gibraltar à Port-Saïd essaiera en vain de se rejeter plus au Nord, le passage des Bouches de Bonifacio sera rendu plus périlleux encore par l'extinction des feux qui l'éclairent et par la présence des torpilleurs de Bonifacio.

Plus au Nord encore, il ne reste que la route du cap Corse qui fait passer presque en vue des côtes de France et qui constitue un détour singulièrement long et dangereux.

Les considérations que nous venons d'esquisser ne sont pas les seules qui militent en faveur de Bizerte. Notre flotte de la Méditerranée qui ne pouvait jusqu'à présent s'appuyer que sur Toulon, seul centre dans lequel elle était sûre de trouver tout ce qui est nécessaire à une force navale sur laquelle portera forcément tout le poids d'une guerre maritime, pourra dans un délai très court (un an ou deux) compter sur une seconde base placée de façon telle qu'on n'eût pu choisir une situation plus favorable.

Nous ne pouvons refaire ici l'historique de Bizerte nos lecteurs savent par quelle admirable manœuvre politique Jules Ferry sut acquérir à la France, ou du moins ouvrir à son activité, un grand pays qui fut autrefois le grenier de l'Empire romain et qui renferme cette magnifique position stratégique, cette rade qui pouvait, au moyen de travaux relativement peu considérables offrir l'abri le plus sûr aux plus grands paquebots, aussi bien qu'aux flottes militaires les plus importantes.

L'accès du lac est aujourd'hui défendu de façon à défier toute surprise. Une ville considérable se crée sur les bords du canal de 200 mètres de large qui relie le lac à la mer.

Les deux digues qui prolongent les bords de ce canal et une troisième qui couvre du côté du large l'espace que les deux premières

1. Les premières mesures se rapportant à cette décision viennent d'être prises. Les deux sous-marins Farfadet et Korrigan sont arrivés à Bizerte où ils seront prochainement rejoints par le Lutin.

2. Ces travaux ont été exécutés par la société Couvreux-Hersent sans aucun incident. Commencés en mai 1891 ils étaient terminés en juin 1895.

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