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peuples, se déclarèrent exprès la guerre pour se procurer des hommes: guerres si sanglantes. que pour se procurer 500 esclaves il faut en détruire plus de mille. Leur aveuglement fut poussé si loin qu'ils firent des incursions chez leurs propres sujets; et à l'aide du feu, de la violence ils se procurèrent des esclaves.

Ces exemples pernicieux furent suivis par de simples particuliers. On vit le riche séduire le pauvre; le rusé surprendre le stupide; le fort se jetter sur le faible. On ne trouvoit sur les chemins que des brigands qui enlevoient indistinctement hommes, femmes et enfans, en un mot les méchans faisoient main-basse sur tout ce qu'ils rencontroient. Et afin d'étouffer les cris de la nature violentée, on mettoit des bâillons aux victimes et on les envoloppoit dans des sacs. Les Européens ex-mêmes vont à la découverte des nègres; rencontrés par troupeaux ils tomboient sous le tranchant du sabre ou du plomb meurtrier. En un mot c'est par les horreurs de la persécution qu'on a augmenté le nombre des esclaves.

Cet odieux commerce étant répandu dans ces malheureuses contrées, on y voit l'industrie, ajouter de nouveaux moyens pour nour

rir la cupidité des Européens. On nourrit dans des magasins de nombreuses générations, et aussi-tôt que les enfans sont on peu grands on les arrache du sein maternel pour les vendre.

L'intrigue se montre dans ce pays de plusieurs manières. On y voit des hommes s'associer, former des caravannes et ramasser çà et là de malheureuses victimes, à qui on passe la tête dans une longue et pesante fourche, ou le poignet dans une lourde pièce de bois; et les bras liés on les conduit comme des troupeaux de bêtes à travers des déserts arides, on les livre ensuite à d'autres courtiers qui les jettent pieds et poings liés, comme des veaux dans des chaloupes, et ceux-ci vont les vendre à un capitaine qui, sans pitié, les enchaîne de deux en deux et les accumule (1) dans son vaisseau, où ils sont suffoqués par la puanteur et par la chaleur. Un élément funeste, une mauvaise nourriture et des maladies viennent augmenter le désespoir. Quelques-uns se laissent mourir d'inanition ou se détruisent par le fer s'ils le peuvent; d'autres se révoltent

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(1) En France on met un nègre par un espace de tonneau, et en Angleterre cinq par un epace de trois

tonneaux.

on les met à la torture et ils deviennent la pâture des poissons. Ceux qui échappent à une mort forcée ou volontaire arrivent à plaines voiles en Amérique pour y recevoir les chaînes d'un esclavage perpétuel.

L'intérêt, écartant la pudeur, on examiné en détail ces malheureux, non comme des êtres à qui on veut faire du bien, mais comme des animaux dont on espère retirer un grand lucre. Si dans la vente il s'en trouve qui soient unis par les liens les plus sacrés, on les sépare cruellement, sans aucun égard pour leur douleur, leurs larmes. Arrivés à leur destination on leur pose le sceau ineffaçable de l'esclavage, et un fer brûlant est le crayon dont se serc une main sacrilége pour tracer sur le corps de l'homme esclave le nom de l'homme maître.

Destinés au travail, soit à la culture des terres, soit à faire le service domestique, ils sont plus ou moins maltraités, suivant l'intelligence des sujets; suivant la dureté des maîtres, des économes, des commandeurs; suivant le caprice des femmes, des enfans; suivant des loix plus ou moins sages, plus ou moins exécutées. Une case étroite, sans commodités est la demeuré de ces cultivateurs. Quelques plan

ches élevées pour se garantir de l'humidité est un repos de luxe pour un malheureux qui souvent couche à terre sur quelques nattes, enve◄ loppés d'une couverture déchirée. De la cassave, des bananes, des pommes de terre, du maïs, des pois, et quelquesfois du riz, de vieilles farines pour biscuit est leur nourriture ordinaire. Mal nourris ils volent; excédès de travail ils décampent: toutes ces fautes sont rachetées par des coups redoublés. Plus les maîtres sont injustes, durs, capricieux, féroces, plus les esclaves sont voleurs, paresseux, fuyards, entêtés et cruels : quelques faits isolés ne détruisent point cette vérité générale.

Quel tableau que celui des colonies! Voir des êtres ambulans, la plûpart nuds ou couverts de haillons, plusieurs chargés de fers. De tou tes parts entendre des cris, des hurlemens qui déchirent l'ame; le cœur est affligé de mille manière : là, c'est une négresse qui en donnant à têter un sang âcre, échauffé, arrose de ses larmes le gage précieux de son amour; ici c'en est une autre, qui trop tyrannisée, craint de donner le jour à un être sensible et arrête la nature dans son ouvrage. Plus loin c'est un nègre qui expire sous les coups de fouet redou

blés, tandis qu'ailleurs on fend l'oreille à son semblable, ou on lui coupe un nerf pour l'empêcher de fuir, et s'il fuit il est atteint du plomb meurtrier.

C'est ainsi, que passant de cruautés à de cruautés plus grandes encore, le cœur des colons s'endurcit, et devenant des barbares ils rendent déplorable la situation de leurs esclaves, les désolent, et à force de scélératesses parviennent à en faire des scélérats eux-mêmes. Aussi voit-on souvent des nègres tyrannisés, méditer en silence les moyens d'assouvir leur vengeance. Tantôt ils empoisonnent leur maître, tantôt leurs propres camarades, tantôt les bestiaux aussi a-t-on vu des atteliers entiers. ; périr en peu de tems; quelquefois le désespoir les porte à se détruire eux-mêmes. Telle est, la marche graduelle des attrocités ; l'alternative d'un nègre est de souffrir perpétuellement ou de devenir criminel. Cruelle destinée que celle d'un esclave!

Le code noir et toutes les différentes ordonnances relatives aux esclaves, n'ont été que de faibles barrières à la tyrannie des maîtres. S'ils ne font plus appliquer la question ils les assomment de coups; s'ils ne font plus donner

que

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