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l'assimiler, quant aux principes et quant aux réserves, à la liberté de la presse, à la liberté de l'association et à la liberté de réunion.

Nous contestons le droit spécial de l'État en matière d'enseignement; nous n'admettons pas que l'État ait sur l'enfant un droit qu'il n'a pas sur le père. Il a le même droit sur l'enfant que sur le père, mais pas un autre droit; et de même qu'il ne lui est pas permis d'imposer ses idées, ses croyances, sa manière de voir au père de famille, à l'homme fait, il n'a pas non plus ce droit, cette mission à l'égard de l'enfant. On peut même dire, à la rigueur, que le père, l'homme fait, le citoyen, est redevable à l'État, dans une certaine proportion, de sa liberté, que l'État lui garantit ; mais il n'en est pas de même de sa paternité. C'est de Dieu et de la nature qu'il tient son droit de père, comme son âme, comme sa conscience, comme son intelligence, et quand l'État fait intervenir la main de sa police ou la férule de ses pédagogues entre moi et mon enfant, il viole ma liberté dans son asile le plus sacré, et il commet envers moi l'usurpation la plus coupable. (Mouvement.)

Quel est donc le droit de l'État dans l'enseignement? Celui de la surveillance générale pour tout ce qui touche à la liberté d'autrui et à la sécurité publique. Nous l'accordons, tout le monde est d'accord là-dessus. Il a même un autre droit que je lui reconnais : c'est celui de suppléer à la négligence ou à l'indigence du père de famille. Oui, il y a là un droit et un devoir pour l'Etat. Quand le père de famille néglige de remplir son devoir, ou quand il est incapable par sa pauvreté, l'État doit et peut intervenir pour donner cet enseignement que le père de famille ne veut ou ne peut pas donner. Mais de là à se substituer partout et toujours au père de famille, c'est-à-dire à établir ce qui existe en France

depuis cinquante ans, le monopole de l'enseignement, monopole avoué ou déguisé comme il l'eût été par les lois relatives à la liberté de l'enseignement qu'on a proposées jusqu'à présent, il y a un abîme; cet abîme, l'État l'a constamment franchi en France, et il le franchirait encore si vous ne le lui interdisiez dès à présent dans la constitution.

Vous avez tous, Messieurs, une sainte et légitime peur du communisme. Savez-vous ce que c'est que le monopole de l'Université, le monopole de l'enseignement de l'État tel qu'il a été exercé jusqu'à nos jours? Rien autre chose que le communisme intellectuel. (Rires et murmures.) Oui, Messieurs, c'est opérer dans le domaine de la conscience et de l'esprit précisément ce que le communisme veut faire dans le domaine matériel. Qu'est-ce en effet que le communisme? C'est la doctrine par laquelle l'État se substitue aux propriétaires pour gouverner et diriger la propriété. Eh bien! le monopole de l'enseignement, c'est la doctrine par laquelle l'État se substitue au père de famille pour enseigner, pour élever ses enfants. Eh quoi! Messieurs, vous croyez que, lorsque vous aurez détruit cette forteresse de la liberté individuelle dans le cœur et dans l'intelligence de l'homme, vous pourrez maintenir dans l'ordre matériel cette forteresse de la liberté que constitue la propriété. Détrompez-vous. Il n'y a pas un des arguments qui ont été employés pour soutenir le monopole universitaire qui ne puisse être retourné, rétorqué avec le plus grand avantage contre la propriété individuelle. C'est toujours la même idée fatale, qui proclame l'omnipotence de l'État et le sacrifice de l'individu à la société.

J'ose dire que ces sentiments, que ce principe seraient admis et reconnus par tous, s'il n'y avait pas au fond de cette question un préjugé, une prévention que j'ai toujours ren

contrée, et que je vous demande la permission d'aborder de front.

On nous dit : Oui, la liberté de l'enseignement serait une chose excellente et légitime; mais voici l'inconvénient, c'est que, si on l'accordait, l'élément religieux dominerait tout l'enseignement de la France.

Voilà, Messieurs, ce qui m'a été objecté dans vos bureaux; voilà l'objection que j'ai rencontrée sans cesse sur mon chemin pendant les longues luttes que j'ai livrées sur cette question avant de faire partie de cette Assemblée : elle est au fond de tous les cœurs; vous devez le reconnaître; vous ne devez pas m'en vouloir si je l'aborde avec une entière franchise, et c'est pour abréger cette discussion que je vais tout de suite au fond des choses, qui est là. (Parlez! parlez!)

