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manière particulèire la brave famille Lemoyne et qui l'avaient adoptée, envoyèrent, suivant un usage de leur nation, un collier à Mr. Lemoyne père, pour pleurer la mort de son fils Ste. Hélène ; ils firent accompagner celui qu'ils nommèrent pour cette cérémonie, par deux femmes du village de la montagne qu'ils retenaient prisonnières, et auxquelles ils donnèrent la liberté à cette occasion.

En 1691 Mr. Le Chevalier de Vaudreuil ayant eu l'ordre d'aller attaquer les sauvages dans un lieu nommé St. Sulpice, prit avec lui plusieurs braves, au nombre des quels se trouvait un autre fils de Mr. Lemoyne, nommé Bienville, il eut le sort de son frère St Hélène et fut tué dans l'attaque, son nom fut donné après sa mort, à un de ses frères fort jeune alors, et qui a été depuis gouverneur général de de la Louisiane et fondateur de la Nouvelle Orléans.

En Juillet 1693, les Anglais reprirent de fort Ste Anne dans la Baye d'Hudson, la court de France qui avait fort à cœur une expédition contre cette baye en chargea Sérigny et d'Yberville son frère, le premier arriva à Montréal au milieu de 1694 avec des instructions du gouvernement; tous les préparatifs se firent avec activité, et le 24 Septembre les deux frères arrivèrent à l'entrée de la rivière Sainte Hélène, apres avoir couru de grands dangers au milieu des glaces dont la baye était converte. D'Yberville commandait la Salamandre et Serigny le Poli, ils debarquérent le jour même de leur arrivée, et investirent sur le champ, le Fort Nelson dont la prise était l'objet principal de leur expédition. Ce fort avait en dehors, une batterie des 8 canons qui battait sur la rivière; audessous, se trouvait une plate forme ayant six canons de gros calibre. Le corps de la place qui était entouré d'une double palissade, avait trente-six canons et six pierriers, les glaces empécherent pendant un mois entier, les deux batimens de s'approcher du fort, elles pensèrent briser la Salamandre, et ce ne fut que le 28 Octobre que d'Yberville put mettre tout son monde à terre. Le siège commença d'une manière fort triste pour les deux commandans. Chateaugay leurleur jeune frère qui servait sur le Poli en qualité d'enseigne s'etant avancé le 4 Novembre pour empêcher les assiegés de faire une sortie, fut tué d'un coup de mousquet; ce fut le trosiême de sa famille qui mourut en combattant pour sa patrie à l'imitation de ce qui avait en lien pour Bienville on donna son nom a un de ses frères qui n'étant par encore au service et qui a été depuis gouverneur de Cayenne.

Apres treize jours de préparatifs et au moment ou on allait commencer le bombardement, le fort se rendit, d'Yberville lui donna le nom de fort Bourbon il y resta ainsi que Sérigny jusqu'au mois de Septembre de l'année suivante; mais ayant perdu beaucoup de monde du scorbut ils se determinèrent a revenir en France, et ils laissèrent le commandement du fort à Mr. de la Firêt, au quel ils donnèrent pour lieutenant Mr. de Marigny.

Le fort Pimkuit que tenait l'Acadie en échec, et qui appartenait aux Anglais, avait été attaqué sans succès par MMrs. d'Yberville, et de Bonnaventure en 1692, ils reçurent en 1696, l'ordre d'aller l'attaquer

de nouveau, on arma pour cela à Rochefort, les deux batimens l'Envieux et le Profond dont on leur donna le commandement. Ils arrivèrent le 26 Juin, à la baye des Espagnols et ils y apprirent qu'il y avait trois batimens Anglais du côté de la rivière St. Jean; ils se remirent à la mer pour aller à leur rencontre: le 14 Juillet d'Yberville les rejoignit et les attaqua: il s'empara de Nierrport de 24 canons, après l'avoir démâté, et il mit les deux autres navires en fuite. Le 14 Aout les deux commandans mouillèrent à une lieue du fort, ils l'investirent et l'attaquèrent le même jour, et ils firent sommer le commandant de se rendre, celui-ci leur fit répondre fiérement, qu'il verrait la mer toute couverte de vaisseaux Français et la terre de sauvages, qu'il ne se rendrait pas qu'il n'y fut forcé au milieu de la nuit, d'Yberville descendit à terre, et fit travailler aux batteries avec tant de diligence, que le lendemain on put commencer le bombardement, on fit une seconde sommation, et cette fois-ci malgré la résolution annoncée par le commandant, il fut obligé de se rendre en disant qu'il y avait été forcé par la gar

nison.

