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Plusieurs membres. Il y est déjà!

M. le président. M. Jules de Lasteyrie a proposé la formation d'une commission de quinze membres.

L'honorable membre demande sans doute que l'Assemblée déclare l'urgence de sa proposition. (Oui oui!)

Je consulte l'Assemblée sur l'urgence. (L'Assemblée, consultée, prononce l'urgence sur la proposition de M. Jules de Lasteyrie.)

M. le président. L'urgence étant déclarée, la proposition de M. Jules de Lasteyrie sera examinée dans les bureaux avec celle qui vient d'être faite par le Gouvernement et dont je vais entretenir l'Assemblée.

M. le ministre de l'intérieur a présenté un projet de loi dont le but est de faire déclarer en état de siège le département de la Seine et le département de Seine-et-Oise.

Plusieurs voix. Seine-et-Oise seulement !

M. le ministre de l'intérieur. Le département de la Seine est déjà en état de siége.

M. Audren de Kerdrel. Je demande le renvoi du projet de loi, présenté par M. le ministre de l'intérieur, à la commission qui sera nommée pour l'examen de la proposition de M. Jales de Lasteyrie. (Mouvements divers.)

M. le président. Votre proposition viendra lorsqu'il aura été statué sur l'urgence. Je consulte l'Assemblée sur l'urgence du projet de loi.

(L'Assemblée, consultée, prononce l'urgence du projet de loi)

M. le président. Maintenant, je consulte l'Assemblée sur la proposition de M. de Kerdrel,..

M. le ministre de l'intérieur. Je crois que la proposition de l'honorable M. de Kerdrel n'irait pas au but qu'il veut atteindre, c'est à-dire une prompte solution, et qu'elle pourrait soulever une question d'attributions qu'il me parait inutile de faire naître en ce moment. En ce moment, en effet, nous devons éviter les questions et aller aux actes. (Très-bien! trèsbien!)

Je demande que des commissaires spéciaux soient nommés et pour la proposition et pour le projet de loi. Du reste, les mêmes commissaires pourront être nommés pour la proposition et pour le projet. Mais j'insiste pour qu'ils soient spécialement désignés. (Assentiment.)

M. Audren de Kerdrel. Je n'ai pas eu le bonheur de me faire comprendre de M. le ministre de l'intérieur.

Je n'ai pas demandé que le projet de loi déposé par le Gouvernement ne fût pas renvoyé aux bureaux; j'ai demandé qu'il ne fût nommé dans les bureaux qu'une seule commission pour examiner la proposition et le projet de loi.

M. Antonin Lefèvre-Pontalis. Ce serait retarder la solution des questions.

M. le ministre de l'intérieur. Messieurs, j'avais fort bien compris, et j'insiste pour la nomination de deux commissions distinctes, parce que la simplification recherchée l'hopar norable M. de Kerdrel ne serait qu'apparente.

Il n'est pas possible qu'il se constitue une commission qui délibère en permanence et fasse des propositions successives à l'Assemblée. (C'est vrai! c'est vrai!)

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« Monsieur le président,

« Dans sa dernière séance, tenue à Bordeaux le 11 mars, l'Assemblée nationale a invité les représentants élus dans les départements qui ont subi un changement d'état, à ne pas persévérer dans leur retraite et dans leur démission.

« Tout en maintenant dans leur intégrité les réserves que nous avons formulées le 3 mars en faveur du droit imprescriptible de revendication des populations détachées du département de la Meurthe contrairement à leur volonté, nous venons user du droit que l'Assemblée nous a reconnu de rester représentants du peuple français, et nous déférons à l'invitation qu'elle a adressée par une acclamation unanime aux députés qui s'étaient retirés, de reprendre leurs siéges dans son enceinte.

Toute hésitation de notre part, s'il en eût encore existé, serait tombée en face des périls qui menacent la République et la France elle

même.

« Veuillez agréer, monsieur le président, l'assurance de nos sentiments respectueux.

Signé Varroy, A. Brice,

« représentants élus dans la Meurthe. » Voix nombreuses. Très-bien ! très-bien! M. le président. M. Claude m'écrit aussi : « Monsieur le président,

«En présence des intentions unanimes manifestées par l'Assemblée nationale dans la

séance du 11 mars, je retire purement et simplement ma démission.

