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laissent entre elles, forment une rade vaste et bien abritée où les vapeurs qui n'ont pas intérêt à pénétrer dans le lac trouvent les facilités pour procéder à leurs opérations.

Dans le goulet qui fait suite au canal, la station de torpilleurs et la petite division navale (un garde-côte et une canonnière cuirassée) chargée de la défense locale sont installées dans une baie dont le nom perpétue la mémoire de l'amiral Merleaux-Ponty créateur de l'arsenal de Bizerte, mort à la peine.

Après quelques hésitations, c'est à Sidi-Abdallah au fond du lac qu'a été fondé l'arsenal. Il sera achevé en 1909 mais, dès 1904, il pourra rendre de précieux services. Il contient deux formes de radoub, un dépôt de charbon, un atelier de pyrotechnie, des magasins de toutes sortes et des ateliers où pourront être effectuées des réparations importantes.

Comme nous l'avons dit plus haut, le lac de Bizerte avec sa défense mobile, ses défenses terrestres, sa division navale et son arsenal constituera sur la côte tunisienne un second Toulon admirablement placé en face du premier, où notre flotte trouvera tout ce qui lui sera nécessaire pour se ravitailler ou se réparer.

La division de garde-côtes cuirassés dont les allées et venues entre Toulon, Brest et Cherbourg ont été racontées plus haut, avait été, à un moment donné, concentrée à Bizerte. Outre l'appoint puissant qu'elle apportait à la défense générale, elle offrait à notre escadre, au cas où la lutte pour le commandement de la mer se serait engagée dans la partie sud de la Méditerranée, un renfort très appréciable et dont l'arrivée sur le champ de bataille aurait pu faire changer la défaite en victoire ou accroître singulièrement les résultats de celle-ci.

On a renoncé à cette conception, et aujourd'hui aucune force, à l'exception des torpilleurs et des sous-marins, ne sortirait du lac pour protéger la retraite de notre escadre ou poursuivre l'ennemi vaincu ou désemparé. Il semblerait cependant désirable d'affecter à ce service tout au moins nos plus vieux garde-côtes du type Indomptable. Par suite de la réfection qu'ils ont subie, et grâce à leur grosse artillerie et leur épaisse cuirasse, ils constituent une force imposante pour encore longtemps.

Après Bizerte, qui sera bientôt un arsenal maritime, la France ne possède en Méditerranée que des ports à demi ou point fortifiés où ses escadres trouveraient seulement du charbon, des vivres frais

et des ressources industrielles. Ces points de ravitaillement sont : Marseille, Alger, Ajaccio, Oran, Villefranche, où des défenses assez sérieuses consistant en batteries disséminées permettraient à une force navale de refaire le plein de ses soutes dans une sécurité relative à condition de se garantir contre les attaques nocturnes des torpilleurs que les dispositions de ces rades, en général assez ouvertes, rendent redoutables.

Nous ne pouvons terminer cet exposé de la situation maritime de la France en Méditerranée sans dire un mot de la coopération possible de l'escadre du Nord avec celle de la Méditerranée.

La réunion de ces deux forces est, croyons-nous, escomptée dans les plans élaborés rue Royale pour la plupart des cas de guerre envisagés. Elle se produirait sans incident probable si nous avions pour adversaires l'Italie, l'Espagne ou l'Autriche.

Il n'en serait pas de même si nous avions affaire à l'Angleterre. Les dispositions de l'Amirauté semblent prises pour empêcher cette jonction qui apporterait à notre escadre du Midi un appoint sérieux. La «< Channel squadron », très supérieure à notre escadre du Nord a la mission de s'y opposer. A la moindre alerte politique, celle-ci quitte les côtes anglaises et file à toute vapeur sur Gibraltar1. Elle s'y embusque et barre le passage qui ne peut désormais être franchi sans un combat dont l'Angleterre considère que l'issue serait en sa faveur.

L'ANGLETERRE.

