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été certains d'anéantir ces hordes innombrables | jet, seront des mobiles assez énergiques pour d'Allemands, que la vue seule de nos baionnettes aurait pu mettre en fuite?

Un ministre de la Restauration disait: « Faites-nous de la bonne politique, je vous ferai de bonnes finances. » A mon tour, je vous exprimemerai la même vérité, appliquée au sujet même sur lequel vous êtes appelés à délibérer : Rendez-nous un gouvernement national dont l'expression suprême soit tellement identifiée avec nos intérêts, que la foi, l'honneur, la liberté et la prospérité de notre pays soient invariablement le mobile de toutes ses résolutions; à l'instant vous aurez réalisé la plus nécessaire de toutes les conditions pour rendre nos armées invincibles, celle sans laquelle toutes les autres réunies seront toujours condamnées à une impuissance insurmontable. (Bruit général et confus.)

M. Edmond Turquet et plusieurs autres membres. On n'entend pas! Nous réclamons le silence, monsieur le président!

M. le président. Messieurs, nos séances, comme les jours, se suivent et ne se ressemblent pas. (Ecoutez! écoutez!) Je comprends très-bien que les émotions de la séance mémorable d'hier aient affaibli beaucoup l'intérêt de la séance d'aujourd'hui; mais nous devons savoir gré à ceux qui s'arrachent à ce souvenir pour remplir la mission qu'ils se sont imposée, celle de préparer vos travaux et vos délibérations. (Très-bien !)

Je demande donc l'attention qui est le droit de l'orateur et le devoir de l'Assemblée. Mes collègues me pardonneront de le leur rappeler. (Assentiment général.)

M. le marquis de Franclieu. Le service obligatoire peut nous donner le nombre, je le reconnais; mais il lui est impossible d'aller au delà, ainsi que je vais le démontrer avec toute évidence, je l'espère. Le nombre peut devenir une nécessité dans des circonstances exceptionnelles; nous le savons de reste; mais ces exceptions sont trop rares pour que nous fassions de leur existence la loi dominante de tout notre organisme, d'autant mieux que notre puissance législative nous permettra toujours d'aviser en temps opportun, lorsqu'il le faudra, toutes les fois que nous le voudrons. Cela est tellement vrai qu'au mois de juin dernier il n'y avait rien de plus facile que d'avoir sous les armes le million de soldats dont il aurait été possible de disposer au mois de janvier suivant, s'il avait pu suffire d'avoir des hommes pour mettre une armée en ligne.

Et d'ailleurs, serait-il possible que nous n'eussions jamais besoin du nombre que dans des proportions restreintes? A cette question, je répondrai sans la moindre hésitation oui ou non, suivant le degré d'intelligence avec lequel nous aurons su profiter des terribles leçons que nous nous sommes attirées par des prétentions que rien ne saurait réaliser.

Si nous restons en révolution, si nous continuons à n'avoir que des gouvernements de hasard, toujours prêts à nous entrainer dans leur chute inévitable, ah! oui, la force brutale, la plus grande force possible, sera la seule et la vaine garantie de notre existence politique à l'extérieur comme à l'intérieur. Les dangers que nous ferons courir au monde entier, l'effroi et la répulsion dont nous ne cesserons d'être l'ob

inspirer à tous les peuples le désir de se réunir contre nous et de nous faire disparaitre comme nation.

Qui donc a fait germer en Allemagne la pensée de l'unité? Quidonc a réuni dans les mains de la Prusse des moyens dont il lui avait été jusqu'alors impossible de disposer? Pourquoi n'y a-t-il pas eu un seul peuple qui ait osé faire cause commune avec nous? Pourquoi tout cela? Vous le savez aussi bien que moi, messieurs: c'est parce que la révolution française est un foyer de fermentation qui dissout et détruit tout ce qui s'en approche. (Rumeurs bruyantes.)

Voix diverses. Vous n'êtes pas dans la question! Cela est tout à fait en dehors de la question!

M. le marquis de Franclieu. Je vous demande pardon, je donne les raisons qui font que je ne veux pas du service obligatoire.

