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LETTRE

SUR LE VOTE CONTRE LA CONSTITUTION

5 novembre 1848.

La Constitution républicaine fut votée le 4 novembre 1848. Trente membres seulement se prononcèrent contre l'ensemble du projet. M. de Montalembert était de ce nombre. A la suite de ce vote, il adressa au rédacteur en chef du Moniteur la lettre suivante :

Monsieur le Rédacteur,

Plusieurs membres de la faible minorité qui a repoussé hier l'ensemble de la Constitution, et dont j'ai fait partie, vous ayant adressé des explications sur leur vote, je vous demande la permission d'y ajouter les miennes.

Je suis convaincu qu'il ne saurait y avoir ni stabilité pour les pouvoirs publics, ni indépendance pour les simples citoyens, sous un gouvernement où l'omnipotence législative est concentrée dans une assemblée unique.

Je suis également convaincu que le suffrage universel ne saurait être sincère ou efficace si le vote a lieu au chef-lieu de canton, et s'il est accordé ainsi une prépondérance inique et dangereuse aux populations des villes sur les habitants des campagnes.

Je n'ai pas voulu prendre sur moi, par un vote affirmatif, la responsabilité du grand acte qui consacre ces deux erreurs capitales.

Je me suis trompé, sans doute, puisque la plupart des hommes éminents dont j'avais partagé l'avis sur ces deux questions ont voté pour l'ensemble de la Constitution. Mais

ma conscience ne m'a pas permis de suivre leur exemple. J'aurais cru manquer à la confiance de mes commettants, qui m'ont chargé de leur donner, non pas une constitution quelconque, mais la meilleure possible.

Agréez, etc.

CH. DE MONTALEMBEBT,
Représentant du Doubs.

(Extrait du Moniteur du 6 novembre 1848.)

EXPÉDITION DE ROME

ASSEMBLEE NATIONALE.

Interpellations sur les affaires de Rome.

Séance du 30 novembre 1848.

Le 18 novembre 1848, M. Rossi, ancien pair de France, ancien ambassadeur du roi Louis-Philippe à Rome, et alors premier ministre de Pie IX, fut assassiné au moment où il entrait au palais de la Cancellaria pour assister à la première séance de la Chambre des députés romains. Le lendemain le Pape fut assiégé dans son palais et forcé de prendre la fuite; Rome resta livrée, sans défense, à une bande de révolutionnaires étrangers.

Aux premières nouvelles de ces douloureux événements, le général Cavaignac, chef du pouvoir exécutif, chargea M. de Corcelles, représentant du peuple, d'une mission diplomatique à Rome, et fit embarquer pour Civita-Vecchia 3,500 hommes, commandés par le général Mollière. Les amis du général Cavaignac sollicitèrent et obtinrent le privilége d'adresser les premiers des interpellations sur le caractère et l'objet de ces mesures. Dans la séance du 28 novembre, M. Bixio posa la question comme une question purement italienne. Suivant lui, le nœud de cette question était à Milan; il s'agissait de secourir à la fois la Lombardie et la papauté. La discussion ayant été remise au surlendemain, M. Ledru-Rollin l'ouvrit en contestant la légalité et l'opportunité de la mesure et en refusant d'y voir autre chose qu'une manœuvre électorale, en vue de l'élection à la Présidence de la République, qui devait avoir lieu le 10 décembre, et où les candidatures du général Cavaignac et du

prince Louis Bonaparte étaient en présence. M. de Montalembert prit la parole après lui, avec l'intention de restituer à l'expédition son véritable caractère.

Messieurs, je n'ai pas besoin de dire, je pense, que je viens me placer à un point de vue tout différent de celui de l'honorable préopinant '. Je ne viens pas non plus défendre le Gouvernement; il doit savoir et pouvoir se défendre tout seul; mais je viens le louer de ce qu'il a fait, et en même temps je viens exposer la portée que je donne dans ma pensée à son action et à ses intentions.

Je comptais, l'autre jour, quand j'ai été prévenu par mon honorable collègue M. Bixio, provoquer et solliciter cette action. Je dois aujourd'hui remercier le Gouvernement de son initiative, et remercier aussi l'Assemblée de l'accueil énergique et sympathique que cette initiative a trouvé dans son sein. Toutefois, je dois et je veux m'abstenir de juger ou de qualifier les moyens d'exécution. Je veux surtout séparer complétement la question romaine, la question papale de la question italienne. C'est en cela que je ne saurais être d'accord avec l'auteur des interpellations d'avant-hier, qui a dit que le nœud de la question était à Milan, et c'est évidemment à ce point de vue que vient de se placer l'honorable M. Ledru-Rollin. Non, Messieurs, le nœud de la question n'est point à Milan, le nœud de cette question est à Rome. S'il s'agissait de traiter la question italienne en général, à coup sûr j'aurais aussi beaucoup à dire. Je m'associerais, par exemple, à tous les voeux qui s'élèveraient en faveur de cette généreuse république de Venise, qui tend à se régénérer par son courage et ses sacrifices. J'aurais à flétrir ces exécutions, ces confiscations, ces spoliations odieuses que le maré

'M. Ledru-Rollin,

chal Radetski fait peser aujourd'hui sur la Lombardie (Trèsbien!), et je le ferais avec d'autant plus d'énergie que j'ai flétri naguère, dans une autre enceinte, des spoliations absolument analogues qu'on a fait peser dans un autre pays, dans un pays voisin, en Suisse, sur un autre parti, et qu'on y fait peser encore aujourd'hui; car je n'aurai jamais deux poids et deux mesures... (Assentiment marqué sur plusieurs bancs. Réclamations à l'extrême gauche.)

PLUSIEURS MEMBRES. C'est absolument la même chose! c'est très-vrai!

M. DE MONTALEMBERT. Je le répète, je n'aurai jamais, quant à moi, je l'espère du moins, ni deux poids ni deux mesures. Mais, encore une fois, la question n'est pas italienne, et l'honorable M. Bixio l'a senti lui-même, lorsqu'il vous a dit que la papauté n'était pas une institution italienne, mais une institution de droit public et religieux dont le maintien se lie au maintien de l'équilibre et des croyances de l'Occident.

Ainsi donc, en restreignant la question, en la circonscrivant dans ces bornes, je ne crois pas la rétrécir, je l'élève, au contraire, je lui donne sa véritable hauteur, sa véritable portée. J'en fais une question qui n'est ni italienne, ni française, ni même européenne, mais qui est, je ne peux pas me servir d'une autre expression, une question catholique, c'està-dire la question la plus vaste et la plus haute qu'il soit possible de poser. Il ne s'agit pas d'une souveraineté ordinaire; il ne s'agit pas d'un État ordinaire; il s'agit de celui qui est le souverain spirituel de 200 millions d'hommes, et de l'État qui est le centre de cette souveraineté; il s'agit de la liberté même de l'idée catholique. Eh bien, je dis que c'est un immense honneur et un immense bonheur pour la République française que d'avoir pu inaugurer en quelque sorte son action dans le monde politique, dans les affaires étran

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