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sitions était toujours plus propre à ruiner l'etat, parcequ'elles étaient plus propes à enrichir les traitans. Le roi ne recevant pas assez pour fournir à ses dépenses s'est vu forcé d'avoir recours aux emprunts et à demander des avances que les gens d'affaires lui ont fournies à gros intérêts du propre argent de S. M. C'est cette etrange conduite qui a formé la dette énorme qui s'est trouvée à la mort du roi, dette, laquelle bien examinée est moins composée des capitaux que S. M. a reçus que des intérêts qu'elle payait.

Cette dette ne se bornait pas aux diverses rentes et aux choses arriérées de toute espéce de nature: il y faut ajouter le nombre infini de créations de charges, dette la plus onéreuse de toutes, puisque, quand d'un côté elle coûte des gages, elle coûte encore d'avantage de l'autre en diminuant la recette, à cause des priviléges et des exemptions attachés à ces charges, ce qui réduit le nombre des contribuans, le quel nombre se trouve accablé par l'immunité des autres et dont une partie devient bientôt insolvable.

L'ignorance des ministres sur le change etranger coûta aussi des sommes immenses lorsque la guerre fut portée hors du royaume, et chaque année découvrait aux yeux du public les désordres des finances par le retardement des payemens les plus légitimes et la banqueroute de tous les autres; de sorte que le crédit du roi fut absolument ruiné et les effets provenant de lui perdirent les quatre cinquiémes de leur valeur, il ne resta de ressource au ministre des finances que la violence et la fraude pour tirer de l'argent et la dûreté pour n'en pas donner. Voilà les principes sur les quels les finances ont été conduites les derniéres années de la vie du roi, et la diminution du tiers de la valeur numéraire des espéces indiquée en 1713, acheva la ruine de l'etat. L'Etranger fut remboursé en monnaye forte de ce qu'il avait prêté en France en monnaye faible et des intérêts qui lui étaient dûs, de sorte qu'il toucha le double de ce qu'il avait prêté: pouvait on faire une opération plus favorable à l'Angleterre et à la Hollande? Il n'y eut plus de bornes à l'intérét excessif de l'argent et au discrédit des effets publics et particuliers. Les manufactures cessérent: les ouvriers passérent chez l'etranger: la consommation diminua de plus de moitié; les banqueroutes et les retardemens de payemens furent si universels qu'il n'y eut pas dix maisons dans Paris qui n'en fussent atteintes: la méfiance et le découragement glacérent tous les cœurs et tout l'etat se trouve dans une léthargie qui en suspendit tous les mouvemens.

Ce fut dans cette situation que Mr. le Duc d'Orléans reçut le gouvernement du royaume, chargé d'une dette de 90 millions de rentes arriérées pour une grande partie, de quatre années dont il y en avait trois de consommées ou engagées d'avance, et dont toutes les caisses rassemblées ne purent former que 40 mille écus d'espèces! Le discrédit universel, le commerce anéanti, la consommation réduite au seul nécessarie qui manquait en bien des lieux, la désolation des peuples, la culture des terres négligée, les grands seigneurs et la noblesse abîmés de dettes, les fermes et les maisons de la Compagne prêtes a tomber faute de réparations; le paysan mal nourri,

mal vêtu, débiteur au roi et à son Seigneur, aux usuriers des petites villes de son voisinage & insolvable à tous, les négocians pour la plupart en banqueroute et tous débiteurs tant au dehors du royaume qu'au de dans, les officiers de robe et d'epée sans payement de leurs gages, une multiplicité immense de dettes du roi à son peuple, du peuple au roi encore plus immense, et réciproquement entre tous ses sujects, et des sujets à l'étranger. Nul effet en valeur, nulle confiance, nulle espérance pour débrouiller, pour éclaircir, pour arranger, pour solder en tout ou en partie des engagemens aussi prodigieux qui supprimaient le movement et la vie au royaume.

