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d'avril 1716, avec l'appareil le plus formidable, et les lois de recherches les plus exactes pour tous ceux qui, directement ou indirectement étaient entrés dans les affaires du roi depuis, 1688. Le zèle des commissaires du conseil répondit à la passion des auteurs de ce rigoureux tribunal. Il prononça des supplices contre des malhereux dont on a cru juste, quelque temps après, de réhabiliter la mémoire. Mais cette épouvante, ces supplices ne donnaient que de tristes spectacles qui excitèrent bientôt la pitié publique. Ils ne donnaient pas cet argent tant promis, et c'est de quoi il était question. Les confiscations étaient enlevées par les courtisans en partie et l'autre ne suffisait pas à payer les frais. Cependant le revenu du royaume et celui des particuliers diminuaient tous les jours. Le commerce, les arts, l'industrie s'anéantissaient de plus en plus; l'usure seule fleurissait et rendait l'argent 30 pour cent, sur les meilleures lettres de change.

Ce fut alors que le régent éprouva que les deux partis qu'on lui avait proposés augmentaient encore le mal au lieu de rétablir le bien. Il revint à un examen plus sérieux des objections qu'on lui avait faites au deux systémes six mois auparavant et examina les moyens de parvenir à un milleur succès. Ils se réduisaient au simple rétablissement du crédit et de la circulation qui devaient opérer infailliblement le rétablissement de tous les biens du royaume. cette matiere n'était pas connue et voyez comment elle lui fut expliquée.

Toute la finance se réduit à deux principes, savoir; les fonds de terre auxquels le travail donne la production, et l'industrie du commerce qui lui donne la valeur.

Le commerce détermine le dégré de la culture selon de dégre du débit des productions de la terre qui fournit aux hommes le necessaire et le superflu. C'est ce superflu qu'on échange avec l'etranger quand tout le nécessaire ne se trouve pas chez soi. La terre porte dans son sein tous les besoins des hommes. Le commerce les encourage au travail par la récompense qu'il leur procure. Ainsi l'union de l'industrie de la culture de la terre et l'union de l'industrie du commerce sont les principes originaires de tous les biens dont les hommes jouissent.

L'argent n'est un principe ni un bien par sa propre nature; mais il en est devenue un par la faculté relative que les hommes sont convenus de lui donner avec les véritables biens. Il produit sur eux de très grands effets qui sont utiles ou nuisibles selon la manière dont il est conduit, pour le connaitre, il faut examiner l'usage auquel il est raisonnablement déstiné. Les hommes l'ont choisi pour la commodité de l'échange et sout convenus qu'il serait le gage réel et le signe de la tradition réciproque de toutes denrées et marchandises. Ils l'ont rendu aussi le salaire de leur travail et quoiqu'avec ces attributs, il continue d'être simplement un moyen et non pas un vrai principe: cependant, il décide souverainement de l'abondance ou de la rarété des véritables biens.

L'argent perd une partie de sa valeur á proportion du mouvement

qu'il acquiert et alors il procure beaucoup de bien. Vailà sa fonction raisonable.

Il acquiert de la valeur à proportion que son mouvement deminue et qu'il demeure dans le repos. C'est alors que les biens qu'il devrait produire s'arrêtent et demeurent suspendus. Ainsi, il y a une communication de perte et de valeur entre l'argent et les fonds qui arrive toujours aux dépens l'un de l'autre.

Quand il est rare et en repos, les fonds, le travail, l'industrie et le commerce languissent faute de récompense et perdent leur valeur que l'argent leur enlève et s'approprie aux dépens de ces veritable biens dont il devient le dominateur tyrannique. Voilà son effet nuisible.

C'est alors que les possesseurs de l'argent jouissent seuls de l'abondance qui doit etre partagée entre tous les hommes et que les fonds de terre, les revenus de ces fonds et l'industrie d'un etat n'atteigment pas à la moitié de la valeur dont ils sont capables.

