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DES COLONIES

ET

DE LA TRAITE DES NEGRES.

On traite de l'utilité des Colonies; des rapports des Blancs entre eux et les gens de couleur libres avant la révolution ; des esclaves; des traitemens auxquels ils étaient assujettis ; de la révolution dans les Colonies; de la nécessité d'y rétablir l'esclavage; de la traite des Nègres, et enfin de leur transport dans les Colonies.

CHAPITRE PREMIER.

De l'utilité des Colonies.

Sous l'ancien régime, on a souvent agité la question de savoir si nos Colonies ne nous étaient pas plus à charge qu'avantageuses. Cette question, que le gouvernement n'avait pas cru devoir trancher, était de nature à rester d'autant plus long-temps indécise, que la cause se plaidait devant des juges, indifférens pour la plupart, et tous, en général, étrangers à toute espèce d'esprit public. Il fallait une circonstance telle que la révolution pour en préparer la solution: en effet, nos Colonies étant réduites à un délabrement qui les rend à-peu-près nulles, la comparaison de cette espèce de nullité avec leur état antérieur, semble suffire pour faire juger avec connaissance de cause du plus ou moins d'utilité de ces établissemens.

S'il ne s'agissait que de fixer, pour un moment, l'attention d'une multitude indifférente, on ne se permettrait aucune

discussion sur un objet qui, malheureusement, est encore un problême pour bien des individus; mais lorsqu'il ne peut pas exister de doutes sur la sincérité des intentions que le gouvernement a de réparer enfin tous les désordres de la révolution, il ne peut pas être indifférent d'aborder de nouveau la question sur les Colonies, et toute discussion à cet égard devient un devoir, lorsqu'on est convaincu que leur existence est étroitement liée à la prospérité de l'état.

Toute puissance, qui peut en même temps être puissance militaire et puissance maritime, ne peut pas impunément se borner à une seule de ces facultés; il faut qu'elle les réunisse au même degré que les puissances avec lesquelles elle est susceptible d'entrer en rivalité. Ainsi il faut que les forces militaires soient telles, qu'elles puissent balancer celles des puissances purement militaires, et qu'il en soit de même à l'égard des puissances essentiellement maritimes. Notre position avec l'Angleterre démontre, d'une manière évidente, la vérité de cette assertion.

sources,

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Une puissance, quelque nombreuses que soient ses resne peut pas restreindre à ses flottes la faculté de former, d'entretenir et de perfectionner les marins qui lui sont nécessaires en temps de guerre; il lui faut un moyen auxiliaire: le commerce, qui instruit en même temps qu'il alimente les marins que la paix lui confie, est le seul moyen dont on puisse se servir pour augmenter les ressources sans augmenter les dépenses; et comme les Colonies peuvent seules donner de l'extension et de la fixité aux relations commerciales, il s'ensuit que, de leur existence, dépend essentiellement l'agrandissement des forces maritimes, et que plus il y aura de Colonies, plus la marine militaire sera susceptible d'extension.

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Quant aux relations commerciales, les Colonies nous étaient d'autant plus utiles que, l'industrie y étant bornée à la culture des productions locales, il fallait y porter indistinctement ous les objets nécessaires aux consommations et aux commodités de la vie. Ces objets y étaient importés par nos bâ

timens ; en conséquence, notre industrie et l'excédant de nos productions avaient, dans les Colonies, un débouché d'autant plus salutaire, que, soit du côté du commerce, soit du côté de l'agriculture, il ne pouvait en résulter qu'une plus grande extension d'industrie.

Enfin, la traite des Nègres offrait encore des ressources immenses au commerce. On importait annuellement plus de vingt mille esclaves dans la seule Colonie de S. Domingue. Ces esclaves avaient été échangés sur les côtes d'Afrique, contre des marchandises fabriquées, pour la plupart, en France; ils représentaient, au moment de l'acquisition, une valeur en marchandises de 800 liv. tournois, indistinctement; et, si l'on ajoute à cette première évaluation les frais d'armement, et les cadeaux qu'il fallait faire en Guinée pour commencer et accélérer le complément de la cargaison, on ne pourra se dissimuler aucun des avantages immenses que no- › tre industrie retirait de cette branche de commerce. Nos Colonies étaient donc également utiles, sous le rapport des forces maritimes, et sous le rapport des relations commerciales; aussi, dans les villes maritimes et celles où l'industrie était portée vers la fabrication des objets de consommation nécessaires aux Colonies, la question dont il s'agit ne fut-elle jamais l'objet de la plus légère discussion.