M. de Melun, rapporteur. Nous ne le proposons pas.

M. le marquis de Franclieu. J'indique les raisons pour les quelles je demande l'ajournement. (Interruption nouvelle.)

Ah! si l'on veut m'interdire la parole, qu'on consulte l'Assemblée ; je suis prêt à descendre de la tribune. (Non! non! Parlez !)

M. de Mahy. Au contraire, nous nous plaignons de ne rien entendre au milieu du bruit des conversations particulières. Nous supplions l'Assemblée de faire silence et de nous permettre d'entendre, afin que nous puissions répondre à l'orateur, s'il y a lieu.

M. le marquis de Franclieu. M. le rapporteur m'interrompt pour me dire que je ne suis pas dans la question...

M. de Melun. Je vous ai dit que nous n'avons pas proposé le service obligatoire.

Un membre. Il s'agit seulement de la prise en considération, et il n'y a pas lieu de discuter la question au fond.

M. le marquis de Franclieu. Eh bien, je demande qu'on renvoie à plus tard la délibération sur la prise en considération, et je donne les raisons à l'appui de ma demande. Je continue.

Si, au contraire, mieux avisés sur nos véritables intérêts; si, éclairés par nos déceptions et par le sentiment qui nous porte à conserver une existence prête à nous échapper, nous avons enfin le courage d'ouvrir les yeux à la lumière et de rentier dans les lois providentielles dont on ne s'écarte jainais impunément; si nous appelons à présider à la grande transformation sociale, enrayée par nos erreurs, le grand principe d'autorité auquel la France avait dù la vie et les magnifiques développements dont elle n'a plus que le souvenir, à l'instant tout change comme par enchantement. Au lieu de rester des victimes dévouées au néant, nous reprenons la première place au soleil; nous redevenons la base fondamentale, le pivot essentiel sur lequel le monde doit reposer et retrou ver sa confiance. L'injure qui nous est faite, les ruines sous lesquelles on a l'insolence de vouloir nous ensevelir, sont des menaces qui glacent le sang dans les veines de toutes les nations. Aussitôt que nous ne serons plus un sujet de terreur pour les peuples, nous les verrons accourir à nous, nous demander une protection

sans laquelle ils auraient à succomber à leur tour, et vouloir par-dessus tout une France grande, glorieuse et triomphante, parce que notre grandeur, notre gloire et nos triomphes seont, comme par le passé, la plus ferme garantie de la liberté et de la prospérité de l'Europe

entière.

Alors, la force morale triomphera de la force matérielle; alors nos armées pourront être réduites à la limite la plus extrême; alors, nous pourrons laisser dans nos campagnes ces populations saines et vigoureuses que le contact des villes, même momentané, aniollit décourage de leurs pénibles travaux, et nous n'aurons plus à exiger de l'industrie, du commerce et de la science de renvoyer à l'âge de vingt-trois ou vingt-quatre ans les études spéciales qu'on ne fait fructueusement, et les habitudes pratiques qu'on ne prend utilement que pendant l'adolescence.

J'ai dit que le service obligatoire ne pouvait donner que le nombre, et qu'en guerre comme en politique, le nombre était complétement impuissant lorsqu'il n'était pas dirigé par la science et par la prévoyance La seconde partie de ma proposition se démontre d'elle-même, je n'ai pas besoin de m'y arrêter. La première n'est pas moins vraie; mais elle demande quelques développements pour convaincre les incrédules... (Exclamations.)

Ce qui a manqué à notre armée, ce sont, de l'avis de tout le monde, les généraux et les cadres de sous-officiers. Il est évident que la valeur des généraux dépend exclusivement du soin avec lequel le chef de l'Etat se préoccupe de choisir les officiers destinés à commander un jour. Si la collation des grades était toujours le prix de la supériorité du mérite militaire et des services rendus, il est hors de doute que le niveau moral de toute l'armée s'élèverait rapidement à la plus grande hauteur; mais c'est là une question étrangère à celle du service obligatoire.

Reste celle des cadres de sous-officiers. Ici l'influence du temps pendant lequel on doit rester sous les drapeaux joue un rôle prépondérant.