Voilà quel a été l'objet du travail du régent; voilà les difficultés qu'il a eues à surmonter. Il est nécessaire de les avoir toujours présentes pour juger sainement de toutes ses opérations et ne pas oublier la situation où était le royaume lors qu'il en prit la conduite. Le lendemain de la mort du roi, Mr. le Duc d'Orléans fut au parlement faire l'ouverture de son testament par le quel S. M. l'instituait régent du royaume et Mr. Le Duc du Maine chef de l'education du roi avec le commandement absolu sur toute sa maison. Cette division d'autorité était la source certaine d'une guerre civile. Mr. Le Duc d'Orléans déclara que la régence lui appartenait par le droit de sa naissance et qu'il la voulait dans toute l'etendue et la plénitude du pouvoir, et c'est ainsi qu'elle fut enregistrée au parlement, il lui rendit la liberté de faire des remontrances sur les edits déclarations avant de les enregistrer, il dit que son intention était d'établir un conseil de regénce où seraient portées les décisions qui auraient été faites dans d'autres conseils qui seraient établis pour connaître des affaires qui avaient été portées ci-devant dans les départemens des secretaires d'etat, ainsi le détail de l'administration des affaires de l'etat fut attribuée à six conseils, savoir: de conscience, de la guerre, des affaires etrangères, de la marine, de la finance et du dédans du royaume, le conseil de régence fut composé des princes du sang et des seigneurs de la cour, et il nomma pour présider aux conseils particuliers deux seigneurs de la cour: les conseillers furent choisis parmi les gens de condition, le conseil et quelques membres du parlement. Ainsi l'administration, des affaires de l'etat, qui, sous le règne de Louis XIV., avait été confié aux seuls gens de robe, passa aussitôt aprés sa mort aux gens de qualité, le public en conçut de grandes espérances. La satisfaction qu'il eút de se voir délivré de ceux sous la conduite des quels il avait tant souffert lui fit croire tres légèrement que les affaires seraient rétablies par les autres: on crut même ce bonheur prochain, parceque'on était persuadé avec raison que le régent le désirait avec ardeur, mais on ne faisait pas la moindre attention aux difficultés.

Aprés qu'il eut fait les premiers règlements, il entra dans le detail des finances, comme l'affaire la plus importante de l'etat dont toutes les autres dépendaient et qui avait besoin d'un plus prompt remède. Le premier conseil qu'on lui donna, fondé sur la difficulté de payer une dette aussi énorme fut d'en faire la banqueroute totale, que le royaume étant généralement ruiné, il fallait en sacrifier une partie

pour conserver l'autre; que la partie créancière de l'etat n'étant pas d'un contre mille, le plus grand nombre méritait la préférence; qu'il n'y avait aucun danger de la part de ceux qui se trouveraient écrasés par ce système, parcequ'ils seraient contenues par le nombre prodigieux des autres qui se trouveraient soulagés d'une partie des impositions que la banqueroute des dettes mettrait en état de beaucoup diminuer. Qu'on pouvait la fonder sur la minorité du roi au quel le royaume était substituté; que son prédécesseur n'avait pas pu l'engager; que les préteurs n'avaient pas dû s'attendre à etablir solidement leurs créances sur un bien qui ne pouvait étre engagé à perpétuité; que ces prêteurs en étaient si bien avertis qu'ils avaient pris leurs mesures d'avance, en faisant des prêts si avantageux qu'ils étaient plus que remboursés de leurs capitaux, et qu'il était seulement question, de fermer l'oreille et le cœur à leurs cris, qui n'étaient qu'un mal passager et nécessaire pour rendre en peu de temps le royaume plus puissant et plus florissant qu'il n'avait jamais été.