Depuis que l'Angleterre est maîtresse des Indes, son commerce s'est orienté vers l'est avec une intensité toujours croissante. Aussi la préoccupation de tenir ouverte la route de son Empire Hindou est assurément une de celles qui dominent la politique anglaise et qui orienteraient tous ses efforts en cas de guerre. Or, la route des Indes, depuis que le canal de Suez est ouvert, passe par la Méditerranée et la solution du problème y apparaît particulièrement délicate. En effet, quelle que soit celle des nations méditerranéennes avec laquelle l'Angleterre se trouvera en hostilités, c'est toujours sur le flanc de cette longue route de 1,800 milles que les attaques se produiront. Ceci constitue pour elle un fait des plus fâcheux. Le

1. Cette manoeuvre fut exécutée notamment au moment des événements de Fachoda.

danger est particulièrement grave si la France est en jeu parce que le territoire français proprement dit ou celui de l'Algérie et de la Tunisie bordent la route en question sur une longueur plus considérable que pour aucune des autres nations, puis aussi parce qu'une partie importante de nos forces navales est répartie comme nous l'avons vu en des points d'où elles menacent directement cette route. Pour parer à ce danger dont elle ne peut supporter l'idée, l'Angleterre ne veut rien ménager, elle entend que là, plus qu'ailleurs encore, sa prédominance sur la mer soit indiscutable. Elle obtiendra pense-t-elle, et maintiendra cette suprématie en portant aux forces de son ennemie, dès les premiers jours des hostilités, des coups de massue qui l'anéantiront et laisseront la mer ouverte à ses propres vapeurs.

Son commerce pourra alors continuer sans entrave à lui verser ces grains, ces matières premières dont elle a un besoin si impérieux qu'elle ne peut en manquer sans périr 1.

Une fois les escadres ennemies anéanties ou réduites à l'impuissance, un blocus serré des ports de Toulon, et de Bizerte, suffira, pense-t-elle, à prévenir tout acte d'hostilité, et les communications maritimes seront assurées.

Peut-être les choses ne se passeraient-elles pas aussi simplement : A supposer que nos escadres soient mises sous le boisseau avec une si grande facilité, ce qu'aucun marin ne saurait admettre, un blocus, si serré soit-il, peut toujours se forcer et quelques croiseurs trompant la surveillance pourraient encore porter le trouble dans les communications et provoquer une panique dans le commerce anglais.

Les torpilleurs et les sous-marins contribueraient à rendre ardue la tâche des bloqueurs. La question est de savoir si ce trouble dure

1. On sait en effet que l'Angleterre ne peut trouver en elle-même qu'une infime partie des substances de toutes sortes qui sont nécessaires à son alimentation, et que ces substances, dont elle ne peut d'ailleurs constituer des approvisionnements suffisants, lui sont apportées régulièrement de toutes les parties du monde par son immense flotte de commerce. La préoccupation d'assurer l'arrivée de ces substances est si vive dans tous les esprits anglais qu'un comité parlementaire où siègent les personnalités les plus éminentes, a été formé récemment pour étudier les moyens d'assurer la vie de l'Angleterre en cas de guerre.

2. Ce fait, qui est hors de conteste, a été une fois de plus démontré d'une façon retentissante aux grandes manoeuvres que la flotte anglaise a exécutées en Méditerranée dans l'été de 1902. Une division cuirassée tout entière bloquée dans le port d'Argostoli, réussit à tromper, sans grande peine, la vigilance de Fescadre bloquante et sortit de la rade en groupe compact, les feux de route

allumés.

rait bien longtemps après la conquête de la maîtrise de la mer. Cette question est encore controversée en France et même quelque peu en Angleterre; mais cependant, dans ce dernier pays, on admet généralement que ce trouble serait de courte durée.

Quoi qu'il en soit, le plan de guerre adopté par l'Angleterre dans la Méditerranée semble ressortir nettement, dans ses grandes. lignes de la situation des forces qu'elle entretient dans cette mer.