Le 3 Septembre, d'Yberville naviguant avec sa prise rencontra une division Anglasie de 7 batimens, il sut l'éviter par la promptitude de ses manœuvres, le 12 il mouilla dans la rade de Plaisance, à Terre Neuve, son projet était de se rendre maitre de toute l'isle, et il est probable quil y aurait réussi, s'il n'avait pas trouvé la plus grande opposition dans Mr. de Brouillan, gouverneur de Plaisance, qui jaloux de ses succès, ne voulut pas le seconder dans une entreprise pour la réussite de la quelle son concours aurait été indispensable. D'Yberville voulut alors repartir pour la France et laisser toutes ses forces à Mr. de Brouillan qui alors aurait pu agir seul, comme il le voulait: mais les Canadiens que commandait d'Yberville, annoncerent formellement, qu'ils retourneraient plutôt dans leur pays que d'obeir à un autre chef. D'Yberville était leur compatriote, et ils l'idolatraient. Personne n'a fait plus d'honneur à sa patrie. Par amour pour la paix et dans l'interêt de la France il consentit à se rapprocher de Mr. de Brouillan qui ne cessa pas de le contrarier en tout et de chercher à faire manquer ses plus importantes opérations, en lui faisant des promesses qu'il ne tenait pas. L'avis de d'Yberville était de commencer par se rendre maître du nord de l'isle de Terre Neuve; mais il fut obligé de ceder à Mr. de Brouillan et d'attaquer dabord les forts et le bourg de St. Jean. Il se vengea de la contrariété qu'il en éprouvait, en y faisant des prodiges de valeur. Le 26 Novembre, il poursuivit lui-même à la tête d'une petite troupe, un parti d'Anglais; il traversa une rivière tres rapide, ayant de l'eau jusque aux reins; il força ses ennemis dans un retranchement, leur tua 36 hommes, fit plusieurs prisonniers et obligea les autres à se sauver dans l'un des forts. Le 28 Novembre, d'Yberville et ses hommes se trouverent a portée de pistolet, d'un détachement de 88 Anglais avantageusement placés derriére des rochers. I les tourna sur la gauche pour les prendre en flanc du côté où les rochers ne les couvraient pas, tandis que Mr. VOL. II.

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de Brouillan les attaquait de front. Les Anglais se défendirent bien pendant une demi heure; mais ensuite, ils se débandèrent; d'Yberville toujours plein du courage le plus énergique les poursuivit l'épée dans les reins jusque dans les forts, dont il prit deux sur trois, avant l'arrivée des troupes de Mr. de Brouillan, qu'il n'avait cépendant précedé que d'un quart d'heure. Il fit 33 nouveaux prisonniers dans la nuit du 29 au 30 Octobre, les maisons qui entouraient le dernier fort, furent brulées, et le 30 il capitula. D'Yberville continua la guerre avec les braves qui s'étaient attachés à sa fortune, et au bout de deux mois, il ne restait plus aux Anglais dans l'isle de Terre Neuve que le poste de Bonnevista, trop bien fortifié pour être attaqué par une aussi petite troupe que celle dont ou pouvait disposer, et l'isle de Carbonnière située au nord de Terre Neuve inabordable dans l'hiver. Les Français n'avaient fait pendant ce temps, que courir de conquêtes en conquêtes. Ou voyait des détachemens de 12, 15 ou 20 hommes, prendre des bourgades, des forts même, ils erraient dans des bois, attaquaient des rochers, en clouaient les canons quils ne pouvaient emmener, recevaient les sermens peu surs de prisonniers qu'ils ne pouvaient garder, couraient sur la glace avec des patins, gravissaient avec des raquettes sur des montagnes couvertes de neiges, quelques, uns etaient engloutis dans les précipices qu'elles leur cachaient, plusieurs mouraient de faim et de froid, mais ceux qui restaient furent rassassiés de gloire. Enfin, 300 hommes se rendirent maitres de la presque tolalité d'une isle de 300 lieues de circonférence et prirent plus de trente bourgs villages ou forts dont les garnisons montaient à 1,800 hommes. D'Yberville y donna les plus grandes preuves de courage et de capacité. Il se trouvait dans tout les endroits où il y avait des risques à courir et des fatigues à essuyer et partout il était vainqueur. Il n'est pas douteux, que si il avait eu assez de monde pour achever une conquête si avancée, et pour garder les postes qu'il avait pris, les Anglais auraient perdu pour toujours l'isle de Terre Neuve. I espérait pour cela, des secours de France, et il les avait fait demander par Mr. de Bonnaventure qui etait parti le 22 Novembre, sur le navire le Profond; mais le 18 Mai, 1697, d'Yberville vit arriver son frère Sérigny avec une division de quatre batimens qu'il venait mettre sons ses ordres: il était porteur d'instructions de la cour qui obligèrent d'Yberville a abandonner cette belle entreprise et a aller cueillir de nouveaux lauriers dans la baye d'Hudson. Il renonça sans hésiter aux biens considerables qu'il avait acquis, et il fit bruler, ne pouvant les emporter, pour plus de deux cent mille écus d'effets qu'il avait pris sur les ennemis.