« Agréez, monsieur le président, l'expression de mes sentiments respectueux et dévoués. » « Signé Claude,

« représentant des Vosges. »

Mention sera faite de ces lettres au procèsverba!.

On m'a demandé la parole pour le dépôt d'une proposition.

M. Clémenceau. J'ai l'honneur de déposer sur le bureau de l'Assemblée, en mon nom et au nom d'un certain nombre de mes collègues, deux projets de loi dont le premier est ainsi conçu :

«Les représentants de la Seine soussignés ont l'honneur de proposer à l'Assemblée nationale le projet de loi suivant :

« Art. 1er. Il sera procédé dans le plus bref délai à l'élection d'un conseil municipal pour la ville de Paris.

« Art, 2. Ce conseil sera composé de 80 membres.

«Art. 3.-Le conseil nommera dans son sein son président, qui aura le titre et exercera les fonctions de maire de Paris.

« Art. 4. — Il y a incompatibilité entre les fonctions de conseiller municipal et celles de maire ou d'adjoint de l'un des arrondissements de Paris. »

Ce projet est signé par MM. Louis Blanc, Peyrat, Schoelcher, Lockroy, Clémenceau, Henri Brisson, Tolain, Tirard, Langlois, Edgard Quinet, Jean Brunet, Millière, Martin Bernard, Greppo, Cournet, Floquet, Razoua et Farcy.

Le second projet de loi que j'ai l'honneur de déposer sur le bureau de l'Assemblée est...

M. le président. Voulez-vous attendre d'abord qu'il ait été statué sur le premier projet? M. Clémenceau. Je demande l'urgence sur la première proposition.

M. le président. Précisément! on ne peut pas statuer sur l'urgence à l'égard de deux projets de loi en même temps.

M. Clémenceau. Je demande l'urgence... Un membre. A la commission d'initiative! M. Clémenceau. Il y a des raisons trèsgraves qui nous semblent militer en faveur de l'urgence. J'aurais voulu, pour ma part, qu'il ne fut pas nécessaire de les exposer, parce que ce à quoi nous tenons avant tout, c'est à ne pas irriter le débat, et je crains... (Interruptions.)

Un membre. Déposez votre projet !

M. Clémenceau. Je vous demande pardon, nous tenons beaucoup à ne pas irriter le débat, et c'est à cause de cela que j'aurais voulu qu'on ne m'obligeât pas à dire pour quelles raisons nous désirons l'urgence. Si cependant un certain nombre de mes collègues y sont opposés, je vous demanderai la permission de vous présenter quelques-unes des principales raisons qui nous paraissent militér en faveur de l'urgence.

Un membre. Ce n'est pas la peine !

Un autre membre. Il suffira de les dire dans les bureaux.

Voix nombreuses. Non! non! Parlez! parlez! M. Clémenceau. Eh bien, messieurs, sans que je veuille entrer dans l'examen des causes

qui ont produit les déplorables événements qui se sont passés à Paris, il y a un fait sur lequel nous devons tous être d'accord, et ce fait, c'est qu'à l'heure qu'il est, il n'y a pas dans Paris d'autre autorité que celle des municipalités. Le Gouvernement a quitté Paris, il a quitté son poste, il faut bien le dire... (Vives réclamations.) M. Dufaure, ministre de la justice. Notre place est à côté de l'Assemblée !

M. Clémenceau. Son poste était... Un membre. Vous voulez irriter le débat. M. Ernest Picard, ministre de l'intérieur. Je demande la parole.

M. Clémenceau. Son poste était là où était le danger!

M. de Rességuier. Et le général Clément Thomas, a-t-il quitté son poste ?

M. Clémenceau. Le Gouvernement nous a laissés à Paris: nous y sommes restés, nous nous sommes efforcés de faire notre dovoir, et je crois que nous l'avons fait.

Un membre. Tout le monde l'a fait !