On se plaint universellement de ce que la difficulté de former des sous-officiers augmente tous les ans dans des proportions ficheuses. Que sera-ce donc, lorsqu'au lieu de passer cinq ou six années au régiment, on pourra n'y rester que de un à trois ans? Or, s'il est possible d'apprendre l'exercice en peu de mois et de plier un homme à la discipline en trois ans, il n'en est plus de même pour le sous-officier. Celui-ci est vraiment la force de son corps. Toujours en contact avec un petit nombre de soldats, c'est de lui seul que dépendent l'instruction, l'activité, le courage et la discipline de ceux qu'il a sous ses ordres. Il lui faut donc, en dehors de la science de son métier, acquérir celle du commandement et réunir au coup d'oeil et à l'expérience une résolution suffisante pour enlever ses hommes: toutes choses qui ne s'acquièrent que par une longue pratique et par une grande bonne volonté. Trois années seront bien insuffisantes, puisque avec six on n'y parvient pas.

Les partisans du service obligatoire répondent à cette objection en disant que, tout le monde étant forcé de payer la dette du sang, il

y aura dans les rangs une multitude de jeunes
gens déjà tout instruits, dont les aptitudes se
développeront avec une bien autre rapidité que
par le passé. Je ne conteste cela en aucune fa-
con; mais l'expérience en démontrera immé-
diatement l'inutilité. En effet, l'avenir réservé
à ces jeunes gens d'élite ne sera pas de nature
à leur inspirer la bonne volonté, sans laquelle
on n'est propre à rien.

Tous préféreront passer l'examen proposé, à
la suite duquel ils pourront se retirer au boutd'un
an, plutôt que de contracter des engagements
avec la perspective de devenir sous-lieutenants
de vingt-six à trente ans. Il n'y aura donc rien
de changé à ce qui s'est fait jusqu'à présent, si-
non une grande aggravation dans la pénurie des
sous-officiers, par suite de la substitution d'une
période de trois années à celle de six.

M. Calemard de Lafayette. Mais ma proposition ne dit rien de tout cela!

M. le marquis de Franclieu. Je demande qu'on remette à plus tard la discussion de votre proposition, et je donne mes raisons.

J'aurais à répondre au désir unanimement manifesté de faire disparaître les remplaçants payés, s'il s'agissait de vous proposer un projet au lieu et place de celui qui vous est soumis. Je crois que cela serait prématuré, et qu'il est prudent de traverser d'abord la triste période provisoire dont nous ne saurions encore assigner le terme.

Je n'ai rien dit de ce qui concerne la cavalerie et l'artillerie... (Réclamations.) Si les considérations que j'ai eu l'honneur de vous soumettre sont vraies pour l'infanterie, elles le sont bien autrement pour les armes spéciales, qui exigent des connaissances toutes particulières.

Je ne terminerai pas sans appeler votre attention sur les charges qu'entrainerait l'application des projets déjà formulés. Nous aurions toujours disponibles, en armée active et en réserve, à l'état de rassemblement, plus d'un million d'hommes qu'il faudrait entretenir et solder. Cela seul suffirait pour nous arrêter net dans l'état où sont nos finances.

On a parlé de nouveaux impôts à établir. c'est très-bien en théorie; mais il n'en est plus de même dans la pratique: un peuple ne peut fournir que jusqu'à une certaine limite; lorsqu'on veut ajouter au delà, les produits des anciens impôts diminuent dans une progression croissante, parce que toutes les sources du travail sont atteintes.

Ainsi donc, messieurs, je repousse de tout mon pouvoir la proposition qui vous a été soumise, en l'accusant d'être inutile quant au nombre, nuisible pour l'influence qu'elle devrait exercer sur la composition des cadres de sous-officiers, et désastreuse, au point de vue de nos finances, et j'appelle toute votre attention sur le rétablissement d'un gouvernement national, honnête, intelligent et définitif, comme le seul moyen de rendre à notre malheureuse patrie sa force et son indépendance.

M. de Mahy. Le Gouvernement nommé par l'Assemblée et soutenu par elle est un gouvernement intelligent, honnête et national. (Bruit.)

M. le comte de Melun, rapporteur. Messieurs, je ne suivrai pas l'honorable préopinant dans tous les développements qu'il a cru

devoir donner à son discours. (Très-bien !) Je lui ferai seulement une observation, c'est qu'il s'est trompé de proposition: ce n'est pas la notre qu'il a combattue, c'est celle de M. de Mornay ou celle de M. le général Martin des Pallières.

