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DISCUSSION DES ARTICLES

DE LA

LOI SUR LA LIBERTÉ DE L'ENSEIGNEMENT

ASSEMBLÉE NATIONALE LÉGISLATIVE

(Séance du 4 février 1850.)

La seconde délibération, qui, d'après le règlement, devait porter uniquement sur la discussion des articles, s'ouvrit le 4 février 1850. Dans la séance du 6 février, un représentant de la Montagne, M. Richardet, proposa un contre-projet dont l'article était ainsi conçu :

< L'enseignement est complètement libre.→

En développant son amendement, il attaqua avec une grande violence les nobles et les prêtres qui avaient, en 1793, allumé

les torches de la guerre civile, » il glorifia ceux que M. de Montalembert avait qualifiés de scélérats grandioses, et, s'adressant directement à ce dernier, il lui reprocha de renier son passé en acceptant une transaction, après avoir toute sa vie demandé la liberté absolue de l'enseignement.

M. de Montalembert se leva au banc de la commission dont il faisait partie, et répondit ainsi à l'orateur :

« Je n'ai qu'un mot à dire, et ce mot suffira pour expliquer la " prétendue contradiction qu'on nous reproche. Dans la discussion de la Constitution, j'ai proposé à l'Assemblée constituante d'inscrire, non la liberté absolue de l'enseignement, mais le droit « d'enseigner soumis aux précautions ordinaires, parmi les droits généraux des Français énumérés dans l'article 8 de la Constitution. 25

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Œuvres III.

Discours 111.

« L'Assemblée constituante n'a pas accueilli cette proposition. La « Constitution, tout au contraire, n'a accordé la liberté d'enseigne«ment qu'avec des conditions spéciales de capacité et de moralité « fixées par la loi. Et c'est pour lui obéir que nous avons dû pré«parer la loi qui vous est soumise. »>

(Extrait du Moniteur du 7 février 1850.)

L'amendement de M. Richardet fut rejeté à la presque unanimité.

Dans la séance du 11 février, la discussion porta sur l'article 5, relatif aux attributions du conseil supérieur. M. Jules Favre prononça à cette occasion un discours dont un passage, qui donna lieu à un dialogue entre lui et M. de Montalembert, est reproduit en ces termes par le Moniteur.

« M. Jules Favre. ... Vous vous souvenez, Messieurs, de la discussion de 1844 devant la Chambre des pairs; là, il ne s'agissait pas d'établir dans le sein du conseil universitaire supérieur des forces opposées et qui doivent nécessairement se combattre; non, on voulait seulement fortifier l'Université, on voulait lui donner plus de consistance, on voulait que les études fussent plus solides, on voulait que l'intelligence générale de la nation fût entraînée dans un courant plus lumineux, et alors, Messieurs, quel était le langage de l'honorable M. de Montalembert? M. de Montalembert montait à la tribune de la Chambre des Pairs, et, dans un discours que je voudrais vous relire, car il n'y a pas une phrase, pas un paragraphe, pas une ligne qui ne soit en contradiction avec ce qu'il a dit à cette tribune....

M. de Montalembert. Relisez-le !

M. Jules Favre. Dans ce discours, il invoquait la liberté comme le seul moyen de sauver l'enseignement public de l'anarchie et du scepticisme. Et quand M. de Montalembert a dit à cette tribune: «La France s'en va, » quand il a fait entendre cette prophétie de malheur, l'honorable M. de Montalembert s'est trompé. Non, la France ne s'en va pas; non, elle est debout, elle est vivante, elle croit, elle espère; elle espère en un meilleur avenir; elle espère, grâce au suffrage universel qui, comme les racines, fait baigner les pouvoirs publics dans les profondeurs de la nation, arriver pacifiquement à la réalisation de ses destinées, à l'accomplissement sur la

terre des vérités évangéliques. Ce n'est donc pas la France qui s'en va; ce qui s'en va, c'est le régime que vous avez soutenu; ce qui s'en va, c'est l'honorable M. de Montalembert lui-même. (Rires et applaudissements à gauche.)

M. de Ségur d'Aguesseau. Ce sont les républicains de la veille qui s'en vont.

Un membre à droite. Et sont déjà partis! (Bruits divers.)

M. Jules Favre. Que dis-je! M. de Montalembert s'en est allé; il est passé à l'état historique. Et, en effet, qu'est-ce qu'un homme politique? Est-ce que c'est un homme qui charme? Est-ce que c'est un homme qui a de l'éloquence? Est-ce que c'est un homme qui fait seulement vibrer les cœurs et qui conquiert des succès ? Pas du tout. L'homme politique, c'est celui qui persévère dans l'unité de ses vues. (Hilarité bruyante et prolongée à droite.) Voix diverses. Vous! vous! par exemple! parler! (Agitation.)