Je demande à tous les hommes de bonne foi dans cette enceinte de vouloir bien me suivre sur ce terrain, et même de m'y appuyer; je le demande surtout à mes adversaires, aux adversaires de l'idée religieuse que je représente; car ils doivent vouloir que le jour se fasse sur cette question. Il y a dans tous les partis des hypocrites, des courtisans : nous n'en sommes pas, ni vous ni moi; soyons donc francs, sincères, et abordons sans détour cette grande, cette souveraine difficulté de la question. (Très-bien!)

On nous déclare donc que, si l'enseignement était libre, la France se jetterait tout entière dans les bras de l'enseignement religieux.

Eh bien! Messieurs, cela n'est pas. (Mouvement en sens divers.) Quant à moi, je n'en crois rien (et ce n'est pas ici une simple formule, une hypocrisie de tribune): je crois que si l'enseignement était libre, ni demain, ni jamais l'enseignement, tout l'enseignement, en France, ne serait entre les mains de la religion. Non, je n'en crois rien. Mais quand

cela serait, de quel droit les représentants du peuple français viendraient-ils s'y opposer? De quel droit pourraient-ils s'opposer à un résultat obtenu en vertu de la liberté seule, et qui serait le fruit de la volonté populaire? Comment donc les représentants du peuple français, sous un régime qui est celui de la souveraineté de ce peuple, qui n'est plus celui de la capacité supérieure d'une certaine caste, ni celui du droit divin d'une certaine dynastie, comment oseraient-ils venir s'opposer à ce qui serait le résultat de la volonté du souverain lui-même?

Voilà une première réponse à l'objection, réponse fondée sur le droit; mais il en est une autre plus concluante encore, qui se fonde sur l'intérêt social. Est-il dans l'intérêt social de s'opposer à ce que l'enseignement religieux reprenne une juste influence, et la reprenne par la liberté, sans privilége, sans faveur, sans compression quelconque? car j'espère être assez connu de vous tous pour que vous soyez bien persuadés que, dans l'enseignement comme partout, je ne veux pas autre chose que la liberté et l'égalité la plus complète pour les idées que je représente. Est-il dans l'intérêt social qu'on vienne s'opposer, non à la prédominance, mais à la régénération de l'enseignement moral et religieux dans ce pays? Je dis que non; et je dis que l'intérêt social exige, au contraire, la propagation et l'affranchissement de cet enseignement.

Et ici je me trouve naturellement conduit à jeter, à mon tour, un coup d'œil sur l'état de la société. Je pourrais en faire la critique après toutes les critiques qui ont été apportées à cette tribune; je le pourrais d'autant plus, que, certes, ce ne sont ni mes idées ni mes croyances qui dominent dans la société moderne. Mais, je me hâte de le dire, après tant de hardis novateurs que vous avez entendus et que j'ai entendus, comme vous, avec un grand intérêt, je n'apporte aucune

espèce d'innovation, je n'ai rien inventé. Je n'ai pas la prétention, comme on le disait l'autre jour, de refaire la société de haut en bas, je n'ai pas la prétention non plus de lui faire la guerre; tout au contraire.

La société, pour moi, et je crois pour tout bon citoyen, la société est toujours une mère et non pas une ennemie. (Trèsbien!) Malheur à ceux qui lui déclarent une guerre sous prétexte de l'éclairer et de la guérir! (Nouvelle approbation.) Malheur à ceux qui viennent lui porter un remède ou une vérité au bout d'une épée! (Nouveau mouvement.) Même quand elle en est réduite à accepter ce remède et cette vérité, par un juste retour de la nature et de la conscience humaine, elle maudit ces mains parricides qui l'ont déchirée sous prétexte de la guérir. (Sensation.)

Quant à moi, je la crois menacée, je la crois malade, trèsmalade; mais je regarde toujours ses souffrances et ses infirmités comme celles d'une mère. En m'approchant de son lit de douleur, je suis tenté de m'agenouiller avec une tendresse filiale et respectueuse, et, à la vue de ses cruelles infirmités et de ses plaies sacrées, j'éprouve le besoin de les baiser avant d'étendre une main inexpérimentée pour essayer de les panser ou de les guérir. (Vive approbation.)

Voilà le sentiment qui m'anime en parlant de la société et de ses maux; aussi, je le dis d'avance, s'il m'échappait quelque expression qui fût infidèle à ce sentiment tout filial et tout fraternel qui m'anime et qui doit animer tout législateur, je vous demande en grâce de l'arracher de votre souvenir comme je voudrais l'arracher d'avance de mon cœur et de ma pensée. (Très-bien! très-bien!)

Je dis donc que la société est malade, qu'elle est menacée, et par quoi? J'irai plus loin que je n'ai été tout à l'heure : je dis qu'elle est menacée non-seulement par le commu

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