Son escadre de la Méditerranée comprend toujours ses plus puissantes unités cuirassées des types les plus récents. Actuellement cette escadre compte ou va compter 14 cuirassés dont trois du type Duncan de 14,000 tonnes et 19",5, six du type Formidable de 15,000 tonnes et 18o,2, deux de 15,000 tonnes et 18" du type Majestic, trois de 14,200 tonnes et 18" du type Royal Sovereign.

Le service d'informations et l'éclairage de cet imposant corps de bataille est assuré par 2 croiseurs cuirassés, 9 croiseurs protégés, 10 canonnières et avisos torpilleurs, 28 contre-torpilleurs dont le rôle très défini consisterait pendant les hostilités à former le blocus de nos ports en en gardant les abords immédiats où leurs petites dimensions et leur mobilité les mettraient à l'abri de l'artillerie des forts et batteries. Ils auraient également à empêcher la sortie des torpilleurs qui tenteraient d'aller attaquer les croiseurs ennemis placés en seconde ligne ou mieux encore les cuirassés qui formeraient la troisième.

Cette flotte importante est placée sous le commandement d'un vice-amiral, secondé par un seul contre-amiral. Pour un même nombre d'unités nous aurions au moins cinq officiers généraux, notre tactique navale étant basée sur l'emploi de divisions cuirassées ne comprenant que trois bâtiments et commandées par un contre-amiral.

Comme nous l'avons dit plus haut, l'escadre de la Manche (Channel squadron) opérerait en Méditerranée nous devons par suite donner ici sa composition : 6 cuirassés, 2 croiseurs cuirassés, 4 croiseurs cuirassés, 4 croiseurs protégés. Une puissante division de croiseurs cuirassés constituée récemment et dont le rôle n'est pas bien connu viendrait peut-être également renforcer l'escadre anglaise de la Méditerranée.

Les postes de combat, ou pour mieux dire, les postes d'attente assignés aux forces navales anglaises dans les premières heures d'un conflit avec la France sont connus. L'escadre permanente qui séjourne à Malte viendrait s'établir sur la côte nord-ouest de Sar

daigne. Elle détacherait immédiatement quelques-uns de ses croiseurs et ses destroyers devant Toulon pour y établir une ligne de surveillance étroite qui lui permettrait de se porter à la rencontre de notre escadre dès que celle-ci prendrait la mer, et de tenter de la détruire en un seul combat en l'écrasant de sa force bien supérieure.

L'escadre de la Manche, accourue, comme nous l'avons dit, dès que les nuages menaçants se seraient montrés à l'horizon politique, stationnerait à Port-Mahon ou à Gibraltar, se tiendrait par la télégraphie sans fil, au moyen de croiseurs échelonnés, en communication constante avec le commandant en chef, toujours prête à se porter partout où sa présence serait nécessaire.

Afin de pourvoir aux besoins de la flotte militaire imposante qu'elle entretient et qui doublerait presque en cas de guerre, aussi bien que pour fournir des asiles à ses innombrables cargo-boats, l'Angleterre s'est appliquée à posséder en Méditerranée des points judicieusement choisis où elle peut, sans être embarrassée par des préoccupations d'ordre territorial, concentrer toutes les ressources nécessaires.

Ces bases navales sont Gibraltar et Malte, qui lui appartiennent, Gibraltar depuis 1704, Malte depuis 1800.

Gibraltar est ce roc sourcilleux qui termine si bizarrement le continent européen au point où la Méditerranée communique avec l'Océan par un canal de 10 milles de largeur et 30 milles de longueur.

1

Son éloignement de toutes terres, son escarpement, la facilité de creuser dans son roc des galeries où canons et magasins se trouvaient à l'abri derrière une cuirasse de rocher, tout contribuait jusqu'à ces dernières années à faire de Gibraltar une forteresse inexpugnable.

Jusqu'en 1895, la rade de Gibraltar resta ouverte et les bâtiments mouillés devant l'arsenal ne trouvaient à s'abriter que derrière des embryons de môles. A ce moment l'amirauté décida de créer un véritable port fermé par des jetées où les opérations de ravitaillement de ses escadres pourraient se faire avec toute la célérité 1. 1 mille marin = 1,852 mètres.

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