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C'est à vous d'en

M. de Montalembert. Relisez mon discours de 1844, et trouvez-y une parole contraire à la loi actuelle.

M. Jules Favre, Je comprends la valeur de cette interruption, et voici comment je réponds: A Dieu ne plaise que j'introduise ici ma personnalité, et que je la mette en jeu. (Nouveaux rires à droite.) M. de Montalembert. Je n'ai pas parlé de la vôtre ; j'ai parlé de la mienne, que vous mettez en jeu.

Un membre. C'est aux rires de l'Assemblée que M. Jules Favre répond.

M. Jules Favre. Il est facile de rire, il est plus difficile de s'expliquer et de prouver qu'on a ri juste.

Quelques membres à droite. Du tout !

M. Jules Favre. Je porte ici le défi le plus solennel à qui que ce soit de prouver que j'aie jamais varié sur mes opinions politiques, je le porte! (Exclamations à droite.) Maintenant si on ne relève pas le gant, les rieurs ne seront pas de ce côté. (La droite.)

Un membre. Vous avez toujours changé !

M. le Président. Il ne s'agit pas des personnes, il s'agit de l'article. M. de Montalembert. L'orateur n'a pas le droit d'attaquer ma personnalité sans que je puisse lui répondre.

M. Jules Favre. Que disait M. de Montalembert? « Nous sommes les fils des croisés, et jamais nous ne donnerons la main aux fils de

Voltaire. »

M. de Montalembert. Jamais je n'ai dit cela! J'ai dit : Nous ne reculerons pas devant les fils de Voltaire.

M. Jules Favre. M. de Montalembert est tombé dans les bras des fils de Voltaire.

M. de Montalembert. Ce n'est pas cela! Encore une fois, j'ai dit : « Nous ne reculerons pas devant les fils de Voltaire. » Et nous n'avons pas reculé.

Voix à droite. Très-bien! c'est vrai!

M. Jules Favre. Je ne puis pas lire le discours de M. de Montalembert tout entier...

M. de Montalembert. Lisez la phrase sur les fils de Voltaire.

M. Jules Favre. L'Assemblée y trouverait sans doute un grand charme, mais évidemment cela me conduirait trop loin. Voici ce que disait M. de Montalembert dans son discours de 1844; je vous prie de l'écouter : « Oui, le clergé sent profondément que la liberté « seule, le droit commun à tous les citoyens, peut maintenir sa « juste influence sur la portion de la société qui obéit encore à la <«foi chrétienne. >>

M. de Montalembert. Je le dis encore !

M. Jules Favre. « On l'a convié longtemps à comprendre et à reven« diquer cette liberté, on l'en a défié même; on voit maintenant « comment il a répondu au défi.

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Et puis s'expliquant sur le conseil de l'Université, remplacé par le conseil supérieur, sur ceux qui l'avaient attaqué et qui y étaient ensuite entrés, M. de Montalembert dit :

« Quant aux autres écrivains (il s'agissait des écrivains du Globe), « c'est autre chose; ils deviennent membres du conseil du mono

« pole!... "

M. de Montalembert. Oui, c'est cela : du monopole !

M. Jules Favre. «... Et en cette qualité, ils refusent de toutes leurs « forces le don de cette liberté, de cette concurrence à laquelle ils « nous défiaient jadis. »

M. de Montalembert. Alors c'était le monopole, maintenant c'est la liberté. Nous entrons dans les conseils de la liberté.

M. Jules Favre. Vous le voyez, M. de Montalembert, au nom de la liberté, repoussait...

M. de Montalembert. Lisez donc la phrase sur les fils de Voltaire que vous avez tronquée tout à l'heure. (Bruit.)

Voir à gauche. N'interrompez pas !

M. Jules Favre. M. de Montalembert dit que j'ai tronqué ce qu'il a dit; que M. de Montalembert ait la bonté d'envoyer chercher le Moniteur, et nous verrons de quel côté est le reproche fondé 1.

Voir au tome II, pages 401 et 450, les passages cités par M. Jules Favre.

Je disais donc que c'était dans les leçons même de mes adversaires, dans les doctrines qu'ils avaient professées, dans les vérités qu'ils considéraient alors comme étant hors de toute discussion, que j'avais trouvé la justification de mon opinion, à savoir, que la conciliation entre ce qu'on appelait alors le scepticisme, l'incrédulité et la religion, entre l'Université qui, au dire de M. de Montalembert, ne pouvait pas donner un chrétien sur dix, et la religion, la foi, la catholicité, toute espèce de transaction dans un conseil supérieur sur les matières spéciales dont s'occupe l'article 5 est complétement impossible... >>

(Extrait du Moniteur du 12 février 1850.)

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