La proposition qui est soumise en ce moment à vos délibérations ne s'occupe ullement du service obligatoire, ni de l'artillerie. ni de la cavalerie, ni de tout ce qui vient d'être passé en revue... (On rit). Cette proposition n'a d'autre objet que de deman ser la nomination d'une commission de tren e membres pour étudier ces graves questions

La longue discussion à laquelle l'honorable membre s'est livré, et dans laquelle il se montre en désaccord avec un grand nombre d'esprits très-compétents, prouve précisément qu'il est nécessaire d'étudier à fond toutes ces questions. Or, la proposition de l'honorable M. Calemard de Lafayette ne tend pas à autre chose. Je ne crois pas qu'il y ait sur ce point de discussion possible. d'autant plus que la commisson nommée pour étudier la proposition de M. de Morn y admet, comme nous, la nécessité de la formation d'une commission qui puisse s'entourer de toutes les lumières et réunir tous les renseignements nécessaires.

Je ne pense pas qu'il soit besoin d'entrer sur ce point dans plus de développements, et je ne puis que terminer en priant l'Assemblée de prendre la proposition en considération. (Trèsbien très-bien !)

M. le président. Je mets aux voix les conclusions de la commission d'initiative parlementaire.

(Les conclusions sont mises aux VOIX et adoptées)

M. Ernest Picard, ministre de l'intérieur. Je demande la parole.

M. le président. La parole est à M. le ministre de l'intérieur. (Mouvement d'attention.) M. Ernest Picard, ministre de l'intérieur. Mes sseurs, le Gouvernement a reçu la dépêche suivante, que je m'empresse de porter à la connaissance de l'Assemblée :

« Ginéral Paturel à général Furon.

Fort d'Issy pris par 3e qui y est. Faire cesser le feu. »

L'Assemb é comprend l'importance de cetre nouvelle.

Ele me fournira l'occasion de dire que, pendant ces dernières nues, Is troupes qui éta ent charges de cette importante opération ont supporté avec la plus grande intrépidité les feux du fort d Issy, du fort de Vanves et de l'enceinte, qui inqu é aient leurs travaux. Ces troupes ont inontre une résolution au-dessus de touteloge.. (C est vrai! - Ties-ben! res-bien!), et leur valeur, messieurs, est couronnée par un succès qui nous permet d'espé er bento la fin de cette horrible lutte. (Vives et nombreuses marques d'assentiment. Applaudissements.)

1

M. le président Nous reprenons la suite de l'ordre du jour qui appelle la première delibération sur la proposition de M. Gaslonde, relative aux réquisitions exercées contre les particuliers, depuis le commencement de la guerre, par les autorités civils et militaires. Personne ne demande la parole?...

M. Gaslonde. Si l'Assemblée désire que je lui présente quelques développements, je suis à ses ordres. (C'est inutile! — Aux voix ! aux voix !)

M. le président. Je consulte l'Assemblée sur la que-tion de savoir si elle veut passer à la deux ème délibération.

(L'Assemblée. consultée, décide qu'elle passera à la deuxième dél bération)

M. le président. L'ordre du jour est épuisé.. Voici celui de demain :

Demain, à une heure, réunion dans les bureaux pour la nomination:

1° D'une commission pour l'examen de la proposition de M. Courbet-Poulard, tendant à réduire le privilége des propriétaires d'inimeubles en cas de faillite des loca aires;

2o D'une commission pour l'examen de la proposition de M. Clemard de Lafayette et de plusieurs de ses collegues, tendant à la création d'une commission de trente membres, dite de la réorganisation de l'armée.

A trois heures séance publique.

Discussion sur la prise en considération de la proposition de MM. Paul Jozon et Charles Rol and, relative à la loi électorale.

Discussion sur la prise en considération de la proposition de M. Aubry, sur la constatation du domicile en matère électorale.

Discussion sur la prise en considération de la proposition de M. Vetillari, relative à la convocation des conseils généraux dans des circonstances exceptionnelles.

Deuxième délibération sur la proposition de MM. Bompard et Le'èvre-Pontalis, tendant à appliquer l'article 69 du règlement aux cas d'urgence.

