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tre une armée royale, ne sert qu'à faire verser du sang. Cette défense peut sauver l'État, en arrêtant l'ennemi quelques jours de plus; et puis, la valeur supplée au défaut des fortifications (*). Le chevalier Bayard s'étant jeté dans Mézières, la défendit avec son intrépidité ordinaire (**), et fit bien voir qu'un vaillant homme est capable quelquefois de sauver une place, qu'un autre ne trouverait pas tenable. L'histoire du fameux siége de Malte nous apprend encore jusqu'où des gens de coeur peuvent soutenir leur défense, quand ils y sont bien résolus. Combien de places se sont rendues, qui auraient pu arrêter encore longtemps l'ennemi, lui faire consumer ses forces et le reste de la campagne, lui échapper même, par une défense mieux soutenue et plus vigoureuse? Dans la dernière guerre (a), tandis que les plus fortes places des Pays-Bas tombaient en peu de jours, nous avons vu le brave général de Leutrum défendre Coni contre les efforts de deux armées puissantes, tenir, dans un poste si médiocre, quarante jours de tranchée ouverte, sauver sa place, et avec elle tout le Piémont.

(*) La fausse maxime que l'on tenait autrefois à cet égard se trouve rapportée dans la relation de la bataille de Muscleboroug (De THOU, t. I, p. 287). « On admira alors la modération du général (le duc de >> Sommerset), protecteur ou régent d'Angleterre, qui lui fit épar>> gner la vie des assiégés (d'un château en Écosse), malgré cette >> ancienne maxime de la guerre, qui porte qu'une garnison faible perd » tout droit à la clémence du vainqueur, lorsque, avec plus de courage » que de jugement, elle s'opiniâtre à défendre une place mal fortifiée >> contre une armée royale, et que sans vouloir accepter des conditions >> raisonnables qui lui sont offertes, elle entreprend d'arrêter les desseins » d'une puissance à qui elle n'est point capable de résister. C'est ainsi >> que César répondit aux Aduaticiens (B. G., Lib. II), qu'il épargne» rait leur ville, s'ils se rendaient avant que le bélier eût touché leurs >> murailles, et que le duc d'Albe blama beaucoup Prosper Colonne, » d'avoir reçu à composition un château qui n'avait parlé de se rendre » qu'après avoir essuyé le feu du canon. » HAYWARD, vie d'ÉDOUARD VI. (**) Voyez sa vie.

(a) Note de l'éditeur de 1775. En 1744.

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D.

Si vous insistez, en disant qu'en menaçant un commandant de la mort, vous pouvez abréger un siége meurtrier, épargner vos troupes, et gagner un temps précieux, je réponds qu'un brave homme se moquera de votre menace, ou que, piqué d'un traitement si honteux, il s'ensevelira sous les ruines de sa place, vous vendra cher sa vie, et vous fera payer votre injustice. Mais quand il devrait vous revenir un grand avantage d'une conduite illégitime, elle ne vous est pas permise pour cela. La menace d'une peine injuste est injuste elle-même; c'est une insulte et une injure. Mais surtout il serait horrible et barbare de l'exécuter; et si l'on convient qu'elle ne peut être suivie de l'effet, elle est vaine et ridicule. Vous pouvez employer des moyens justes et honnêtes, pour engager un gouverneur à ne pas attendre inutilement la dernière extrémité; et c'est aujourd'hui l'usage des généraux sages et humains. On somme un gouverneur de se rendre quand il en est temps, on lui offre une capitulation honorable et avantageuse, en le menaçant que s'il attend trop tard, il ne sera plus reçu que comme prisonnier de guerre, ou à discrétion. S'il s'opiniâtre, et qu'enfin il soit forcé de se rendre à discrétion, on peut user contre lui et ses gens de toute la rigueur du droit de la guerre. Mais ce droit ne s'étend jamais jusqu'à ôter la vie à un ennemi qui pose les armes (3 140) (a), à moins qu'il ne se soit rendu coupable de quelque crime envers le vainqueur (141).

La résistance poussée à l'extrémité ne devient punissable dans un subalterne, que dans les seules occasions où elle est manifestement inutile: c'est alors opiniâtreté, et non fermeté ou valeur. La véritable valeur a toujours un but raisonnable. Supposons, par exemple, qu'un État soit entièrement soumis aux armes du vainqueur, à l'exception d'une

(a) Note de l'éditeur de 1775. d une absolue nécessité,

Point d'exception, si ce n'est celle
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seule forteresse, qu'il n'y ait aucun secours à attendre du dehors, aucun allié, aucun voisin, qui s'intéresse à sauver le reste de cet État conquis; on doit alors faire savoir au gouverneur l'état des choses, le sommer de rendre sa place, et on peut (a) le menacer de la mort, s'il s'obstine à une défense absolument inutile, et qui ne peut tendre qu'à l'effusion du sang humain (*). Demeure-t-il inébranlable, il mérite de souffrir la peine dont il a été menacé avec justice. Je suppose que la justice de la guerre soit problématique, et qu'il ne s'agisse pas de repousser une oppression insupportable. Car si ce gouverneur soutient évidemment la bonne cause, s'il combat pour sauver sa patrie de l'esclavage, on plaindra son malheur; les gens de cœur le loueront de ce qu'il tient ferme jusqu'au bout, et veut mourir libre.