Car l'argent étant établi la mesure commune et comparative de tous les biens, s'il est resserré, ou en donne peu pour achetter les fonds de terre, les denrées, les marchandises, et pour payer le travail de l'industrie; or, comme il y a un beaucoup plus grand nombre de ces véritables biens dans un etat qu'il n'y a d'argent, la perte pour cet etat est infinie lorsqu'il est resserré.

Pour en concevoir l'idée, supposons qu'il y ait un milliard d'espèces en France et qu'à lui comparer les fonds de terre, les maisons, l'industrie et le commerce, on les estime vingt fois d'advantage seulement, si la moitié de ce milliard cesse d'être en mouvement, les 500 millions restant vaudront le double de ce que valait le milliard; c'est à dire qu'on payera avec un ce qu'on payait auparavant avec deux c'est par conséquent une valeur du double transmise à l'argent, qui fait une diminution du double qui s'étend sur les fonds, les maisons, l'industrie et le commerce, et comme il y a 20 fois plus de ces biens qu'il n'y a d'argent, un de valeur qu'il a acquis en fait perdre 20 à l'etat.

Il est vrai que cette perte est imaginaire à l'égard des fonds qui ne sont pas en vente, puisqu'elle leur est restituée dans des temps de circulation, mais elle est très réelle à l'égard de ceux qui sont à vendre et à l'égard des denrées, des marchandises, du travail et de l'industrie qui s'offrent toujours à vendre et qui ne tirent leur valeur que de la vente.

Le transport de l'argent étant sujet à des frais, à des risques, à une perte de temps qui retarde les affaires, fit chercher autrefois le moyen de remédier à un inconvénient si nuisible au commerce. On imagina les lettres de change. L'usage s'en étendit peu à peu avec utilité: on s'apperçut que ce moyen, en faisant la représentation de l'argent, le multipliait et multipliait le commerce de la même maniere qu'aurait fait l'argent, s'il y en avait eu une plus grande quantité. On s'apperçut aussi que l'argent tout seul ne suffisait pas à mettre en valeur les fonds et l'industrie; qu'une partie en restait languissante

et qu'il était nécessaire d'y joindre le secours du crédit pour les

animer.

Le crédit est le synonime de l'argent, qui le prévient et qui se présente partout où l'argent manque et où il ne peut pas arriver assez tôt. Il est le gage et la caution que l'argent viendra prendre sa place; il la remplit réellement et sa seule promesse produit dans toutes les mains où il passe le même effet que l'argent. Quoique l'argent ne se livre que dans une seule des mains où le crédit aura passé, il attire l'argent après lui qui ne peut l'atteindre, car il ne peut l'égaler dans la rapidité de son mouvement, et il suffit qu'il le joigne quelque fois et qu'on soit persuadé qu'il le joindra toujours. Ainsi il satisfait beaucoup mieux à tous les différens besoins du commerce, car il impèche qu'aucune entreprise ne soit retardée ou qu'elle n'échoue. Il s'offre à ceux qui en ont besoin pour l'exécution de leurs projets; il en réveille et en fait naître l'idée dans l'esprit des hommes industrieux quand ils voyent que le moyen de les accomplir ne leur manquera pas. Son activité et son mouvement ne souffrent aucune nature de bien dans l'oisiveté et dans la langueur. Il se multiplie de lui même et en se multiplians il multiplie le bien public. Vires acquirit eundo: pourvu qu'il soit conduit avec prudence et qu'on ne l'effarouche pas en voulant le prodiguer où le contreviendre, car alors il disparait et ensevelit l'argent sous ses ruines. L'usure renait aussitôt et signale son triomphe en arrachant aux fonds, à la culture, au commerce et à l'industrie la valeur que le crédit leur avait données. Elle la transmet à l'argent et enrichit tous ceux qui la possèdent aux dépens des biens plus véritables et plus étendus. Les faibles lois ont beau la menacer, elle en devient plus forte et augmente ses ravages jusqu'à ce qu'on fasse renaître le crédit et la circulation qui sont ses veritables et ses seuls bourreaux. La peine n'en est pas légère pour les usuriers; on en peut juger par leurs mouvements et par leurs cris, dès qu'ils sentent qu'on leur apprête le supplice de la circulation, pour rendre aux biens fonds et au commerce la valeur que l'argent avait usurpée sur eux.