Il n'y a pas d'opposition?...
L'ordre du jour est ainsi réglé.

(La séance est levée à quatre heures un quart.)

Le directeur du service sténographique,

CELESTIN LAGACHE.

Annexe n° 213.

Seance du 9 mai 1871

PROPOSITION DE LOL relative aux élections mun cipales, présentée par MM. Charles Rolland, Paul Jozon et Journault, membres de l'Assemblée nationale.

Mes-ieurs, nous avons entrepris une œuvre considérable, en consu'taut moins peut-être nos forces que notre désir d'apportér á Féditi e que doit ériger l'Assemblée nationale une part de ses matériaux. Notre bat, ainsi que nous avons déjà eu Thonneur de vous exper, à l'occasion d'une autre proposition dont celle-ci n'est qu'na des ap pendices, est de fournir à vos délibérations lo texte, ou plutôt le cadre d un code électorai complet A notre avis, s l'une des mesures sentiel les à réducation politique du pays est d'assurer la sincérite, Fintelligence, Fim dépendance de ac tion électorare par une législation à la lois !. nète, libérale et provoyante, il n'est presque pas moins nécessaire que Télecteur, mène le molas familarisé avec les habitudes de la vie publique, soit mis en mesure de bien se rendre compte, sans avoir à prendre conseil de personne, duin' canisme et des règles des diverses votations auxquelles il est appelé à participer, selon qu'il sagira d'investir de leurs mandats particuliers les

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membres des assemblées municipales, cantonales, départementales et nationales.

Nous avons donc vu un important bénéfice à extraire de l'amoncellement de nos lois et à présenter à nos concitoyens, dans un ordre logique, dans un résumé concis, dans un ensemble complet, les dispositions, améliorées selon les leçons de l'expérience et l'évolution des idées, à l'aide desquelles devra dorénavant s'opérer la nomination des conseillers municipaux, celle des maires, des adjoints, des conseillers cantonaux, des conseillers généraux, des députés. On pourrait désirer encore qu'à la codification des lois d'élection la codification des lois d'attribution vint se joindre; et ce sera, nous l'espérons vivement, l'un des monuments législatifs qui sort:ront également des travaux de cette Assemblée. Mais il y aurait au moins inopportunité pour nous à insister davantage, en ce moment, sur un point absolument distinct de celui que nous avons abordé. Aussi n'avons-nous voulu, en commençant cet exposé de motifs, que faire ressortir la conception générale présidant à l'élaboration successive des propitions que nous vous avons déjà soumises et de celles que nous prendrons encore la liberté de vous soumettre.

:

Notre début, messieurs, dans la carrière que nous avons commencé de parcourir, a été la préparation d'une loi embrassant les règles générales applicables à toutes les élections. Elle a déjà subi heureusement sa premiere épreuve votre commission d'initiative l'a jugée digne d'être renvoyée à l'examen des bureaux. Il nous semble permis, en conséquence, de partir dès à présent, comme d'un point acquis, des prescriptions d'ordre commun qu'elle renferme et que votre sagesse améliorera, pour formuler, à titre de complément pratique, les dispositions spéciales à chaque espèce d'élection. Dans cette pensée, voulant de plus nous conformer à la nature des choses, nous nous sommes occupés d'abord de la commune, base de tout l'organisme social et politique. Nous vous apportons donc, en premier lieu, un projet touchant les élections municipales. Si, comme plusieurs vous le conseillent et comme nous oserions vous le conseiller nous-mêine, vous vous décidez à ellacer de nos divisions territoriales l'arrondissement et à instituer le canton, ous essaierions, à défaut de plus habiles, de vous faire agréer notre concep ion de l'organisation et des attributions du conseil cantonal. Les questions qui regardent les conseils généraux sont en de trop bounes mains pour que nous nous permettious d'y toucher; mais nous vous soumettrons, lorsque viendra l'heure opportune, un projet d'ores et déjà préparé par nous sur les dispositions électorales particulières à la nomination des députés. Ce sera la fin de la tâche que nous nous sommes imposée.