M. Tirard. Nous avons fait notre devoir et nous avons... (Interruptions)

M. Jules Simon, ministre de l'instruction publique. Quand on se vante de faire son devoir, il faudrait y regarder à deux fois avant de dire aux autres qu'ils ne font pas le leur !

M. Clémenceau. Ce fait est donc constant: il n'y a plus à Paris que les municipalités. C'est la seule autorité qui subsiste.

M. Ernest Picard, ministre de l'intérieur. Et encore elle est contestée!

M. Clémenceau. Et encore un certain nombre de municipalités, comme le dit très-bien M. le ministre de l'intérieur, sont-elles contestées. Cette autorité est absolument insuffisante, et je trouve dans les paroles que vient de prononcer M. Picard un argument qui me paraît très-puissant en faveur de l'urgence que je demande. Il n'y a plus d'autorité à Paris, il en faut une. (Rumeurs sur quelques bancs.) M. Thiers, chef du pouvoir exécutif. Elle est ici! M. Clémenceau. Où voulez-vous la prendre, cette autorité ?

M. de Rességuier. En France!

M. le président. Vous ne pouvez pas dire, devant l'Assemblée souveraine, qu'il n'y a plus d'autorité en France.

M. Clémenceau. Ah! monsieur le président, je n'ai rien dit de pareil. (C'est vrai!) Rien de pareil n'est entré dans ma pensée, et si j'avais prononcé une parole semblable, je m'empresserais de la retirer. Il y a une autorité en France, et c'est l'Assemblée souveraine. (Très-bien! très-bien!) Cela est incontestable.

Je n'en reconnais aucune autre ; je n'aurais pas supposé qu'il fût nécessaire de le dire. Je ne serais pas à cette tribune, si je reconnaissais une autre autorité que la vôtre. (Très-bien! très-bien !)

Seulement, je vous dis ceci : dans la ville de Paris, l'ordre a été profondément troublé par des raisons que je ne veux pas examiner; il n'y a plus à Paris d'autorités constituées, sinon quelques municipalités chancelantes qui, avant peu, seront peut-être impuissantes à contenir le flot qui menace de les déborder.

Si vous voulez sortir de cette situation terrible qui m'effraye, et qui doit vous effrayer

tous, parce qu'il s'agit de l'avenir de la France, si vous voulez sortir de cette situation, il faut créer une autorité de la ville de Paris, une municipalité parisienne, autour de laquelle tous les gens qui veulent que l'ordre soit rétabli, que les choses reprennent leur cours normal, puissent se grouper. (Mouvements divers.)

Cette autorité ne peut sortir que du suffrage des citoyens de Paris. Il est inutile de la chercher ailleurs.

Il est incontestable que le Gouvernement a une certaine autorité sur Paris; mais le Gouvernement a quitté Paris... (Murmures). Paris est en état d'insurrection: voilà un fait qui ne saurait se nier.

Eh bien, messieurs, c'est dans ces circonstances douloureuses, que nous venons vous demander de donner aux citoyens qui veulent rentrer dans la légalité un point d'appui, et je vous le répète, je crois qu'il est impossible de trouver ce point d'appui ailleurs que dans un conseil municipal élu.

M. Ernest Picard, ministre de l'intérieur. Je demande la parole.

M. le président Vous avez la parole.

M. le ministre de l'intérieur. Messieurs, s'il s'agissait uniquement de savoir si la ville de Paris doit posséder un conseil municipal élu, je ne viendrais pas à cette tribune contredire T'honorable préopinant; mais, il vous l'a dit lui-même, il y a en ce moment dans la ville de Paris une insurrection très-grave et d'une natare particulière, qui accepte encore quelques membres des municipalités, sauf à les renverser demain. Eh bien ! je lui demande à lui-même est-il possible, au milieu d'une insurrection pareille et sous la présidence des inconnus qui tiendraient les urnes, de faire des élections? (C'est cela! - Très-bien !)

Je le lui demande. C'est là la première question, et à ceux, messieurs, dont il exprime les désirs, et qui seraient au nombre des insurgés, je répondrai: vous demandez une autorité issue des suffrages de la ville de Paris, mais comment reconnaissez-vous l'autorité de ceux que vous avez nommés vous-mêmes il y a si peu de jours? (Très-bien!) Ils s'adressent à vous, ils rous conjurent de renoncer aux coupables folies qui ont ensanglanté la ville, et vous ne les écoutez pas !

