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blique, qui pourrait à bon droit effaroucher les partisans de la liberté, si les exigences de l'ordre public et de la sécurité sociale n'en faisaient peut-être une condition de vie et de succès pour l'émancipation et le développement de l'éducation religieuse, surtout dans les circonstances critiques où nous sommes. Il ne s'agit donc plus d'une lutte entre l'Église et l'État, entre l'enseignement libre et l'enseignement officiel : il s'agit d'unir ces deux forces contre l'ennemi commun, contre les doctrines anarchiques qui menacent le pays, en un mot, contre le socialisme.

Sans vouloir examiner, quant à présent, jusqu'à quel point le socialisme peut être regardé comme le résultat logique de l'enseignement public tel qu'il existe en France depuis quarante ans, il y a un fait incontestable et incontesté c'est que les instituteurs primaires, tels que la loi de 1833 les a organisés et institués, sont aujourd'hui les prédicateurs les plus actifs des utopies socialistes et des agitations anarchiques, et que, grâce à eux, la contagion a passé des villes aux campagnes qu'elle infecte de plus en plus. La loi de 1833, en créant des instituteurs inamovibles dès l'âge de dix-huit ans, en présence du curé et du maire amovibles, a commis un véritable attentat contre l'ordre social et le bon sens. Armés de cette prérogative inouïe, et sans cesse stimulés par des excitations parties de haut, depuis les circulaires de M. Guizot, en 1833, jusqu'à celles de M. Carnot en 1848, ces jeunes gens sont naturellement regardés comme les premiers magistrats de la commune, et, après avoir été salués comme les pontifes de la civilisation et du rationalisme, ils se sont érigés en apôtres du socialisme.

Tout le corps des instituteurs primaires est loin d'avoir trempé dans cette coupable folie. On peut croire que la majorité des instituteurs se compose encore d'hommes labo

rieux, modestes et dévoués à leurs devoirs. Mais cette majorité se laisse dominer et représenter par une minorité, composée surtout des plus jeunes, de ceux formés dans les écoles normales, qui se croient appelés à régenter et à réformer la société, et qui préludent à cette mission par le rôle qu'ils s'arrogent dans la presse et dans la propagande électorale.

Le projet de loi oppose à ce fléau l'amovibilité de tous les instituteurs communaux. Il encourage par la liberté, et sans aucun privilége, le développement des associations religieuses vouées à l'enseignement et reconnues par l'État, où l'esprit de sacrifice et l'esprit de discipline viennent tempérer les dangers et surmonter les difficultés de la carrière si laborieuse et si délicate des éducateurs du peuple.

Il substitue ensuite, pour la surveillance et la direction de l'instruction primaire, à trois rouages administratifs dont l'impuissance est démontrée, aux comités locaux, aux comités d'arrondissement et aux académies actuelles, il substitue trois nouvelles institutions qui ont paru concilier les garanties exigées par la liberté avec l'intervention efficace de pouvoirs sociaux; ce sont :

1° La surveillance individuelle et directe des maires et des curés sur les écoles communales.

2o Un conseil académique présidé par un recteur, dans chaque département, où l'autorité universitaire, chargée de surveiller l'enseignement libre et de diriger l'enseignement officiel, n'agira qu'avec le triple concours des grandes forces sociales, savoir de l'administration, de l'Église et du suffrage universel, représentées par le préfet, l'évèque et quatre membres du conseil général.

3o Enfin un conseil supérieur de l'instruction publique, où l'ancien conseil de l'Université, transformé en section permanente et inamovible, et chargé spécialement du gou

vernement des établissements de l'État, serait renforcé et contenu, pour toutes les matières qui touchent à la liberté et aux intérêts généraux de la société, par des membres de l'épiscopat, de l'Institut et de la cour de cassation choisis par leurs collègues.

On a pu s'effrayer de la création de quatre-vingt-six recteurs au lieu de vingt qui existent actuellement; mais un examen attentif fera voir que cette combinaison est encore la plus simple qu'on ait pu concevoir. C'est d'ailleurs une concession faite à l'intérêt universitaire. On peut, si l'on veut, remplacer le recteur par un inspecteur et donner la présidence du conseil académique au préfet. L'essentiel est d'avoir, non pas un recteur, mais un conseil académique ou d'éducation publique dans chaque département.

