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qui vont en course sur mer une commission de leur prince, ou de l'amiral, peut seule les assurer, s'ils sont pris, d'être traités comme des prisonniers faits dans une guerre en forme.

§ 227. A quoi se réduit l'ordre général de courir sus.

Cependant on voit encore dans les déclarations de guerre l'ancienne formule, qui ordonne à tous les sujets, nonseulement de rompre tout commerce avec les ennemis, mais de leur courir sus. L'usage interprète cet ordre général. Il autorise, à la vérité, il oblige même tous les sujets, de quelque qualité qu'ils soient, à arrêter les personnes et les choses appartenantes à l'ennemi, quand elles tombent entre leurs mains; mais il ne les invite point à entreprendre aucune expédition offensive, sans commission, ou sans ordre particulier.

8 228.

De ce que les particuliers peuvent entreprendre sur la
présomption de la volonté du souverain.

Néanmoins il est des occasions où les sujets peuvent présumer raisonnablement la volonté de leur souverain, et agir en conséquence de son commandement tacite. C'est ainsi que, malgré l'usage qui réserve communément aux troupes les opérations de la guerre, si la bourgeoisie d'une place forte prise par l'ennemi ne lui a point promis ou juré la soumission, et qu'elle trouve une occasion favorable de surprendre la garnison et de remettre la place sous les lois du souverain, elle peut hardiment présumer que le prince approuvera cette généreuse entreprise. Et qui osera la condammer? Il est vrai que si cette bourgeoisie manque son coup, l'ennemi la traitera avec beaucoup de rigueur. Mais cela ne prouve point que l'entreprise soit illégitime, ou contraire au droit de la guerre. L'ennemi use de son droit, du droit des armes (a), qui l'autorise à em

(a) Note de l'éditeur de 1775.

-

- Du droit du plus fort. D.

ployer jusqu'à un certain point la terreur, pour empêcher que les sujets du souverain à qui il fait la guerre ne se hasardent facilement à tenter de ces coups hardis, dont le succès pourrait lui devenir funeste. Nous avons vu, dans la dernière guerre (a), le peuple de Gênes prendre tout à coup les armes de lui-même et chasser les Autrichiens de la ville. La république célèbre chaque année la mémoire d'un événement qui la remit en liberté 1.

(a) Note de l'éditeur de 1775. En 1746 et 1747.

1 Pinheiro-Ferreira fait sur ce & les observations suivantes :

D.

« L'auteur confond ici des choses qu'il aurait dû distinguer. Il est per>> mis à tout homme de se défendre contre une injuste agression. Il » n'était pas ici question de savoir ce que chaque particulier, chaque par» tie du pays doit faire, lorsque, l'appui de son gouvernement lui man>> quant, il est assailli ou pris par l'ennemi. Il ne doit prendre conseil >> que des circonstances, et il lui est loisible de courir les chances du >> succès, en se chargeant de pourvoir par lui-même à ses intérêts.

>>> La question qui mérite d'être traitée, et la seule qui puisse être sou» levée ici, c'est la conduite que le conquérant doit tenir lorsque, péné>> trant dans un pays, il se voit en butte aux attaques non-seulement des >> troupes de l'ennemi, mais aussi des habitants qui profitent de toutes >> les occasions pour agir hostilement contre l'armée d'occupation.

» Vattel dit que le droit des armes l'autorise à employer jusqu'à » un certain point la terreur pour empêcher ces coups hardis.

>> Nous ne comprenons pas trop ce que c'est que le droit des armes, si >> ce n'est pas tout simplement le droit de la juste défense. Or, celle-ci » autorise à prendre tous les moyens de précaution qui seront nécessai»res, pourvu qu'on n'offense pas les droits de celui qui n'a pas encore » manqué à ses devoirs. D'où il suit que si, après avoir pris toutes les >> mesures pour ne pas être surprise, l'armée d'occupation venait à être >> attaquée par des habitants, elle doit les considérer comme faisant par>> tie de l'armée ennemie ; et si des prisonniers tombaient en son pouvoir, >> ils devraient être traités comme tout autre prisonnier; car, en faisant » la guerre à celui qu'ils ont regardé comme l'ennemi de leur pays, ils »> n'ont fait qu'user d'un droit qui appartient à chacun.