Il y a donc là une situation qui réclame toute la sollicitude de l'Assemblée, et, sous ce rapport, je ne veux pas m'opposer à l'urgence; mais pour que des élections aient lieu, il faut que ces élections puissent être libres...

Voix nombreuses. C'est cela! Très-bien ! M. le ministre. Et il faut que ceux qui les demandent soient les premiers à le comprendre et à le proclamer, et alors je crois que nous serons tous d'accord... (Très-bien !)

M. Tirard. Je demande la parole.

M. le ministre... pour demander non-seulement pour la ville de Paris, mais pour la France tout entière... (Très-bien !), le rétablissement des pouvoirs électoraux. Nous nous unirons dans cette pensée commune. Mais, en ce moment, de bonne foi et en conscience, nous n'avons les uns et les autres, qui désirons le salut de notre pays dans cette crise terrible, qu'une chose à faire, c'est de fermer la plaie qui est ouverte; nous n'avons pas à penser à autre chose. Je ne crois pas mal

heureusement qu'il soit possible de la fermer en acceptant l'urgence sur le projet particulier qui est présenté, urgence qui aurait cette signification : qu'on peut, à titre de transaction, dans les conditions actuelles, faire des élections à Paris. (Très-bien! Applaudissements sur un grand nombre de bancs.)

M. Tirard. Je reconnais avec l'honorable ministre de l'intérieur qu'il est absolument indispensable que les élections soient libres: il n'a jamais été dans notre pensée de faire des élections qui ne le fussent pas. Mais si nous venons vous apporter notre projet, si nous venons vous demander l'urgence, c'est, je vous l'assure, parce que nous en sentons l'absolue nécessité.

Et, permettez-moi de le dire, messieurs, nous avons le droit de parler, non pas précisément au nom de la population parisienne, mais nous avons le droit de vous dire ce qui est absolument indispensable, parce que nous avons fait tout ce qu'il était possible de faire. Paris a été livré à lui-même, le Gouvernement l'a abandonné il y a deux jours. (Vives réclamations.)

M. Thiers, chef du pouvoir exécutif. Ce n'est pas vrai !

M. Clémenceau. Après avoir essayé un coup de force qui a échoué!

M. Jules Favre, ministre des affaires étrangéres. Vous appelez coup de force l'exécution des lois! Voilà le langage qu'on fait entendre ici!

M. le ministre de l'instruction publique, C'est le langage de l'insurrection !

M. Tirard. Permettez-moi, messieurs, d'ajouter peu de mots.

Voilà trois nuits que je passe... (Bruit.) M. le chef du pouvoir exécutif. Nous avons appelé la garde nationale pendant douze heures de suite, et elle n'est pas venue!

M. Tirard. Je vous en prie, messieurs! Les circonstances sont graves, tellement graves que je fais appel à la patience et à la modération des personnes que j'aurais pu blesser par une expression qui n'entrait assurément pas dans ma pensée. (Très-bien !)

Nous avons affronté les plus grands périls depuis deux jours.

M. le chef du pouvoir exécutif. Nous aussi !

Au banc des ministres. Oui, nous aussi ! M. Tirard. Nous ne le contestons pas; mais nous constatons que Paris s'est trouvé... mon Dieu ! je ne blâme personne, trouvé abandonné.

- mais s'est

M. le chef du pouvoir exécutif. C'est Paris qui nous a abandonnés!

M. le ministre de l'intérieur. Paris nous a expulsés!

M. Tirard. Je ne veux pas dire que vous l'avez abandonné; mais vous reconnaîtrez avec moi qu'il n'y avait personne dans les ministères.

M. Dufaure, garde des sceaux, ministre de la justice. On a pris nos ministères! on nous en a chassés !

M le ministre de l'intérieur. Je n'ai pas répondu tout à l'heure à cette accusation; mais la Chambre connaît les faits: les ministres ont été expulsés par la force.

M. le garde des sceaux. Et après résis

tance!