En 1696, Sérigny qui commandait le Dragon et Lamotte-égron qui montait le Hardi, avaient eu l'ordre de porter au fort Bourbon, des secours en hommes, en munitions et en vivres; mais ils n'avaient pu y aborder, parceque quatre batimens Anglais et une galiste à bombe, les avaient précédés de quelques heures dans la rade ou ils arrivèrent le 2 Septembre, la partie aurait été trop inégale, pour qu'ils osassent hasarder le combat: ils se retirerent. Lamotte egron

fit naufrage et se noya, Sérigny arriva heureusement en France et aprés avoir rendu compte de la mission, il reçut l'ordre d'armer 4 batimens à Rochefort et de les conduire à Plaisance à son frére d'Yberville, pour qu'il allât attaquer les Anglais qui apres avoir repris le fort Bourbon lui avaient rendu le nom de fort Nelson.

D'Yberville mit à la voile le 8 Juillet, 1697, avec une division composée des 4 batimens qui lui avait amené Sérigny et d'un brigantin, il monta le Pélican de 50 piéces de canons et Sérigny le Palmier. Le 3 Aout ils entrérent dans la baye d'Hudson; ils la trouvérent tellement serrée par les glaces, qu'ils furent obligés de se cramponner sur les plus grandes. Ce qui faisait le danger de leur situation, c'est que ces glaçons étaient entrainés avec violence et donnaient des secousses si fortes à leurs batiments, qu'elles les mettaient à chaque instant dans le cas de périr. Aussi, dès le 5eme jour de leur entrée dans la baye, le brigantin fut écrasé entre un de ces écueils flottans, et le Palmier que commandait Sérigny; et cela si subitement qu'on eut a peine le temps de sauver les hommes, tout le reste fut perdu.

Le 28 Aout d'Yberville se trouva débarassé des glaces; mais seul, et ne sachant pas ce qu'étaient devenus les autres navires. Le soir il jetta l'ancre assez près du Fort Nelson. Le lendemain à 6 heures du matin, il decouvrit à trois lieues sous le vent trois navires qu'il prit dabord pour ceux de son frère; mais comme ils ne répondirent pas aux signaux de reconnaissance, il vit qu'ils étaient ennemis, et il se prépara à les combattre. Il fallait être bien hardi pour prendre une semblable détermination. Il avait a peine 150 hommes en etat de combattre et des trois navires ennemis qu'il osait attaquer l'un était plus fort que le sien le Hamshier qui avait 58 canons et les 2 autres en portaient chacun 32, le Pélican fut placé par les Anglais entre trois feux et on vit alors un des plus rudes combats dont la mer ait jamais été le théatre. D'Yberville dirigait tout sur son navire. Il avait placé Mr. Bacqueville de la poterie sur le gaillard d'avant pour éviter l'abordage, son jeune frère Bienville commandait la batterie haute. Au bruit continuel de l'artillerie, dit Sacy, dans l'honneur Français se joignait celui des mats qui tombaient, des charpentes qui se déchiraient, les éclats des poutres volaient avec les boulets. On se tirait des bordées entiéres à portée de pistolet. Les Anglais devenus furieux par la meurtriere résistance du Pélican, ne songérent plus à prendre leur ennemi, mais à le faire périr. 58 canons à la fois étaient pointés à fleur d'eau pour le couller bas. A piene avaient ils fait leur décharge que les trois batimens en virant de concert, présentaient 58 autres canons pointés de même et qui faisaient un ravage effroyable. Le pont du Pélican était couvert de morts et de mourans; les voiles tombaient en lambeaux; les cordages étaient coupés. Le combat avait duré 4 heures. Tous les officiers avaient combattu avec une bravoure qui méritait un plus grand nombre de témoins. Bacqueville était si noir de poudre et de fumáe, qu'on entendit les Anglais dire en l'ajustant, à ce beau