La loi écarte la gratuité et l'obligation de l'instruction primaire, comme incompatibles, l'une avec l'état de nos finances, l'autre avec nos mœurs, et toutes les deux comme diamétralement opposées à l'esprit de famille et à l'esprit de liberté.

En ce qui touche à l'enseignement secondaire, le projet accorde à la liberté ce qui en fait l'essence : l'abolition de toute autorisation préalable, de tout certificat d'études, etc. En revanche, et à la différence de ce qui se passe en Belgique et dans les autres pays de libre enseignement, il laisse aux Facultés de l'État la collation exclusive des grades. Il confie également aux fonctionnaires de l'Université les deux tiers des places d'inspecteurs chargés d'exercer la surveillance de l'État sur les établissements libres.

Pour les deux enseignements primaire et secondaire, les conditions de moralité et de capacité different peu de celles qui ont été indiquées dans les projets déjà soumis à l'Assemblée. Toutefois on y ajoute celle du stage, dans des établissements déjà reconnus, comme la plus satisfaisante des condi

tions et celle qui garantit le mieux la vocation et le sens pratique de l'instituteur.

Le projet ne change rien au régime des établissements de l'État; il n'a pas voulu, comme l'un des projets rapportés à l'Assemblée précédente, constituer l'Université dotée par l'État, et dont l'État est responsable, à l'état d'église laïque, ou de corporation se recrutant et se gouvernant elle-même presque entièrement à l'abri des pouvoirs politiques.

En résumé, le projet doit apporter des remèdes efficaces et indispensables à l'état actuel de l'instruction publique en France, en déplaçant l'autorité et en transformant les fonctions dont on abuse, comme en détruisant la plupart des entraves qui s'opposent au libre développement de l'éducation religieuse.

A ceux qui croient que l'état actuel est satisfaisant, à ceux qui en nient les résultats désastreux pour la famille, pour l'ordre et pour la société, il doit nécessairement déplaire.

D'un autre côté, il ne donne pas satisfaction à ceux qui ne prennent pour guides que les principes et les théories, et qui refusent de tenir compte des faits, des intérêts, des préjugés même dans le gouvernement des choses humaines. Mais, amélioré comme il le sera sans doute par la discussion, il peut et doit réunir les suffrages des hommes sages, modérés, vraiment libéraux, vraiment patriotes et vraiment religieux.

Il en a été ainsi, au commencement de ce siècle, d'un acte analogue, dans une sphère plus élevée et plus difficile encore ; il en a été ainsi du Concordat. Puisse-t-il en être de même pour cette loi, qui sera alors le concordat de l'enseignement.

M. de Montalembert fut élu par le neuvième bureau membre de la commission chargée d'examiner le projet de loi, qui ne fut discuté qu'en janvier 1850.

ASSISTANCE PUBLIQUE

Discussion dans les bureaux.

(12 juillet 1849.)

L'Assemblée avait adopté à l'unanimité dans la séance du 9 juillet 1849 une proposition de M. de Melun ainsi conçue:

« L'Assemblée nommera dans ses bureaux une commission de trente membres pour préparer et examiner les lois relatives à la prévoyance et à l'assistance publique. »

M. Victor Hugo avait à cette occasion prononcé un discours dans lequel il attribuait à la société le devoir de détruire la misère, et de substituer à l'aumône qui dégrade l'assistance qui fortifie.

L'Assemblée se réunit dans ses bureaux le 12 juillet pour nommer la commission d'assistance publique. Dans le compte rendu donné par les journaux de cette discussion préparatoire, on trouve ce qui suit :

M. de Montalembert dit que la discussion récente, soulevée dans l'Assemblée par le discours de M. Victor Hugo, indique suffisamment les dangers de la voie où l'on veut nous engager. Il y a un parti pour qui l'article 13 de la Constitution' n'est qu'une batterie élevée contre la société. On sait que

'Cet article était ainsi conçu : « La Constitution garantit aux citoyens la fiberté du travail et de l'industrie La société favorise et encourage le développement du travail par l'enseignement primaire gratuit, l'éducation professionnelle, l'égalité des rapports entre le patron et l'ouvrier, les institutions de prévoyance et de crédit, les institutions agricoles, les associations

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