M. le marquis de Grammont. Si les ministres étaient restés plus longtemps, ils auraient été égorgés.

M. Tirard. Je m'exprime donc bien mal, messieurs, pour exciter de telles interruptions? (Bruit.)

Mais, messieurs, je suis un honnête homme et je vous assure que mes intentions ne sont pas blessantes le moins du monde. Je constate un simple fait; je n'incrimine personne; je veux seulement établir un fait que les administrations sont.... mon Dieu! je n'ose pas répéter le mot.... (Vous avez raison !)

Plusieurs voix à droite. Dites : chassées.

M. Tirard. Je n'ai l'intention d'incriminer personne.

M. le marquis de Grammont. Blâmez vos amis, au moins!

M. le comte de Rességuier. Blamez ceux qui égorgent!

M. le président. Veuillez laisser parler l'orateur.

M. Tirard. Ah! permettez, messieurs, permettez-moi de vous dire que ceux qui égorgent nos généraux, nous ne les excusons ni ne les soutenons en aucune façon. (Bruit.)

M. le comte de Rességuier. Nous voulons qu'ils soient flétris du haut de cette tribune.

M. Tirard. Ah! messieurs, depuis six mois que nous sommes sur la brèche, nous croyions avoir donné assez de preuves de nos bonnes intentions pour ne pas être obligés de dire ici que nous répudions toute espèce de solidarité avec des assassins. Oui, c'est là une injure que nous ne méritons pas ! (Applaudissements à gauche.)

Pour moi, je fais appel ici au témoignage des honorables ministres qui sont devant moi : quelle a été notre attitude dans Paris quand nous nous sommes trouvés face à face avec une population à laquelle, pendant trois semaines, nous avons fait manger ce que nous lui persuadions être du pain?...

M. Ernest Picard. C'est vrai!

M. Tirard. Depuis six mois, messieurs, nous avons rempli des fonctions qui n'étaient pas faciles, je vous l'assure... (C'est vrai! c'est vrai!) Et nous sommes aujourd'hui en face d'un péril immense. Nous avons fait depuis longtemps le sacrifice de notre vie, et si nous pouvions sauver la France au prix de cette vie, nous la jetterions en litière à notre pays... (Très-bien! très-bien!); mais je vous assure que je suis profondément humilié à la pensée de me voir obligé ici de venir me défendre... (Non! non!)

Un membre. Personne ne vous accuse! Remettez-vous!

M. Jules Simon, ministre de l'instruction publique C'est un malentendu. Quant à moi, je vous rends avec empressement le témoignage que vous demandiez tout à l'heure pour votre courage et votre dévouement à la bonne cause. (Oui! oui! — Très-bien! très-bien !)

M. Tirard. Messieurs, nous nous sommes trouvés seuls dans nos mairies, sans aucune espèce de pouvoir de nature à nous permettre de prendre en main la situation. Hier matin, je suis allé avec deux de mes collègues au ministère de l'intérieur : le ministère de l'intérieur venait d'être envahi par des gardes nationaux... (Interruption.)

Mais mon Dieu, messieurs! je raeonte, je ne discute pas. (Parlez! parlez!)

Le ministère de l'intérieur était envahi par des gardes nationaux : nous n'avons donc pas pu demander au sous-secrétaire d'Etat, M. Calmon, je crois,- que nous venions voir, les pouvoirs nécessaires pour que nous prissions en mains les rênes du gouvernement........ purement et simplement administratif. A nos risques et périls et au risque très-grand, messieurs, d'être accusés de pactiser avec l'émeute, nous avons pris sur nous, je ne dirai pas le pouvoir exécutif, ni même le pouvoir administratif, mais nous avons pris sur nous de ne souffrir aucun pouvoir au-dessus du nôtre dans nos mairies, et de nous mettre à la tête de toute espèce de mouvement contraire, précisément, à l'insurrection dans Paris.