visage de guinnée. L'Hamshier seul avait 230 hommes d'équipage ce fut lui que d'Y berville chercha principalement à attaquer vergues à voiles, et il lui lança sa bordée avec tant d'habilité et de bonheur qu'il le coula. Il se retourna vers le Hudson baye qui se rendit à lui et il mit en fuite le 3eme batiment qui se nommaint le Deringue. Il avait eu plusieurs de ses mannœuvres coupées, deux pompes crévées, ses haubans fort endommagés; percé par 7 boulets de canons il faisait eau de toutes parts. Il répara cependant une partie de ces avaries avec une diligence extreme et le 6 Septembre il put mouiller dans la rade du fort Nelson. Mais le lendemain, ayant vu la mer grossir extraordinairement, ce qui dans cette baye est un signe d'une prochaine tempête, il laissa la rade qui n'est pas sure et alla mouiller au large. Sa précaution fut inutile, la vent ayant repris avec une violence extrême, tous les cables des ancres cassèrent et quoique put faire d'Y berville pour se soutenir, et qu'il n'y eut peut-être pas eu France de plus habile mannœuvrier que lui, il fut jeté à la côte et alla échouer à l'entrée de la rivière Ste Thérése, avec sa prise. Le calme étant revenu, l'équipage se sauva à terre oû d'Yberville descendit le dernier, mais il n'avait plus de vivres; il fit tout préparer en diligence pour donner l'assant au fort. Il fut rejoint fort heureusement par Sérigny dont les trois navires avaient aussi fait naufrage; le Palmier qu'il commandait y avait perdu son gouvernail. Plusieurs soldats moururent de froid sur la glace dont la côte était couverte; les autres quoiqu'engourdis et se trainant à peine, se mirent en marche, pour assiéger le fort, portant sur leurs épaules plus de provisions de guerre que de provisions de bouche. On franchit un marais glacé avec des peines inexprimables. La petite troupe se plaça dans un bois pour cacher sa faiblesse; il fallait vaincre ou périr et on attaquait une place bien fortifiée, bien munie, et dont la garnison était nombreuse. On la somma une première fois de se rendre, mais le gouverneur répondit en homme assuré, des succès de sa défense; il fit jouer son artillerie à travers le bois ou la troupe était retranchée. Les assiégeans qui avaient sauvé un mortier de leur naufrage, lancèrent quelques bombes. Les Canadiens escarmouchaient, les soldats faisaient des décharges plus réguliéres de mousquetterie; mais on sentait qu'on ne pouvait pas continuer long temps. D'Yberville prit le parti de sommer une seconde fois le gouverneur de se rendre résolu de donner l'escalade la nuit suivante, si la place ne lui était pas livrée le soir même. Sérigny fut chargé de cette négociation; il prit le ton le plus imposant, menaça le gouverneur de toutes les horreurs qui suivent un assaut, en lui annonçant quil n'avait plus de quartier à espérer si'l temporisait encore; qu'on voulait bien par estime pour son courage lui accorder les honneurs de la guerre, mais qu'il était perdu s'il rejetait cette proposition, il fit dautres demandes; voyant qu'il balançait on le tint pour vaincu et on refusa. Il accepta en effet la capitulation proposée, on exigea de lui des otages, précaution bien nécessaire; car sans cela, il n'aurait certainement pas tenu un traité par lequel il

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