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même pour me confondre en actions de grâces. J'ai hâte de finir, car je comprends et je partage votre juste impatience d'entendre cette grande voix, trop longtemps muette, et qui me vaudra votre indulgence en me faisant oublier '.

M. Guizot, directeur de l'Académie française, qui n'avait pas parlé en public depuis la révolution de Février 1848, a répondu à M. le comte de Montalembert.

DISCOURS AUX CINQ ACADÉMIES

17 août 1857.)

Le 1er juillet 1857, l'Académie française ayant procédé au renouvellement trimestriel de son bureau. M. le comte de Montalembert fut élu directeur. Il se trouva en cette qualité chargé de présider la séance publique annuelle des cinq académies de l'Institut, pour l'année 1857, qui eut lieu le 17 août. A cette occasion, il prononça le discours suivant :

MESSIEURS,

Au milieu des vicissitudes du temps et de la mobilité des hommes, c'est toujours un grand et consolant spectacle que celui d'une assemblée qui résume tous les labeurs et toutes les gloires de l'esprit. Ce spectacle nous rappelle à tous le grand honneur dont nous sommes investis et les grands devoirs qui nous sont imposés. Admis dans le premier corps littéraire et scientifique du monde, quelle que soit notre faiblesse individuelle, nous devenons tous solidaires de sa grandeur passée, comme de sa destinée future. Il faut se le répéter, non par une puérile satisfaction d'amour-propre, mais par respect pour la responsabilité morale et nationale qui pèse sur nous. En venant une fois tous les ans constater devant le public l'unité de ce grand corps, nous proclamons par cela même l'unité de l'esprit humain, dont nous devons,

dont nous voulons tous servir les progrès, développer l'empire, maintenir la dignité, la force et la liberté.

L'unité de l'Institut d'une part, l'indépendance relative des cinq Académies, de l'autre, réalisent ici moins incomplétement que partout ailleurs cette République des lettres, qui est la plus ancienne et la plus durable de toutes.

La grandeur et la diversité de notre œuvre éclatent à tous les regards. Analyser les lois du langage et en fixer les règles, depuis les détails intimes de la grammaire jusqu'aux modèles achevés de l'éloquence; fouiller la nuit des âges, y puiser ou y porter tout ce qui peut illuminer la vie et la pensée de nos aïeux païens et chrétiens, des peuples de l'Orient comme de l'Occident; continuer et enrichir les grandes collections entreprises par l'intrépide patience des bénédictins; signaler, vérifier, classer, dans tous les règnes de la nature, les innombrables découvertes et les merveilleuses conquêtes des sciences physiques et mathématiques; reconnaître, en professant et en pratiquant les beaux-arts, leur prééminence sur les arts purement utiles; rappeler à un siècle trop enclin aux préoccupations des sens l'étude des phénomènes de l'àme, leur influence sur la destinée des peuples, les droits de la morale éternelle, les liens de la tradition avec tous les progrès légitimes; toucher ainsi par le côté de la théorie et de l'histoire aux redoutables problèmes de l'économie sociale et de l'organisation politique; puis veiller tous ensemble avec une scrupuleuse équité à la distribution des encouragements et des récompenses que la libre et intelligente munificence de nos concitoyens, plus abondante encore que celle de l'État, nous met à même de prodidiguer aux jeunes et laborieux travailleurs dont nous espérons faire nos héritiers: telle est une partie de la tâche qui nous est prescrite.

Toutes les aptitudes intellectuelles sont ainsi appelées à concourir, par un effort commun et une impulsion persévérante, à la production continue de la vérité. Ici, l'idéal et le réel, le bon sens et l'imagination, la philosophie et la politique, la géométrie et la poésie, le génie de l'observation et l'enthousiasme de la pensée travaillent de concert à faire de l'intelligence la véritable cité du genre humain; pourvu toutefois que, à travers les oscillations et les écarts, à travers les élans et les chutes, cette intelligence veuille graviter toujours vers la vérité suprême!

Mais il ne faut pas se laisser aller à une contemplation trop prolongée de cette tâche glorieuse. Quand l'honneur de présider la réunion générale de l'Institut échoit à l'Académie française, celui qui parle en son nom est tenu surtout d'être court. Ainsi le veut un usage constant. Mon intention et mon intérêt sont de n'y point déroger. Mais, avant de donner la parole à ceux qui la prendront avec plus d'autorité que moi, j'espère que nul ne m'accusera d'une innovation téméraire, si je me permets de consacrer un rapide souvenir à quelquesuns de ceux qui nous manquent, à d'illustres confrères qui ne reparaîtront plus parmi nous.

Je devrais sans doute ne rien dire de ceux qui ont appartenu à l'Académie dont je suis, puisque, dans peu de mois, leur mémoire recevra ici même une consécration publique; mais comment passer sous silence celui dont la voix a tant de fois et avec tant d'autorité rempli cette enceinte? M. de Salvandy était l'âme de nos solennités académiques. Il aimait avec passion tout ce qui élève l'esprit et tout ce qui l'honore. Mêlé avec éclat aux longs orages et aux agitations fécondes de nos luttes politiques, il en avait compris les véritables conditions, et il y avait grandi sans se faire d'ennemis. Chargé deux fois du gouvernement de l'enseignement

public, il y avait témoigné une constante et généreuse sollicitude pour les progrès de la science et pour la gloire des lettres. Courageux et conciliant, bienveillant et chevaleresque, toujours loyal, toujours fidèle à la conscience, au devoir, il a montré comment on pouvait parcourir et honorer à la fois deux carrières, celle des lettres et celle du pouvoir.

Mèlé comme M. de Salvandy à la vie publique et à l'administration universitaire, M. Thénard a dû surtout sa gloire à la science et sa popularité à l'enseignement. Quand on a été non pas son élève, mais son collègue, on s'explique facilement cette popularité par la noble franchise de son caractère, par l'éloquente bonhomie de sa parole. Ses découvertes, ses travaux, les dangers qu'il a courus dans la recherche des secrets de la nature, font en quelque sorte partie de l'histoire moderne : il a été de ceux qui ont inauguré parmi nous cette transformation étonnante de la chimie qui sera une des merveilles de notre temps. Peu de vies ont été plus laborieuses, plus méritoires, plus constamment utiles que la sienne; peu d'hommes ont plus donné que lui à la patrie, à la science, à la jeunesse.

Douloureusement frappés dans la personne de ce grand expérimentateur, l'Académie des sciences et l'Institut tout entier l'ont été presque au même instant par la perte de M. Cauchy, le premier peut-être de nos géomètres et le plus hardi des voyageurs dans les océans infinis du calcul. Vous savez comment la politique troubla sa vie, sans jamais troubler son humeur; comment il sut sacrifier à sa conviction toujours ses intérêts, jamais ses principes ni ses amitiés; comment il resta toujours infatigable et serein, voué à l'unique poursuite des conquêtes de l'abstraction et des richesses de l'analyse. Vous vous rappellerez longtemps cette

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