Les ministres qui ont gouverné les finances depuis 30 ans n'ont connu ni la nature du crédit ni son effet. Ils ont été uniquement attachés à tirer l'argent du peuple; tout moyen leur a semblé bon sans aucun égard au dommage qu'en recoivent les fonds: et ils ont travaillé à donner à l'argent dont ils avaient tant besoin une valeur pernicieuse qui les enprivait et à oter aux fonds, à l'industrie et au commerce une valeur qui leur aurait toujours fourni de l'argent. Ils ont ignoré. 1°. Que les opérations de finance doivent étre d'une nature à ne pas nuire au commerce, en faire de contraires, c'est prendre de son fonds pour sa dépense courante; 2°. Que les peuples tirent le moyen de payer par la consommation et le commerce, que quand l'un et l'autre diminuent, le moyen de payer diminue dans la même proportion. 3°. Que le paysan et l'homme d'industrie font subsister l'etat et doivent par conséquent étre ménagés. S'ils ne le sont pas, le nombre des contribuans diminue et se trouve, á la fin, réduit á des malhereux qui sont insolvables. 4°. Que celui qui VOL. II.

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travaille à tirer toujours l'argent des peuples sans prendre soin de leur donner les moyens d'en gagner par la protection du commerce et de la consommation, est semblable au laboureur qui voudrait continuer de faire des recoltes, sans continuer d'ensemencer ses terres. 5°. Que les peuples sont le vrai trésor du roi; que ce trésor est bientôt épuisé si l'on ne prend soin de le remplir par une attention perpétuelle à favoriser le commerce et à repousser l'usure et la maltôte. 60. Que le produit des impositions ne doit pas etre partagé entre le roi et les traitans, mais que ce qui est levé sur les peuples doit entrer en entier dans les coffres du roi.

C'est par une route diamétralement opposée à ces principes incontestables que la finance a été conduite. La nécessité des affaires demandait du crédit et une grande circulation: on faisait des traités, des créations de charges et des rentes à gros intérêts. Par les traités le roi ne recevait qu'une faible partie de ce que le peuple payait: par les créations de charges, le nombre des contribuans diminuait et il ne restait que des pauvres pour acquitter la même quotité d'impositions; par les créations de rentes, le roi s'endettait sans recevoir d'argent, car elles étaient formées de dettes déjà contractées; ainsi ses ministres rassemblaient les matériaux d'une grande banqueroute. Il n'a pas été employé d'autre ressource. Celle des billets de monnaye pouvait devenir un vrai crédit très salutaire, si on ne lui eût pas imprimé dès sa naissance le vice d'un interêt qui annonçait sa chûte prochaine. Dans la suite on convertit ces billets en rentes. On fit une refonte et on affaiblit la monnaie. On fit revivre la caisse des emprunts avec un gros intérêt qu'on ne put payer. On augmenta le nombre de ce papier à proportion de la valeur qu'il perdait sur la place, c'est-a-dire que lorsque la rente d'un million de billets de la caisse des emigrants qui lui avait produit 500,000 ne produisait plus que 250,000, on en faisait faire pour deux millions afin de tirer le même argent. Il y eut un semblable débordement de billets de receveurs généraux de marine, d'ustensiles, d'assignations et autres. La Caisse de Legendre qui avait attiré quelque confiance fut aussitôt abandonnée; enfin tous ces temps là se passèrent à sentir la nécessité du crédit, à le chercher, à ne le pas trouver et à le ruiner, à en etablir sans se préparer à le soutenir et à en apprêter de nouveaux pour substituter à la place de ceux qui étaient discrédités, tant qu'il serait possible de rencontrer des dupes. Il n'est pas étonnant qu'une telle conduite ait chargé le roi d'une dette immense, qu'elle ait embarrassé les biens et les personnes de ses sujet par des dettes réciproques qui les tiennent à la gêne. Il est aisé de sentir que tant d'obstacles ont enlevé aux fonds, au commerce et à l'industrie presque toute leur valeur naturelle, qu'il est impossible de leur restituer sans l'etablissement d'un véritable crédit synonime de l'argent qui, par sa vive circulation, brise tous ces liens et ranime toutes les parties du royaume qui sont en lethargie. C'est le premier pas qui peut conduire vers le bien et l'effet fera bientôt voir et sentir la différence et ce qu'on doit attendre dans la suite.