Cette nuit, nous avons reçu une délégation de M. le ministre de l'intérieur, qui nous a remis des pouvoirs réguliers, et notre situation est aujourd'hui parfaitement nette. L'Hôtel de Ville, vous le savez, est occupé... pas par nous. On nous a fait demander d'entrer en pourparlers avec nous. Nous avions résolu d'éviter toute espèce de collision, toute espèce de conflit; nous avons vu des délégués qui nous ont posé certaines conditions: ces conditions, nous ne les avons pas acceptées. (Très-bien! très-bien!) Nous avons déclaré que nous ne reconnaissions pas à Paris d'autre autorité que la nôtre. (Très-bien ! très-bien!)

Nous sommes les élus du suffrage universel. Il y a, parmi les maires, des membres qui sont investis d'un double pouvoir, celui de représentants du peuple et celui de maires de Paris, et nous n'entendons laisser péricliter entre nos mains ni l'un ni l'autre. (Applaudissements.)

Nous nous sommes trouvés dans cette situation de rechercher quelle était la possibilité d'arriver à rentrer en possession des pouvoirs administratifs et de ne pas les laisser aller à vau-l'eau.

Parmi les causes d'irritation d'une partie de la population parisienne, il en est une qu'il n'est pas inutile de vous faire connaitre; elle ne sort pas de notre sujet. On s'est étonné qu'une partie de la garde nationale n'ait pas répondu à l'appel du Gouvernement. Sans doute c'est regrettable; mais une de ces causes affecte particulièrement le 2e arrondissement qui est le mien, le quartier des banquiers et des commercants. Cette cause, c'est la loi relative aux échéances des effets de commerce. (Bruits divers.)

Messieurs, je suis sûr de ce que j'avance, et je ne veux jamais apporter à cette tribune que des faits dont je puis donner la preuve.

Une autre cause, c'est que Paris est dépourvu de toute administration municipale. Nous avons pensé, peut-être avons-nous eu tort, mais quant à moi je suis parfaitement certain que c'est la vérité, -nous avons pensé qu'en faisant des élections municipales, nous pacifierions immédiatement l'immense majorité de la population de Paris, qui est animée de senuments d'ordre et de sécurité publique. (Très-bien!

Et lorsque nous apposerons des affiches par lesquelles l'Assemblée nationale viendra inviter les honnêtes citoyens à prendre part aux élections, soyez assurés que c'en sera fait de l'émeute. (Approbation à gauche.)

J'ajouterai,

les mesures qu'ils réclament ne peuvent être rises m'autant que la cité sera libre, et que les opérations électorales ne pourraient se faire, qu'entre les mains de ses mandataires réguliers, il me semble que, dans les circonstances actuelles, l'Assemblée ne doit pas hésiter à acepter l'examen d'urgence de la proposition. (Très-bien! très-bien.)

et je réponds ici à l'objection de l'honorable ministre de l'intérieur, à savoir que nous aurions l'air de pactiser avec l'émeute, avec l'insurrection, j'ajouterai que si nous étions mus par une pensée de cette nature, nous avons un moyen bien simple de pactiser avec l'émeute et de faire ce que nous blamons aujourd hui, car il y a une convocation affichée sur les murs de Paris, qui a pour objet la nomination d'un conseil communal, non pas municipal. Eh bien, nous avons déclaré, nous municipalités, que nous nous opposerions à cette élection. Quant à moi, je m'y opposerai... (Très-bien! très-bien !)

M. Clémenceau. Et moi aussi !

M. Tirard. Nous nous y opposerons tous. Nous ne fournirons ni les listes d'électeurs, ni les locaux, ni les urnes, rien de ce qui est nécessaire ordinairement pour les élections. (Trèsbien! très-bien!)

Par conséquent, lorsque nous venons dire à l'Assemblée, nous qui représentons les municipalités parisiennes Nous ne nous reconnaissons pas le droit de convoquer les électeurs sans votre assentiment, et lorsque nous disons à la population parisienne: Vous n'avez pas le droit de faire des élections sans l'autorisation de l'Assemblée nationale, qui est la seule souveraine en France ! lorsque nous disons cela, est-on en droit de nous reprocher de pactiser avec l'émeute ?...

Plusieurs membres. On ne vous a pas reproché cela.