>> Peut-être ces habitants ont-ils agi précipitamment ; peut-être ont-ils >> par là entravé ou frustré les plans de campagne de leur propre gouver>> nement; mais tout cela ne concerne que celui-ci. Le conquérant n'a pas » à punir comme coupables ceux qui, conquis par les armes, ont tâ

8229. Des armateurs.

Les armateurs, qui équipent à leur frais des vaisseaux pour aller en course, acquièrent la propriété du butin, en récompense de leurs avances et des périls qu'ils courent; et ils l'acquièrent par la concession du souverain, qui leur délivre des commissions. Le souverain leur cède ou le butin entier, ou une partie; cela dépend de l'espèce de contrat qu'il fait avec eux.

Les sujets n'étant pas obligés de peser scrupuleusement la justice de la guerre, qu'ils ne sont pas toujours à portée de bien connaître, et sur laquelle, en cas de doute, ils doivent s'en rapporter au jugement du souverain (§ 187), il n'y a nul doute qu'ils ne puissent en bonne conscience servir leur patrie, en armant des vaisseaux pour la course, à moins que la guerre ne soit évidemment injuste. Mais, au contraire, c'est pour des étrangers un métier honteux, que celui de prendre des commissions d'un prince, pour pirater sur une Nation absolument innocente à leur égard. La soif de l'or est le seul motif qui les y invite; et la commission qu'ils reçoivent, en les assurant de l'impunité, ne peut laver leur infamie. Ceux-là seuls sont excusables, qui assistent de cette manière une Nation dont la cause est indubitablement juste, qui n'a pris les armes que pour se garantir de l'oppression; ils seraient même louables, si la haine de l'oppression, si l'amour de la justice, plutôt que celui du gain, les excitaient à de généreux efforts, à exposer aux hasards de la guerre leur vie, ou leur fortune 1.

» ché de repousser la force par la force, et encore moins l'habitant pai»sible qui n'a point pris part à l'attaque... » (Note sur le & 228, p. 441).

Le droit des gens des sociétés antiques considérait la guerre comme mettant en état d'hostilité directe et personnelle, non-seulement les États en lutte, mais les citoyens privés qui faisaient partie de chaque nation Tous devenaient respectivement ennemis les uns des autres; l'état de guerre impliquait leurs biens comme leurs personnes (Voir suprà, liv. III, la note du 3 72). Sur la fin du Moyen-âge, des efforts de l'Église

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Le noble but de s'instruire dans le métier de la guerre, et de se rendre ainsi plus capable de servir utilement la

et des gouvernements, pour adoucir un droit si rigoureux, commencèrent à sortir les principes du droit des gens moderne. Des exceptions qui se multiplièrent progressivement, mirent en dehors des opérations et des calamités de la guerre, certaines classes de citoyens inoffensifs, et les propriétés privées. La notion des droits souverains de l'État commença à se dégager. Le droit de guerre fut ôté aux partisans sans délégation; cette délégation elle-même fut contestée; les biens privés furent peu à peu considérés comme affranchis des chances de la guerre, et aujourd'hui il est généralement reconnu que l'État seul fait la guerre par ses agents directs, et qu'il ne la fait qu'aux forces organisées et aux biens publics de l'ennemi. Mais le progrès n'a pas été le même pour les guerres maritimes. Le droit de la guerre sur mer est resté ce qu'il était dans l'antiquité. Les bâtiments du commerce, les individus qui les montent, et les marchandises dont ils sont chargés, deviennent encore la proie de l'en- . nemi. L'exercice de ce droit, qui rappelle la guerre privée du Moyen-âge avec ses déprédations, ses iniquités et tous ses excès, n'est pas même l'attribut exclusif de la souveraineté. L'État est le maître de le transmettre, de le déléguer à de simples particuliers qui, sous la dénomination de corsaires, et en vue du butin à faire, arment des navires à leurs frais, et prennent la mer pour courir sus aux bâtiments de commerce de la nation ennemie. Les efforts des divers États ont tendu, il est vrai, à régulariser l'action des auxiliaires qu'ils cherchaient à se donner, en appelant les citoyens à concourir aux opérations de la guerre; de là est venue la nécessité pour les corsaires d'obtenir du chef de l'État une autorisation expresse (lettre de marque), et l'obligation de faire prononcer sur la validité des prises. Mais l'avidité qui préside aux armements en course a toujours échappé aux restrictions. A mesure même que le commerce maritime s'est accru, les corsaires ne se sont plus bornés à attaquer et à piller les ennemis; ils ont prétendu aussi, sous divers prétextes, avoir le droit d'attaquer et de piller les neutres. (Voir sur la Course: BYNKERSHOEK, Quæst jur. publ., lib. I, c. IV, v, xvII-xx; MARTENS, Essai sur les armateurs; MARTENS, Précis du Dr. des gens mod. de l'Eur., édit. cit., t. II, 2 289, p. 266, note de M. VERGÉ, p. 268; HAUTEFEUILLE, Histoire du Dr. marit. internat, p. 485 et suiv.; (Id.) Propriétés privées des belligérants sur mer (brochure); (Id), Traité des Droits des neutres, t. 1, p. 169 et suiv.; PARDESSUS, Collection des tois marit., V et VI; KLÜBER, Dr. des gens mod. de l'Eur., édit. cit., ¿ 260, 261, p. 334, et les