. On regarde peut être l'établissement d'un crédit comme un ouvrage d'une difficulté insurmontable et cependant il est facile d'y

réussir. Pour en convenir, il suffit, d'observer toutes les différentes espèces de crédit qui ont été présentées en Hollande, en Angleterre et à Venise où elles ont été reçues avec succès.

Il est vrai cependant que la banque de Hollande a souffert de grandes contradictions de la part du peuple, mais les magistrats éclairés et fermes ont eu le courage de persévérer et d'employer jusqu'aux supplices pour faire accepter au peuple ignorant le moyen qui devait un jour leur procurer toute la puissance et l'abondance qu'ils ne pouvaient jamais obtenir par une autre voie.

L'Angleterre, en ayant observé par le succès, a établi ses crédits sous beaucoup de formes différentes qui n'ont trouvé aucun obstacle de la part des peuples, et toute l'Europe y a même eu confiance.

Venise a souvent fait banqueroute et dès le lendemain de ses banqueroutes a présenté d'autres crédits qui ont été reçu.

La France n'a jamais eu de vrai crédit, mais toutes les dettes exigibles du roi, connues sous tant de noms différens on fait une espèce de crédit qui tirait sa valeur journalière de l'opinion d'un chacun et cette opinion allait toujours en diminuant parceque le ministre ne faisait que des opérations capables de la dimineur. Le ministre, pour trouver toujours le même argent multipliait toujours les papiers de crédit et ne prenait pas garde qu'il multiplait encore plus la méfiance, et par là tout l'advantage qu'il prétendait en retirer lui échappait et il accablait le roi de dettes qui n'avaient aucune proportion avec l'argent qu'il tirait du peuple et le jetait dans la nécessité de faire banqueroute.

Il est facile de conclure de là que le peuple est toujours disposé á recevor du crédit; qu'il ne peut se dispenser de le recevoir, quelque méfiance qu'il ait; que la raison du despotisme qu'on oppose à l'établissement du crédit est fausse à cet égard, et qu'elle n'est vraie qu'à l'égard de la méfiance qu'elle inspire; que, malgré cette defiance le crédit sera reçu toutes les fois qu'il plaira au roi de le presenter et qu'il est facile de détruire peu à peu cette défiance par le choix d'un crédit qui mette hors d'etat d'avoir besoin de commetre les infidélités passées.

Quand l'autorité et la force seraient nécessaires pour l'établir, il faudrait l'employer, car elle est juste quand elle est utile, mais il est facile de s'en passer en élevant le crédit et en l'étendant par des moyens libres et doux.

Ši on voulait réfléchir à toute la force dont on a eu besoin pour exécuter les opérations violentes qu'on a exercées pour tirer l'argent des peuples pendant près de 30 ans, opérations qui conduisaient à en faire d'autres encore plus violentes, pourrait on faire quelque difficulté d'appliquer cette autorité à l'exécution d'une opération bien faisante? C'est pourtant sur cela qu'on hésite et qu'on tremble; mais on est hardi jusqu'à la fureur quand il est question d'opprimer le peuple et le roi, et cela parcequ'on est dans l'usage de la faire, et que celui qui le fait est autorisé par l'exemple de ceux qui l'ont précédé, malheureuse éducation! Prejugé fatal qui condamne à la misère tout un grand peuple que bien a fait naître au sein de l'abondance.

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