On proposa un autre parti moins violent qui était une révision générale de tous les effets qui composaient la dette de l'etat; qu'on y trouverait de grands et légitimes retranchemens, à faire qui la diminueraient beaucoup et que l'etablissement d'une chambre de justice armée de sévérité, dont les recherches seraient exactes fournirait au roi de quoi éteindre encore une partie de la dette et le mettrait en état de conserver l'autre et d'en acquitter les intérêts, on assurait le régent que cette recherche donnerait 7 ou 800 millions tant en argent qu'en effets, on fondait ce conseil sur la justice qu'il y avait de retirer des gens d'affaires une partie considérable des biens immenses qu'ils avaient acquis per fas et nefas depuis trente ans que tous les revenus et toutes les impositions anciennes et nouvelles leur avaient passé par les mains; que leur art funeste avait opéré le ruine de l'etat, qu'ils devaient contribuer à le réparer; que le cri public demandait cette justice depuis longtemps; qu'il méritait de l'obtenir et que cette opération était d'autant plus salutaire à l'etat qu'il ne s'y trouvait ni obstacle ni inconvénient.

Le régent avait trop d'esprit pour ne pas sentir les difficultés qui se rencontreraient dans l'exécution de ces deux systémes qui d'ailleurs n'apportaient aucun remède à la situation pressante où il se trouvait.

Il communiqua sa situation et son embarras à quelqu'un qui lui déclara que les suites de la banqueroute de la dette de l'etat feraient naître plus de difficultés qu'il n'entrouverait à l'acquitter; qu'elles porterait un deshonneur irréparable, que le roi et ses successeurs ne trouveraient jamais aucun secours de la part de leurs sujets; qu'on se trompait grossièrement de penser qu'en accablant les créanciers, les autres sujets seraient soulagès; que la perte se ferait sentir aux uns et aux autres, parceque, outre les liaisons visibles qu'il y a entre tous les habitans du royaume, il y en a aussi d'invisibles qui distribuent le bien et le mal universellement; que toutes les dettes de particulier à particulier auraient infailliblement le même sort que celles du roi; que c'étaient un nombre de gens ruinès à

ajouter aux autres; que la subsistance manqurait à tous ceux que les autres fesaient subsister avant la banqueroute, que le commerce intérieur et extérieur, les arts et les manufactures seraient perdus, que l'industrie cesserait faute d'objet; que la culture des terres serait restreinte à la seule nourriture de ses habitans destitués de tout commerce; que le roi serait plus pauvre et moins puissant le lendemain du jour qu'il aurait acquitté ses dettes par une banqueroute qu'il ne l'aurait été la veille.

'A l'égard du second conseil, que les inconvéniens auxquels il était sujet, quoique moins étendus, étaient cependant très considérables; que la dette de l'etat était une valeur estimative selon l'opinion journalière dont la révision qui en diminuerait le nombre, diminuerait aussi la valeur, de sorte que les effets qui en subsisteraient après cet examen auraient moins de valeur qu'ils n'en avaient auparavant, on suppose que la totalité de ces effets fut d'un milliard qui perdait 60 pour cent c'était une valeur réelle pour les porteurs et pour l'etat de 400 millions. Si les retranchemens n'en laissent que 400, ils perdront de même 60 pour cent et peut etre plus; alors il ne restera pour les particuliers et pour l'etat qu'une valeur de 160 millions: c'est 240 millions de perte pour les particuliers et pour l'etat qui se trouve plus pauvre de 240 millions qu'il n'était avant le retranchement.

