Page images
PDF
EPUB

exclusive de l'État l'intervention de toutes les forces sociales dans le gouvernement de l'enseignement public. Mais en ce qui touche spécialement aux petits séminaires, vous avez oublié, Monsieur, que la surveillance de l'Etat était prescrite, non par la loi de 1850, mais par la Constitution de 1848, dont l'article 9 était ainsi conçu : « L'enseignement est libre: la liberté d'ensei«gnement s'exerce selon les conditions de capacité et de moralité détermi<nées par les lois et sous la surveillance de l'Etat. Cette surveillance s'étend à < tous les établissements d'éducation et d'enseignement, SANS AUCUNE EXCEPTION. > L'opinion conservatrice et catholique, qui a eu la majorité à l'Assemblée législative, ne l'avait point à la Constituante. Aucun des trois évêques qui y siégeaient n'éleva de réclamations sur la question des petits séminaires. Les amendements proposés par nous pour atténuer les dispositions relatives à la surveillance ne purent jamais rallier plus de 180 voix sur 900 membres. En ce temps-là, on croyait naïvement à l'inviolabilité de la Constitution. Par conséquent, en faisant la loi organique de la liberté de l'enseignement, l'Assemblée législative ne pouvait se mouvoir que dans le cercle strictement tracé par cette constitution; or, l'article 70 de la loi, en se bornant à rappeler le texte impératif de l'acte constitutionnel, sans entrer dans aucun détail d'exécution, laissait les choses dans un statu quo dont personne, que je sache, ne s'est encore plaint, et réservait la solution de toutes les difficultés futures à un arrangement éventuel entre l'épiscopat et le gouvernement

En vous demandant pardon de rappeler ces détails qui devraient être dans toutes les mémoires, j'ajouterai que le moment actuel peut paraître peu opportun pour attaquer la loi du 15 mars. Si je ne me trompe, la plupart de ses adversaires ont aujourd'hui reconnu qu'elle a produit des résultats plus avantageux encore que ceux dont ses plus chauds défenseurs croyaient pouvoir répondre au pays. Il me semble avoir lu quelque aveu de ce genre dans l'Univers lui-même. Quoi qu'il en soit, chacun sait que les jours de cette loi sont comptés. Déjà mortellement atteinte par le décret dictatorial du 9 mars dernier, qui a supprimé la plupart des garanties qu'elle donnait à la liberté de l'enseignement, elle sera probablement remplacée par une législation qui supprimera radicalement cette liberté et rétablira l'ancien monopole en le partageant avec l'Eglise. Cela étant, il conviendrait peut-être de la laisser mourir en paix, et si l'on veut oublier le bien qu'elle a fait, de ne pas lui imputer le mal dont elle est innocente....

Agréez, etc.

CH. DE MONTALEMBERT.

DISCOURS

SUR LA RÉFORME ÉLECTORALE

ASSEMBLÉE NATIONALE LÉGISLATIVE.

Séance du 22 mai 1850.

Les élections de Paris, qui avaient successivement appelé à l'Assemblée nationale d'abord MM. Vidal, Carnot et de Flotte, puis M. Eugène Sue, avaient éveillé dans le parti de l'ordre de sérieuses inquiétudes. Les chefs de la majorité, voulant prendre l'initiative et la responsabilité des mesures que semblait réclamer l'opinion publique, eurent à cette occasion plusieurs conférences avec le Président de la République et ses ministres, et le 2 mai le Moniteur publia la note suivante :

« Le ministre de l'intérieur vient de former une commission « chargée de préparer un projet de loi sur les réformes qu'il serait « nécessaire d'apporter à la loi électorale.

« Cette commission se compose de :

MM. Benoit d'Azy, représentant du peuple,

[blocks in formation]
[blocks in formation]

La commission doit se réunir demain au ministère de l'inté⚫rieur pour commencer immédiatement ses travaux. »

Ces dix-sept membres étaient ceux qui présidaient à tour de rôle la réunion des représentants du peuple dite de la Rue de Poitiers, puis du Conseil d'État, parce qu'elle se tenait dans le local consacré aux séances de ce corps.

La nomination de cette commission excita dans la presse démocratique les plus violentes protestations. L'un de ses organes les plus répandus, la Voix du Peuple, terminait en ces termes un article du 5 mai 1850:

« Les vieillards entêtés, les hommes pleins d'intrigues qui com« posent le comité de salut public, ont-ils bien réfléchi qu'en faisant « ce qu'ils font, ils vouent leurs tétes aux dieux infernaux de la « Révolution? »

Jusqu'à la fin de la discussion, et même après, les noms des dixsept auteurs de la loi furent publiés, encadrés de noir en tête de toutes les feuilles démocratiques de Paris et des départements.

Le 8 mai, M. Baroche, ministre de l'intérieur, présenta à l'Assemblée le projet élaboré par la commission. Ce projet exigeait des électeurs un domicile de trois années, et faisait résulter la preuve du domicile de l'inscription sur la cote mobilière ou foncière.

Sur la demande du ministre, l'urgence fut votée par 453 voix contre 197, et le projet fut renvoyé à l'examen d'une nouvelle commission élue dans les bureaux, et dont le rapporteur, M. Léon Faucher, conclut à l'adoption.