Si ces considérations peuvent rendre évidente l'importance des Colonies, quels tristes sujets de réflexions nous présentent maintenant ces contrées que le fer de la révolution a détruites de manière à s'opposer, long-temps encore, à leur rétablissement! Cette assertion, qui peut paraître hasardée aux yeux de ceux qui n'ont aucune connaissance de l'état des Colonies, avant la révolution, a besoin d'être appuyée de quelques détails sur les relations respectives des habitans de ces établissemens.

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CHAPITRE I I.

Des Blancs et de leurs rapports avec les gens de Couleur

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SOIT esprit de systéme, avant la révolution, soit, depuis, esprit de parti, on a tellement exagéré le tableau des Colonies, qu'il en résulte encore une défaveur pour les malheureux Colons. Cependant si l'esprit de parti ne raisonne pas, l'esprit de systême n'offre pas beaucoup plus de garantie: on peut donc rappeler de leurs jugemens; car, encore qu'ils soient appuyés sur des faits constans, dès le moment que les motifs de ces faits n'ont point été discutés de manière à faire connaître leur plus ou moins de légitimité, le jugement cesse d'être impartial. On se propose donc de détailler, dans la plus exacte vérité, le régime qu'observaient entre eux les différens habitans des Colonies. Le tableau que l'on en présentera ne sera relatif qu'à celle de S. Domingue; mais, sur les autres points du nouveau monde, il existait si peu différence dans l'objet principal, c'est-à-dire, dans la conduite des Blancs envers leurs subordonnés, qu'en se bornant à cet égard à un seul de ces points, une description partielle équivaut à une description générale.

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La population de S. Domingue se composait de Blancs, de gens de couleur libres et de Nègres domestiques ou marons. Les Blancs, à l'exception des Créoles, dont le nombre n'était pas très-considérable, étaient accourus des différens points de la France dans les Colonies, pour y faire fortune. Ce but était l'objet constant de leur industrie; et ils étaient autant actifs et laborieux que le climat pouvait le permettre. Ils vivaient entre eux dans cette douce familiarité qui tient à l'égalité des conditions; la considération que la richesse obtenait, n'altérait en rien les égards dus à la médiocrité. Il suffisait de se présenter pour être accueilli par-tout; et, en

général, dans toutes les habitations, on donnait et l'on recevait l'hospitalité avec une aisance et une affabilité digues des premiers âges. Exclusivement occupés du commerce et de l'agriculture, toute autre science était indifférente aux habitans des Colonies. Aussi ne s'abandonnaient-ils jamais à des discussions métaphysiques. Le travail et les plaisirs se partageaient tellement la journéé, qu'il ne restait rien pour les préjugés et les écarts de l'esprit. On y était parfaitement libre sur les opinions religieuses. Les prêtres n'y exerçaient aucune espèce d'influence; et l'on eût dit que chacun de ces habitans s'était dépouillé du vieil homme en s'embarquant pour la Colonie; enfin l'ordre s'y maintenait avec d'autant plus de facilité que, parmi les Blancs, il n'existait point de peuple.

La vérité de ce tableau frappera nécessairement toutes les personnes qui ont habité les Colonies avant la révolution : on y était généralement heureux; et si l'on ne cherchait point à y terminer ses jours, on ne peut s'en prendre qu'à ce penchant irrésistible qui nous entraîne sans cesse vers les lieux qui nous ont vu naître, les uns pour y étaler les produits de leur industrie, les autres pour y mourir en paix.

Les esclaves étant infiniment supérieurs en nombre aux Blancs ; il fallait un moyen magique pour les entretenir constamment dans une subordination telle que l'on pût se passer d'une plus grande surveillance. La police que les Blancs exerçaient sur les Nègres, l'excitait d'une manière puissante; mais on la maintenait plus particulièrement encore par celle que l'on exigeait en même temps des Noirs et des gens de couleur libres, en sorte que les esclaves pouvaient d'autant mieux s'habituer à cette subordination, qu'ils en partageaient le poids avec des êtres libres.

Les Noirs et les Métis ayant reçu des Blancs ou l'existence ou la liberté, on avait eu le droit, dans le principe, d'imposer à ces affranchis les conditions qu'exigeait la sûreté commune. La subordination était la principale de ces conditions; et l'habitude la leur ayant rendue familière, ils n'en

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