Vous jugerez vraisemblablement, messieurs, que l'organisation municipale considérée en ellemême et en faisant abstraction de ses rapports avec le reste de l'organisme national, ne saurait donner lieu à l'examen de beaucoup de questions nouvelies. Là où l'expérience a commencé, il est sage au législateur de tenir compte de ses jugements. Nous ne vous proposons donc des innovations, ou même des perfectionnements, qu'avec une grande réserve. Nous avons prétendu nous garder des entrainements qu la préoccupation trop vive de certains intérêts explique, mais ne légitime pas. Ainsi, nous nous sommes efforcés, en ce qui touche la composition du corps des électeurs communaux, de nous préserver d'un double écueil. Assurément nous attachons, comme la presque unanimité d'entre vous, un grand prix au raffermissement de la vie locale. Nous comprenons également qu'un des principaux moyens de lui rendre sa vigueur est de resserrer le lien de solidarité matérielle et morale entre ceux qui composent la même commune : nous admettons, par suite, qu'il ne faut pas donner facilité trop

ANNALES. - T. I,

grande au passage d'un citoyen d'une agrégation municipale dans une autre. Nous reconnaitrions assurément un inconvénient très-grave à ce que, par une assimilation déraisonnable, de même qu'on porte partout avec soin sa qualité de citoyen qui est une qualité inhérente à tout Français on puisse aussi jouir trop tôt, trop aisément, sous le bénéfice de conditions trop larges, de la spécialité des droits communaux dans toute commune où l'on se transporterait. Le législateur du 2 février 1852 était tombé dans cetie laute. Mais, d'autre part, n'y aurait-il pas aussi abus et peril à s'inspirer exagérément des souvenirs de l'ancien droit de bourgeoisie municipale et de ses rigueurs? Nous avons essayé de Dous tenir à la juste limite inspirée par nos mœurs, par notre état social et industriel qui favor.sent, qui provoquent, pour ainsi dire, ia fréquence des changements de résidence d'une très nombreuse classe de notre population. Au point de vue des liens de rés deuce qui doivent attacher l'électeur à la commune, nous avons donc fait dépen fre l'électorat de l'inscription, depuis un an au moins, sur la liste électorale communale. On verra, si l'on veut bien se reporter à notre projet de loi sur les règles applicables à toutes les élections, qu'en fait, les nauts d'une commune, pour y jouir de leur capacité électorale, devront y résider depuis une année au moins, et les non natifs depuis dix-huit mois. Nous ne croyons pas qu'il soit pratiquement possible de pousser plus loin la restriction sans soulever des plaintes aussi nombreuses que fondées.

Il est superflu, ce nous semble, d'insister dans cet exposé sur certaines modifications d'importance secondaire. Aussi nous ne vous dirons rien sur la suppression qu notre article 2 effectue, dans l'échelle proporti nelle de la population à la représentation, relativement aux communes de plus de 30,000 âmes et de moins de 60,000 ȧmes. Vous apprécierez si les gradations conservées par nous ne sont pas su fisantes. Nous trouvons également inutile de défendre ici et le principe du sectionnement des communes, et le principe de l'éligibilité d'un certain nombre d'éirangers à l'agrégation comunale, et notre nomenclature des incompatibilités a l'él gibilité muni ipale. Sur ces pouts, nous croyons vos esprits tellement fixés qu'il n'y a plus lieu à discussion.

Tout au contraire, no is ne nous dissimulons pas l'importance de la sition par nous proposée sur la durée qu'il convient d'attribuer aux fonctions municipales, et sur le mode de renouvellement des conseils municipaux. Beaucoup de bons esprits, nous ne l'ignorons pas, préfèrent à la rénovation des assemblées délibérantes, par l'introduction partielle et successive d'éléments nouveaux, le renouvellement i tégral. Ils disent, non sans quelque raison, que ce mode provoque plus efficacement le concours des électeurs et fait plus absolument prévaloir leur volonté. Mais il nous semble que ces avantages sont balincés, au moins en matière communale, par de plus graves inconvénients Serait-il profitable, en effet, à l'intérêt public bien compris; serait-il coulorme aux données d'une politique vraiment prévoya ite de provoquer les explosions et les entrainements de la passion, à propos des affaires administratives de la collectivité municipale?