La discussion générale s'ouvrit le 21 mai. Ce jour-là, la tribune fut successivement occupée par le général Cavaignac, M. Victor Hugo et M. Pascal Duprat, pour combattre la loi, et MM. Desrotours de Chaulieu et Jules de Lasteyrie pour la défendre.

Dans le discours de M. Victor Hugo, on remarque les passages suivants :

« Ce qui sort du suffrage universel, c'est, sans nul doute, la liberté, mais c'est encore plus le pouvoir que la liberté...

«Le suffrage universel crée et dégage le pouvoir, un pouvoir qu'il met au service de l'ordre et de la société, un pouvoir immense, supérieur à tous les assauts, même les plus terribles, un pouvoir qu'on peut attaquer, mais qu'on ne peut pas renverser, témoin le 15 mai, témoin le 23 juin; un pouvoir qui est invincible parce qu'il pose sur le peuple comme Antée pose sur la terre. (Mouvements divers.)

« Oui, grâce au suffrage universel, vous créez un pouvoir en qui se condense toute la force de la nation, et pour lequel rien n'est impossible, si ce n'est de détruire son propre principe (à gauche : Très-bien!), si ce n'est de tuer ce qui l'a engendré. (Nouvelle approbation à gauche.) Grâce au suffrage universel, dans notre époque où flottent et s'écroulent toutes les fictions, vous trouvez le fond solide de la société. Quoi! vous êtes embarrassés du suffrage universel, hommes d'État! vous ne savez que faire du suffrage universel. Mais, grand Dieu! c'est le point d'appui, c'est l'inébranlable point d'appui qui suffirait à un Archimède politique pour soulever le monde. (Approbation à gauche. — Rires ironiques à droite.)

«... Vous faites la guerre à l'abîme, en vous y jetant tête baissée. Eh bien! l'abîme ne se rouvrira pas, le peuple ne sortira pas de son calme. Le peuple calme, c'est l'avenir sauvé. Le peuple sait cela. (A gauche : Très-bien !)

«... Oui, cette généreuse et intelligente population parisienne le sait, Messieurs, et Paris donnera ce grand et instructif spectacle, que si le Gouvernement est témérairement agitateur, le peuple, lui, sera conservateur. (Approbation à gauche.) Il a à conserver, en effet, ce peuple, non-seulement l'avenir de la France, mais l'avenir de toutes les nations. (Nouvelle approbation à gauche.) Il a à conserver le progrès humain dont la France est l'âme, la démocratie dont la France est le foyer, et ce magnifique travail que la France fait et répand sur le monde, la civilisation par la liberté ! Voilà ce qu'il a à conserver, et il le sait, et, quoi qu'on fasse, il ne remuera pas. (Vif assentiment à gauche.)

Lui qui a la souveraineté, il saura aussi avoir la majesté. Il attendra impassible que son jour, que le jour infaillible, que le jour légal se lève. Comme il le fait déjà depuis huit mois, aux provocations, quelles qu'elles soient, aux agressions, quelles qu'elles soient, il opposera la formidable tranquillité de la force, et en attendant que l'Assemblée nationale les rejette et en fasse justice, il

regardera, ce peuple, avec le sourire indigné et froid du dédain, vos pauvres petites lois de réaction (on rit), si furieuses et si faibles, défier l'esprit du siècle, défier la démocratie, défier le bon sens public, et enfoncer leurs malheureux petits ongles dans le granit du suffrage universel! (Applaudissements à gauche.)

«... Cette loi fait gouverner féodalement trois millions d'exclus par six millions de privilégiés (nouvel assentiment à gauche); elle institue des ilotes, fait monstrueux...

«... Par une dernière hypocrisie, qui est en même temps une suprême ironie, et qui complète admirablement le système des sincérités régnantes, lesquelles appellent les proscriptions romaines amnistie, et la servitude de l'enseignement liberté, cette loi continue de donner à ce suffrage mutilé, à ce suffrage privilégié, à ce suffrage de domiciliés, le nom de suffrage universel!... Cette loi, je ne dirai pas, à Dieu ne plaise! que c'est Tartufe qui l'a faite, mais j'affirme que c'est Escobar qui l'a baptisée. (Acclamations et applaudissements répétés à gauche.)

« ... Tenez, faites votre sacrifice : que cela vous plaise ou non, le passé est le passé. Essayez de raccommoder ses vieux essieux et ses vieilles roues, attelez-y dix-sept hommes d'État de renfort, si vous voulez (rires et approbation à gauche), traînez-le au grand jour du temps présent eh bien ! quoi? Ce sera toujours le passé! on verra mieux sa décrépitude, voilà tout... » (Nouveaux rires d'approbation ȧ gauche.)

Dans la séance du 22 mai, le projet, défendu par M. Béchard, fut attaqué par M. Canet, que M. de Montalembert remplaça à la tribune :

Messieurs, permettez-moi de vous rappeler que nous sommes encore dans la discussion générale, et, par conséquent, de n'entrer dans aucune des questions de détail que les deux précédents orateurs ont traitées devant vous. Je ne crois pas que le terrain des généralités soit encore épuisé, et je demande à y rester pour y aborder de front les deux grandes objections qui ont été faites, non pas aux détails de la loi, non pas à tel ou tel article, mais à l'esprit général de l'œuvre.

On nous reproche d'avoir voulu violer la Constitution et d'avoir voulu porter une atteinte au suffrage universel.

« PreviousContinue »