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patrie, a établi l'usage de servir comme volontaire, même dans des armées étrangères; et une fin si louable justifie

auteurs qu'il cite note b, p. 334 et note c, p. 335, 8 261 et note a, p. 335, note de M. OTT, p. 401 et suiv.; WHEATON, Histoire des progrès du Dr. des gens, t. I, p. 80 et 372; (Id.) Élém. du Dr. internat., t. II, p. 17 et suiv.; MASSE, Le Dr. comm. dans ses rapports avec le Dr. des gens, t. I, p. 126 et suiv.; CaUCHY, Le Dr. marit. internat., t. I, p. 63 et suiv., 296 et suiv., 309, 342 et suiv., 350 et suiv., 418, 511 et suiv., t. II, p. 74 et suiv., 160, 163 et suiv., 165 et suiv., 167 et suiv., 172 et suiv., 266, 285 et suiv., 306 et suiv., 317 et suiv., 323 et suiv., 359 et suiv., 374 et suiv., 402, 404 et suiv., 412 et suiv., 465 à 478, 479. Voir surtout, dans le Recueil des séances et travaux de l'Acad. des sc. mor. et polit., t. LV (année 1861), p. 125, une intéressante discussion sur le Droit maritime et la course.

L'usage de croiser avec des vaisseaux privés armés, commissionnés par l'État, sanctionné par les lois de toutes les nations maritimes comme un moyen légitime de détruire le commerce de l'ennemi, avait été, depuis longtemps, justement accusé d'entraîner de graves abus, d'encourager un esprit de déprédation déloyale, et d'être en contradiction évidente avec les manières plus adoucies de la guerre continentale (Voir : GROTIUS, de Jure bel. ac pac., lib. III, c. XVIII, 4; MABLY, Le Droit public de l'Europe (édit. de 1748), t. II, chap. xi, p. 310; LINGUET, Annales politiques, t. V, p: 505, t. VI, p. 108; GALIANI, De doveri de principi neutrali, p. 429 à 436). Voir, dans la discussion citée plus haut (Rec. des séances et trav. de l'Ac. des sc. mor. et pol.), l'opinion de MM. MichelChevalier, Passy, Franck, Adolphe Garnier, Wolowski, et les spirituelles observations de M. Pellat. La course a été défendue par MM. Giraud et Dupin. Voir également, en faveur de la course, HAUTEFEUILLE, libr. cit. Dès le xvIIe siècle, lors de la guerre entre la Suède et les Provinces-Unies, ces deux provinces promirent de ne point se servir d'armateurs. Mais comme les meilleures résolutions ne sont pas toujours les plus solides, le traité de paix de 1679 prouve assez que cette promesse n'a pas été accomplie (voir DUMONT, Corps diplom., t. VII, part. 1, p. 316 et 432). Au xvIIIe siècle, dans la guerre entre la Turquie et la Russie (1767 à 1774), cette dernière puissance s'abstint d'envoyer des armateurs dans l'archipel grec. Dans le traité de commerce de 1785 entre les États-Unis d'Amérique et le roi de Prusse, on stipula qu'en cas de guerre entre les deux puissances, on s'abstiendrait de tous armements particuliers. Au début de la Révolution française (1792), un décret de l'Assemblée nationale invitait le pouvoir exécutif à négocier avec les puissances étrangères pour faire supprimer les armements en course, et assurer la libre navigation du

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