Serait-il bon, dans un pays mobile comme le nôtre, de laisser la poss bilité aux électeurs de nommer, sous l'empire de préoccupations excessives et passagères, Tintégralité d'un conseil possédant, pendant un laps de temps étendu, l'absolue disposition de la fortune communale? Il serait hardi de le soutenir. Nous ne croyons pas non plus qu'il y ait avantage à ce qu'on puisse trop aisément, trop fréquemment rompre les traditions, briser les projets, mettre à néant les entreprises nouées par les administrateurs que la confiance publique a investis d'un maudat, à certain jour donné. Ceux qui connaissent la pratique des cho

111

ANNALES DE L'ASSEMBLÉE NATIONALE

ses municipales savent que ce mandat, le plus sou
vent; est implicitement déterminé qu'il a trait à
l'adoption de lella mesure, à l'edification de tel
tel monument, qu percement de telle ue ou de
tel chemin, H faut, si l'on veut éviter la déperdi-
tton de forces, qui serait fréquente partout où les
partis se Balancent et poursuivent des buts diver-
gents, que chaque categorie successive d'olus ait
possibifto
de mener à fin son ouvrage, que de
nouveaux venus tiendraient peut-être à ne point
aelever, Or, ou les ressources sont modestes, ce
qui est le cas de l'immense majorité des commu-
nes, le temps est le principal élément d'exécu-
116.

Ce sont là les raisons qui vous out fuit croire
que pour les conseils municipaux, le renouvelle-
mei partial ait le meilleur,
letion pour six ans digit préférable à l'élec-
et aussi que
Ligu aur Nuatre anutos. L'esprit de suite a be-
som de cette garantie de durée. Qu'on ne l'oublie
pas cher le pire, par le fait même de l'in-
troduction dans le conseil des membres nouveaux
atteignant a la moitié de leur nombre totai, seru
forcement soumis à la réélection tous les trois
ans. Est-ce trop de trois ans pour mener à bien
ung alaire ou il faut souvent, tont à la fois, con-
ciller des intérêts privés, faire opérer des études
techniques, obtenir, après discussion, des délibé
rallong du conseil municipal, engager des instan-
ces d'expropriation, exécuter enfin le projet con-
cu? Ces motifs beraient déterminants & ex souls;
nous y joindrons encore le bénéfice de diminuer
la fréquence des élections. Si nous voulons qu'el-
les conservent leur prestige moral, leur efficacité
réelle, si nous voulons les préserver de l'indife-
rence, mauvaise en elle-meme, mauvaise en ce
qu'elle permet aux uniporites ardentes les triom-
phes de surprise, ayons grand soin de ne pas les
prodiguer.

Nous ne sommes pas de ceux qui, par système, tiennent les gouvernements en suspicion. D'aileurs, nous croyons le temps arrivé où la confiance sera légitime eatre gouvernés et gouvernants. Toutefois, nous jugeons périlleux de tenter les détenteurs, quels qu'ils soient, du pouvoir, par les facilites offertes à leur immixtion dans les choses où ils doivent s'abstenir aussi leur avons-nous enlevé la charge de lixer l'époque des élections municipales. Cost leur rendre service, à notre avis, que de ne pas leur offrir le moyen de chercher, par des habiletés qu'on a pu souvent trouver blamables, des opportunités qui faussent en définitive le sentiment réel et intime des électeurs. Faire déterminer par la loi elle-même le retour périodique de la convocation des citoyens, et le lieu où le vote sera rendu, contribuera, nous l'espérons, à régulariser le fonctionnement du sulfrage universel. Il y aura autour de l'urne moins de fièvre et plus de maturité dans l'émission des suffrages. C'est ce que doivent désirer tous ceux qui fondent sur la souveraineté nationale l'espoir de la régénération du pays.

Le même sentiment de respect pour le sultrage universal, la volonté d'en faire un organe sérieux de gouvernement, l'immense intérêt social, qui ordonne de mettre le pouvoir et ses représentants en dehors, au-dessus des déliances populaires, nous ont également conseillé de chois'r une juridiction nouvelle pour statue sur les contestations auxquelles les élections municipales donneraient lieu. Sans vouloir aborder ici la question du maintien ou de la suppression des conseils de préfecture, nous croyons, en tous cas, qu'il ne convient nullement d'appeler à leur barre les procès électoraux. Ce n'est pas tout, en effet, que la justice soit quitablement rendue: il faut encore que le public ne doute pas de l'impartialité du juge. Or, les conseillers de préfecture, fonctionnaires issus du seul choix gouvernemental, quelle que soit leur honorabilité personnelle, sont argués d'attaches trop intimes avec l'administration.

