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l'affranchissement de leurs esclaves, ils doivent donc se prêter de bonne volonté à une opération honorable, salutaire qu'exigent l'humanité, les circonstances et leur propre intérêt.

Ayant prouvé les abus de la traite, ceux de l'esclavage; ayant proposé les avantages de leur abolition, ceux de leur remplacement, je pense que l'on s'occupera sérieusement du sort des nègres. Mais comme l'esclavage a entraîné une infinité d'abus; que les injustices se sont multipliées sous un régime oppressif, il est essentiel de jetter un coup-d'œil rapide sur l'administration des colonies et sur les mœurs de leurs habitans; de prouver la nécessité des réformes et d'en faire appercevoir les avantages; c'est le sujet du dernier chapitre.

CHAPITRE V.

Apperçu sur les colonies et notament sur ce qui a trait au préjugé; réformes à faire et les avantages qu'il en résultera.

J'AI déja fait un tableau de l'esclavage dans les colonies; ce tableau est hideux jusque dans

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ces plus petites nuances; et plus il est horrible, et plus il s'approche de la vérité. Le lecteur sensible doit s'en affliger; mais il doit trouver sa consolation dans l'espoir de voir cesser c'es horreurs; c'est aux gouvernemens qu'il appartient de les faire cesser, et par là ils se racheteront du crime qu'ils ont commis, lorsqu'ils ont autorisé, favorisé les commerçans à faire le trafic abominable des Africains.

L'esclavage en lui-même est un grand mal; mais il entraîne encore avec lui une infinité d'abus et de crimes qui corrompent les mœurs et anéantissent toutes les vertus sociales.

Indépendemment des monstruosités attachées à l'esclavage, les colonies offrent un spectacle révoltant pour ceux qui ont des mœurs; la mauvaise foi, la volupté, la cruauté s'y présentent sans cesse sous des formes différentes.

Le préjugé s'y fait sentir aussi de plusieurs manières préjugé de profession; préjugé de fortune; préjugé de naissance et de couleur; celui-ci est le plus fort et le plus répandu. Peu perceptible parmi les Portugais; presque núl chez l'Espagnol, il est fort sensible chez l'Anglais, et il est terrible parmi les Français. Ce préjugé, sur la coulenr de l'épiderme et sur

Forigine de l'esclavage, et dont les causes ne peuvent être attribuées, d'une part qu'à la nature et de l'autre à la cruauté de nos pères, ce préjugé absurde et injuste paraît prendre sa source. dans la jalousie des premières femmes blanches qui passèrent en Amérique. Les femmes de couleur étant, par la fortune, par la conduite préférées aux blanches, sans fortune, sans conduite, cette préférence fit concevoir la haîne qui donnât jour au préjugé. Nourri par les nombreuses alliances des filles de couleur avec les blancs, il prit de nouvelles forces, lorsque les femmes blanches se multiplièrent dans les colonies; mais en 1768 il fut porté à son comble, et depuis la tyrannie s'est donnée de l'extension aux dépens de la justice; les lois les plus saintes, les droits les plus sacrés ont été violés.

La classe des gens libres est intéressante. Les hommes, presque tous grands, robustes intelligents laborieux et même plusieurs avec des lumières, sont, par leur bravoure, leur fermeté les plus fermes ramparts des colonies. Une fierté mêlée d'orgueil les fait comporter avec honneur. Chez les femmes on trouve de l'aménité, de l'activité, et sur-tout de l'humanité ; plusieurs mêmes sont blanches et ont des

graces relevées par une éducation soignée. Quand à tous ces titres on y joint des considerations bien puissantes: telles qu'une popula tion en nombre, au moins égale à celle des blancs; la possession d'un tiers des terres ; celle d'un quart des esclaves et enfin supportant, par les contributions publiques, par le service de police, les plus grandes charges de la société; considérant encore que les colonies sont le berceau comme le tombeau de cette classe indigene, plus propre à faire fertiliser la terre que les blancs, naturellement portés à finir leurs jours en Europe. Quand, dis-je, on réunit tant de qualités, on ne voit pas pourquoi ces créoles ne partageraient pas les avantages, les faveurs des sociétés qu'ils font fleurir.

Les blancs à préventions et à prétentions, craignent que les gens de couleur, considérés comme citoyens, parviennent à partager avec eux les places. Et pourquoi pas s'ils ont les qualités requises? D'ailleurs ce ne serait pas nouveau.

L'injustice de ces blancs est colorée du prétexte que si les sangs mêlés s'élevaient à la dignité de citoyen, les esclaves secoueraient leurs chaînes. Ce prétexte est ridicule : car un esclave, comme un domestique, plus il voit son maître.

puissant plus il le respecte. Il y a plus, l'esclave, voyant l'affranchi l'égal du blanc, aura pour lui ou pour sa pòstérité ce flateur espoir. Jusques-là il sera retenu dans l'obeissance par l'homme de couleur qui a intérêt de conserver ses propriétés.

Ainsi on ne peut, sous prétexte d'une polititique locale, sacrifier une classe d'hommes utile, à l'ambition et à l'orgueil de quelques blancs injustes; on ne peut arrêter le cours des lois bienfaisantes; on ne peut mutiler, cicatriser la liberté que les gens de couleur tiennent de la nature, et des loix (1) ou de la justice de leurs pères et de leurs maîtres.

Le préjugé qui pèse fortement sur les gens de couleur, réuni à l'esclavage qui abruti les négres, sont des exemples frappans et funestes pour les enfans blancs. Entourés de gens sans cesse occupés à prévenir leurs

"

(1) L'art. IX de la déclaration de 1685 porte: ❝ octroyons aux affranchis les mêmes droits, priviléges et immunités, dont jouissent les personnes nés » libres. Voulons qu'ils méritent une liberté acquise, » et qu'elle produise en eux tant pour leurs personnes » que pour leurs biens, les mêmes effets que le bonheur » de la liberté naturelle cause à nos sujets

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