M. Tirard. Je réponds même à l'apparence du reproche. On nous a dit que nous pourrions être accusés de cela.

Soyez en certains, messieurs, quand des hommes parfaitement résolus à faire leur devoir viennent donner, comme je le fais, en ce moment, à cette tribune, aussi bien que cela m'est possible, des explications, des déclarations explicites; quand ils viennent vous dire : Voilà une mesure qui peut sauver Paris! soyez-en certains, la population sera avec vous, la population saine, la population vaillante qui a donné un grand spectacle devant les Prussiens; soyez certains que vous en aurez fini avec l'émeute et que nous ne pactiserons pas avec elle. (Très-bien! très-bien! - Applaudissements sur quelques bancs.)

M. le président. Les auteurs de la proposition demandent que l'urgence soit déclarée.

M. le ministre de l'intérieur. Pardon, monsieur le président! J'aurais une observation à faire, mais je désirerais préalablement la communiquer à mes collègues et les consulter en deux mots seulement.

(Les membres du Gouvernement se groupent autour de M. Thiers pendant quelques secondes.)

M. le ministre de l'intérieur, à la tribune. Messieurs, l'Assemblée a entendu les explications de nos honorables collègues. Elle a eu raison de les applaudir quand ils ont parlé de leur courageuse intervention, et nous nous joi gnons parfaitement à ses applaudissements.

Qu'y a-t-il maintenant entre eux et nous, au point de vue de la question qui est soumise à l'Assemblée? Une nuance peut-être, mais, dans le moment où nous sommes, il ne faut pas s'arrêter aux nuances, et, dès que nos honorables collègues déclarent que, suivant eux,

Il faut, messieurs, rompre peut-être avec quelques habitudes du passé, ne pas chercher les difficultés là où elles ne sont qu'apparentes; il faut, devant les situations graves et critiques, examiner résolument les questions et ne pas marchander l'examen de celles qui sont d'une évidente urgence quand elles se produisent. (Très-bien! très-bien ! Applaudissements sur plusieurs bancs.)

De toutes parts. Aux voix! aux voix !

M. le ministre. Pardon, messieurs ! j'ai voulu être bref et j'ai été incomplet. Permettez-moi d'ajouter, au nom de mes honorables collègues, que nous étions déjà depuis longtemps, et à la connaissance des membres de cette Assemblée, disposés à présenter un projet de loi sur les élections municipales...

M. Jules Simon, ministre de l'instruction publique. Générales, pour toute la France!

M. le ministre. Pour toute la France et sans en excepter Paris.

Il ne saurait donc y avoir sur ce point, dans les explications qui ont été données, de difficulté ni de dissidence. (Non! non!)

Je n'ai pas non plus répondu à un mot qui s'est reproduit plusieurs fois dans les discours de nos honorables collègues...

M. Jules Simon, ministre de l'instruction publique. D'un seul de nos honorables collègues.

M. le ministre de l'intérieur. D'un seul, soit!... et qui l'a retiré lui-même quelques instants après.

Cet honorable collègue a dit que le Gouvernement avait abandonné son poste. (Mouvements divers.)

Quelques membres. Assez ! sur ce point!

-

N'insistez pas

M. le ministre. Si l'honorable membre avait été à l'aris, au poste où se trouvait le Gouvernement, et celui-ci a tenu jusqu'à la dernière extrémité, je le mettrais bien au défi de prononcer, sous ce rapport, une parole de blame. Ce n'est pas dans cette Assemblée, où il est venu lui-même, et où est le poste de ceux qui veulent le salut de la France, que de pareils reproches, dans les circonstances présentes, peuvent être a dressés à aucun des membres du Gouvernement. (Très-bien! très-bien! Aux voix! aux voix!)

M. le président. Je consulte l'Assemblée sur l'urgence de la proposition.

(L'Assemblée, consultée, déclare l'urgence.)

M. le président. La proposition sera renvoyée demain à l'examen des bureaux et affranchie de l'examen de la commission d'initiative.

M Haentjens. Il est bien entendu que la province jouira des mêmes priviléges, sans qu'il soit besoin de les réclamer pour elle! (Mouvements divers.)

M. Lockroy. J'ai l'honneur de déposer sur le bureau de l'Assemblée un projet de loi au nom de plusieurs de mes collègues et au mien.

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