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C'est un motif de récusation que nous trouvons irrefutable. Quant aux tribunaux civils, plus nous les youlons honorés, indiscutés, plus nous nous appliquerons, avec un soin jaloux, de les écarter de la politique dont le caractère mème est de livrer à la discussion tout ce qui entre avec elle en contact.

Ces raisons et l'exemple de la Belgique, qui en a fait déjà une épreuve satisfaisante, nous ont dé cidé à décerner les litiges sur les élections aux conseils municipaux, à une commission perma nente, choisie par le conseil général du départe ment et parmi ses membres. Cette commission permanente, dont l'idée est dans fous les esprits, que votre commission de décentralisation vous proposera certainement d'instituer en faisant de son action l'un des moyens les plus efficaces d'assurer aux départements une existence propre et vigoureuse, semble admirablement designée pour l'office que nous lui attribuons. Produit de l'élec tion dane un ordre supérieur, délégués par un choix qui est encore une élection nouvelle, les conseillers généraux, tout à la fois désintéressés dans les questions qui leur seront soumises et en situation de les connaître dans tous leurs détails, auront par le fait la double autorité et pres que le double caractère de jurés et de juges. Sans doute on ne saurait espérer que leurs sentences no feront jamais de mécontents; la natu re des choses rend ce résultat impossible. Mais on peut affirmer sans crainte que, dans le public la présomption de bien jugé couvrira presqu'invariablement leurs décisions.

La procédure administrative devant la délégation du conseil général, telle que nous l'avons coucue, est trop simple pour qu'il soit utile de la justifier dans un exposé. Nous nous bornerons à faire remarquer que nous avons eu la précaution, au point de vue des questions de droit, de maintenir le contrôle de la cour de cassation. Il ne faut, selon nous, négliger, en aucun cas, la préservation de notre grand principe d'unité de jurisprudence.

Il ne reste, messieurs, dans la proposition de loi que nous avons l'honneur de yous soumettre, qu'une question d'importance. C'est celle qui a trait à la nomination des maires et des adjoints. Selon nous, bien que leur magistrature ait actuellement et doive vraisemblablement conserver ua double caractère, local ét national à la fois, il fapt nécessairement qu'ils sortent de l'élection municipale. Il y aurait au moins superfluité à jus. tiker et à développer ici cette opinion quand les motifs en sont présents à tous les esprits,et quand un vote récent a si évidemment fait conuditre pour quelles causes la grande majorité d'entre vous acceptait les idées auxquelles nous sommes attachés nous-mêmes.

Conformément à ce que vous avez aussi décidé,
nous croyons également qu'il convient de char-
ger, non pas le corps électoral dans son ensemble,
mais le conseil municipal diu par lui, de déférer
les fonctions de maires et d'adjoints. Nous pen-
sons qu'il saura mieux se dégager de l'esprit de
parti, mieux apprécier les aptitudes administra
tives des candidats, mieux balancer, dans le
choix des admin strateurs et leur juxta position,
les satisfactions et les garanties qu'il convient
parfois d'accorder, en matière municipale, à des
rivalités locales et à des intérêts divergents. Nous
croyons enfin cette coinbinaison nécessaire à l'en-
tente et au bon accord entre les pouvoirs délibé-
rants et exécutifs de la commune. Issus de la ma-
jorité d'un conseil, y puisant leur force, en per-
sonnifiant les vues, un maire et ses adjoints n'au-
raient ni occasion ni possibilité d'entrer en lutte
avec ce conseil lui-même. En serait-il toujours
ainsi au cas où le maire et ses auxiliaires seraient
les élus du suffrage universel ? Les conflits ne
seraient-ils point alors provoqués par la simili-
tude des origines, par légalité de droits qui en
sortiraient? S'il est permis de prendre de très-

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