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Les transfuges et les déserteurs que le vainqueur trouve parmi ses ennemis, se sont rendus coupables envers lui; il est sans doute en droit (b) de les punir de mort. Mais on ne les considère pas proprement comme des ennemis: ce sont plutôt des citoyens perfides, traîtres à leur patrie, et leur

(a) Note de l'éditeur de 1775. Mais on ne le doit pas, et encore moins exécuter une telle menace. Ce serait une férocité pire que son opiniâtreté.

D.

(*) Mais toutes sortes de menaces ne sont pas permises pour obliger le gouverneur ou le commandant d'une place de guerre à se rendre. Il y en a qui révoltent la nature, et font horreur. Louis XI, assiégeant SaintOmer en 1477, irrité de la longue résistance qu'on lui opposait, fit dire au gouverneur Philippe, fils d'Antoine, bâtard de Bourgogne, que si l'on ne rendait la place, il ferait mourir à ses yeux son père, qu'il tenait prisonnier. Philippe répondit qu'il aurait une douleur mortelle de perdre son père; mais que son devoir lui était plus cher encore, et qu'il connaissait trop le roi pour craindre qu'il voulût se déshonorer par une action si barbare. Hist. de Louis X1, liv. VIII.

(b) Note de l'éditeur de 1775. - Il faut entendre ce droit des gens volontaire, qui n'est pas le droit des gens naturel.

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engagement avec l'ennemi ne peut leur faire perdre cette qualité, ni les soustraire à la peine qu'ils ont méritée. Cependant aujourd'hui que la désertion est malheureusement si commune, le nombre des coupables oblige en quelque sorte à user de clémence; et dans les capitulations, il est fort ordinaire d'accorder à la garnison qui sort d'une place un certain nombre de chariots couverts, dans lesquels elle sauve les déserteurs.

? 145.

Des femmes, enfants, vieillards infirmes.

Les femmes, les enfants, les vieillards infirmes, les malades, sont au nombre des ennemis (§ 70 et 72); et l'on a des droits sur eux, puisqu'ils appartiennent à la Nation avec laquelle on est en guerre, et que de Nation à Nation les droits et les prétentions affectent le corps de la société avec tous ses membres (liv. II § 81, 82 et 344). Mais ce sont des ennemis qui n'opposent aucune résistance; et par conséquent on n'a aucun droit de les maltraiter en leur personne, d'user contre eux de violence, beaucoup moins de leur ôter la vie ( 140). Il n'est point aujourd'hui de Nation un peu civilisée, qui ne reconnaisse cette maxime de justice et d'humanité. Si quelquefois le soldat furieux et effrené se porte à violer les filles et les femmes, où à les tuer, à massacrer les enfants et les vieillards, les officiers gémissent de ces excès; ils s'empressent à les réprimer, et même un général sage et humain les punit quand il le peut. Mais si les femmes veulent être absolument épargnées, elles doivent se tenir dans les fonctions de leur sexe, et ne point se mêler du métier des hommes, en prenant les armes. Aussi la loi militaire des Suisses, qui défend de maltraiter les femmes, excepte-t-elle formellement celles qui auront commis des actes d'hostilité (*).

146. - Des ministres de la religion, des gens de lettres, etc.

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J'en dis autant des ministres publics de la religion, des (*) Voyez SIMLER, de Républ. Helvet.

gens de lettres, et autres personnes, dont le genre de vie est fort éloigné du métier des armes. Non que ces gens-là, ni mêmes les ministres des autels, aient nécessairement et par leur emploi aucun caractère d'inviolabilité, ou que la loi civile puisse le leur donner par rapport à l'ennemi; mais comme ils n'opposent point la force ou la violence à l'ennemi, ils ne lui donnent aucun droit d'en user contre eux. Chez les anciens Romains, les prêtres portaient les armes; Jules César lui-même était grand-pontife; et parmi les chrétiens, on a vu souvent des prélats, des évêques et des cardinaux, endosser la cuirasse et commander les armées. Dès lors ils s'assujettissaient au sort commun des gens de guerre. Lorsqu'ils combattaient, ils ne prétendaient pas sans doute être inviolables. (Voy. les NOTES du § 10).

147. Des laboureurs, et en général de tout le peuple désarmé.

Autrefois tout homme capable de porter les armes devenait soldat, quand sa Nation faisait la guerre, et surtout quand elle était attaquée. Cependant Grotius (*) allègue l'exemple de divers peuples et de plusieurs grands hommes de guerre (**), qui ont épargné les laboureurs, en considération de leur travail si utile au genre humain (***). Aujourd'hui la guerre se fait par les troupes réglées; le peuple, les paysans, les bourgeois, ne s'en mêlent point, et, pour l'ordinaire, ils n'ont rien à craindre du fer de l'ennemi. Pourvu que les habitants se soumettent à celui qui est maître du pays, qu'ils paient les contributions imposées, et qu'ils s'abstienneut de toute hostilité, ils vivent en sûreté, comme s'ils étaient amis; ils conservent même ce

(*) Liv. III. chap. xi, % 11.

(**) CYRUS, BÉLISAIRE.

(***) Cyrus fit proposer au roi d'Assyrie d'épargner réciproquement les laboureurs, et de ne faire la guerre qu'aux gens armés; et sa proposition fut acceptée. CYROP., liv. V, p. 109.

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