'A l'egard d'une chambre de justice, qu'il était vrai que les gens d'affaires en méritaient les recherches; que tout le mal venait de ce que les ministres les avaient regardés comme gens nécessaires; qu'ils avaient souffert que tout ce que le peuple payait au roi depuis 30 ans passât par leurs mains, qu'une partie très considérable leur était restée; qu'ils méritaient sans doute de rigoureuses punitions mais qu'avant de se déterminer à punir, il était à propos d'examiner si les punitions seraient utiles ou dommageables; qu'il ne croyait pas qu'une chambre de justice fút un remède aux maux présents, qu'il fallait une fermeté plus qu'humaine pour en faire exécuter les décisions; que l'or et l'argent corromprait tout; qu'il n'y avait pas d'example qu'une chambre de justice eût donné de quoi rétablir les affaires; que les gens en crédit en avaient seuls profité en vendant chèrement les grâces qu'ils obtenaient en faveur de ceux qui avaient été taxés ou qui devaient l'étre; que le roi n'en tirait rien, que le discrédit et l'obstruction que ce tribunal redoutable mettait dans toutes les affaires, était au royaume le moitié de la valeur ordinaire de son revenu; que cette perte était certaine; qu'il fallait la mettre dans un des côtés de la balance; qu'il ne restait pour l'autre que l'incertitude du retour, et qu'ainsi ce n'étaient pas ces moyens proposés qui remedieraient au mal présent; que ce mal venait beaucoup moins de la dette dont l'etat était chargé que du diserédit et de la lethargie universellemens répandue, qui empéchait l'action de tous les biens fonds et de tous les biens d'industrie du royaume capables de supporter une dette plus forte lors que le mouvement leur aurait rendu le dégré de valeur où ils pouvaient, atteindre, lequel était aujourdhui concentré et presque nul; que tout

ce qui le ranimerait serait salutaire et lui rendrait sa force naturelle qui n'était pas perdue et qui était seulement étouffée par des obstructions entassées l'une sur l'autre depuis 30 ans ; que les deux systèmes proposés contenaient ce qui était le plus capable d'entretenir et d'augmenter cette fatale léthargie dans laquelle consistaient tous les maux présents et qu'ils étaient une production de l'ignorance, de la paresse, de l'envie et de la dureté.

Quoique le regent sentit toute la force de ces raisons, néanmoins il commenca à faire exécuter une partie de ce qui lui avait été proposé, soit qu'il voulût simplement en essayer, soit qu'il ne se sentît pas encore assez de force pour résister seul à l'opinion générale qui n'avait d'autres principes de gouvernement que de prendre des engagemens et de ne les pas remplir, de faire des billets et de les discréditer, de mettre des impositions sur le peuple et de le livrer à la discrétion des traitans pour en tirer ce que l'on pouvait. Il établit au louvre un bureau pour la révision des promesses, des gabelles, billets de legendre, billets des receveurs généraux et autres dont une partie souffrit le retranchement des quatre cinquièmes de son capital et la totalité des intérêts. On donna le nom de billets de l'etat à la partie qui fut conservée à laquelle on assigna 4 pour cent d'intérêts, et ces billets n'eurent pas plus de valeur dans le public que ceux dont ils étaient l'extrait: ce fut une perte réelle de 240 millions pour les particuliers et pour l'etat qui fut privé d'une valeur qui était utile au commerce: voilà le succès de ce visa.

Les Rentes viagères de la creation de 1713 et de 1714 furent diminuées aussi de la moitié par un edit du mois de Décembre,

1718.

La valeur de l'argent était alors à 27 le marc, tous les négocians demandaient une augmentation d'espèces afin de rendre le payement, de leurs dettes plus facile et pour ne pas être obligés de rendre en monnaye forte ce qu'ils avaient emprunté en monnaye faible. Leur demande était juste et s'accordait avec leur intérêt et celui de le'tat. Le Conseil s'y opposait sur ce qu'il était persuadé que le commerce étranger en souffrirait. Le regent persuadé du contraire, que le nom que le roi donne à la monnaye est indifferent au commerce etranger; qu'il ne sort pas plus de matières d'argent pour payer quand le marc est nommé 40 que quand il est nommé 27; que c'est avce le poids que l'on acquitte la dette extérieure et non pas avce le nom, porta, au mois de Decembre, la monnaye à 40 le marc et fit une refonte de l'or. Les dettes et les impositions devenaient par là plus faciles à payer de près d'un triers. C'est la première opération de la régence qui a été favourable au com

merce.

La recherche des gens d'affaires était toujours proposée Le peuple demandait vengeance. La robe désirait qu'on lui livrât des fortunes à abaisser, qui avaient tant excité son envie. Les courtisans ne le désiraient pas moins dans l'expérance de vendre cher leur crédit, et le conseil promettait au régent une ressource infaillible. La chambre de justice fut créée par edit du mois

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